Si le séjour que Norbert fit à Spire lui attira l’admiration de la Cour, sa sortie ne fut pas moins un objet d’étonnement pour toute la ville. Un archevêque couvert d’une mauvaise soutane, d’une figure négligée, nu-pieds, monté sur un âne, sans cortège, le visage exténué, l’esprit abattu, avait quelque chose de si extraordinaire qu’on ne pouvait regarder sans surprise tant de grandeurs avec tant d’humilité. Les villes par lesquelles il passa le reçurent avec des honneurs d’autant plus grands qu’il paraissait les mépriser davantage. On entendait partout les peuples féliciter Magdebourg d’avoir reçu un pasteur si saint et si propre à sanctifier ses ouailles.
Le voyage ne fut qu’une suite de bénédictions et de réjouissances pour les députés. Norbert seul versa des larmes dans la pensée de ses obligations. Il tomba presque en défaillance aux approches de Magdebourg. Le clergé et le peuple vinrent au devant de lui. L’idée qu’ils avaient conçue de sa sainteté ne leur laissa rien oublier de tout ce qui pouvait rendre son entrée magnifique. Ils le conduisirent par la ville à travers les applaudissements, tandis que Norbert, d’une contenance modeste et mortifiée, gémissait sur son sort et sur celui du peuple. Il vint d’abord descendre à la cathédrale, pour y consacrer à Dieu les prémices de sa charge, et lui demander la grâce d’en soutenir le poids avec courage et avec fidélité.
On le mena ensuite au palais archiépiscopal. Le portier ayant fait entrer les personnes de qualité qui ouvraient la marche, il repoussa Norbert qui terminait le convoi. Comme il le prenait pour un gueux qui s’était glissé dans la presse pour s’introduire dans le palais, il le chassa avec des paroles dures, et lui dit brusquement de se tenir parmi les pauvres. Les assistants qui s’aperçurent de la méprise du portier l’avertirent que celui qu’il traitait ainsi était son maître et son archevêque. Cet homme, rougissant de son incivilité, et craignant quelque punition, s’enfuit à l’instant. Norbert de son côté le rappela d’un air gracieux, et lui dit en souriant : « N’appréhendez pas, mon cher frère, vous me connaissez mieux que ceux qui me forcent aujourd’hui d’entrer dans ce palais. Personne de la compagnie ne m’a rendu plus de justice, puisque vous êtes le seul qui me jugez indigne de remplir un poste où l’on ne m’aurait jamais placé si l’on avait jugé de ma capacité par mes vertus. » Norbert par ces humbles paroles rassura le domestique, et, loin de venger l’affront, il combla l’offenseur de bienfaits.
Vie de saint Norbert, par Louis-Charles Hugo, chanoine prémontré de la réforme, 1704.