Le XVIe siècle avait entendu à son début le plus effroyable blasphème qu’on eût proféré contre l’Épouse du Fils de Dieu. Celle qu’on appelait la prostituée de Babylone prouva sa légitimité, en face de l’hérésie impuissante à faire germer une vertu dans le monde, par l’admirable efflorescence des Ordres nouveaux sortis de son sein en quelques années, pour répondre aux exigences de la situation nouvelle qu’avait créée la révolte de Luther. Le retour des anciens Ordres à leur première ferveur, l’établissement de la Compagnie de Jésus, des Théatins, des Barnabites, des Frères de saint Jean de Dieu, de l’Oratoire de saint Philippe Néri, des Clercs réguliers de saint Jérôme Émilien et de saint Camille de Lellis, ne suffisent pas au divin Esprit ; comme pour marquer la surabondance de l’Épouse, il suscite à la fin du même siècle une autre famille, dont le trait spécial sera l’organisation parmi ses membres de la mortification et de la prière continues, par l’usage incessant des moyens de la pénitence chrétienne et l’adoration perpétuelle du Très-Saint-Sacrement. Sixte-Quint reçoit avec joie ces nouveaux combattants de la grande lutte ; pour les distinguer des autres Ordres déjà nombreux de clercs joignant aux obligations de leur saint état la pratique des conseils, et en preuve de son affection spécialement paternelle, l’illustre Pontife donné au monde par la famille franciscaine assigne à ces derniers venus le nom de Clercs réguliers Mineurs. Dans la même pensée de rapprochement avec l’Ordre séraphique, le saint que nous fêtons aujourd’hui, et qui doit être le premier Général du nouvel Institut, change le nom d’Ascagne qu’il portait jusque-là en celui de François.
Le ciel, de son côté, sembla vouloir lui-même unir François Caracciolo et le patriarche d’Assise, en donnant à leurs vies une même durée de quarante-quatre ans. Comme son glorieux prédécesseur et patron, le fondateur des Clercs réguliers Mineurs fut de ces hommes dont l’Écriture dit qu’ayant peu vécu ils ont parcouru une longue carrière (Sagesse 4,13). Des prodiges nombreux révélèrent pendant sa vie les vertus que son humilité eût voulu cacher au monde. A peine son âme eut-elle quitté la terre et son corps fut-il enseveli, que les foules accoururent à une tombe qui continuait d’attester chaque jour, par la voix du miracle, la faveur dont jouissait auprès de Dieu celui dont elle renfermait la dépouille mortelle.
Mais c’est à la souveraine autorité constituée par Jésus-Christ dans son Église, qu’il est réservé de prononcer authentiquement sur la sainteté du plus illustre personnage. Tant que le jugement du Pontife suprême n’a point été rendu, la piété privée reste libre de témoigner à qui la mérite, dans l’autre vie, sa gratitude ou sa confiance ; mais toute démonstration qui, de près ou de loin, ressemblerait aux honneurs d’un culte public, est prohibée par une loi de l’Église aussi rigoureuse que sage dans ses prescriptions. Des imprudences contraires à cette loi, formulée dans les célèbres décrets d’Urbain VIII, attirèrent, vingt ans après la mort de François Caracciolo, les rigueurs de l’Inquisition sur quelques-uns de ses enfants spirituels, et retardèrent de près d’un siècle l’introduction de sa cause au tribunal de la Congrégation des Rites sacrés. Il avait fallu que les témoins des abus qui avaient attiré ces sévérités disparussent de la scène ; et comme, par suite, les témoins de la vie de François ayant disparu eux-mêmes, on dut alors s’en rapporter aux témoignages auriculaires sur le chapitre des vertus héroïques qu’il avait pratiquées, et Rome exigea la preuve, par témoins oculaires, de quatre miracles au lieu de deux qu’elle réclame autrement pour procéder à la béatification des serviteurs de Dieu.
Il serait inutile de nous arrêter à montrer que ces précautions et ces délais, qui prouvent si bien la prudence de l’Église en ces matières, n’aboutissent qu’à faire ressortir d’autant mieux l’évidente sainteté de François.
Dom Guéranger