L’entretien de François avec Eugenio Scalfari a été retiré du site du Vatican. Ce qui est ahurissant n’est pas qu’on l’en ait enlevé, mais qu’on l’y ait mis. Car pour les braves gens, si c’est sur le site du Vatican, c’est que c’est le magistère. Or il n’y avait heureusement rien de magistériel dans cet entretien (qui avait également été publié en une de l’Osservatore Romano, et dont le P. Lombardi avait affirmé qu’il était « fidèle à la pensée » du pape).
Et voici que Scalfari fait une conférence de presse et reconnaît, selon le chroniqueur religieux du Figaro, « avoir prêté au pape François des propos que ce dernier n’a jamais tenus ». Jean-Marie Guénois insiste : « Sans note et sans enregistrement, Eugenio Scalfari a donc reconstruit une interview, comme il l'a reconnu jeudi à Rome, affirmant qu'il a toujours travaillé comme cela au long de sa brillante carrière. »
Mais si Scalfari avait inventé les propos des interviewés, il n’aurait certainement pas fait une « brillante carrière ».
Ce propos de Scalfari n’est en rien une révélation. L’homme est un vieux journaliste, formé à la manière d’un temps où, non seulement il n’y avait pas de magnétophones, mais où l’on apprenait à faire des interviews sans prendre de notes. Le journaliste rentrait tranquillement à son bureau, et là il écrivait l’interview. Il « reconstruisait », comme on dit maintenant. Le fait est que si le journaliste est honnête, cette reconstruction exprime beaucoup plus fidèlement la teneur de l’entretien que des extraits de propos enregistrés. Et si le journaliste est malhonnête, ou simplement s’il n’est pas bon dans cet exercice, il ne fait pas carrière…
Après avoir rédigé son interview, le journaliste soumet le texte à la personnalité interviewée pour qu’elle corrige éventuellement certaines expressions et qu’elle donne son accord pour la publication. Ou non.
Dans sa conférence de presse, Eugenio Scalfari est revenu assez longuement, semble-t-il, sur ce point. Et le site Benoît et moi a opportunément traduit (et tout aussi opportunément commenté) un compte rendu de la conférence de presse qui donne le détail :
— Votre Sainteté, vous me permettez de rendre publique la nouvelle de la conversation et aussi de la raconter ?
— Bien sûr, racontez-la.
— Je vous envoie une copie d'abord.
— Il me semble que c'est une perte de temps.
— Cela ne me semble pas du temps perdu. Je reconstruis, vous faites les corrections.
— Si vous insistez... mais, encore une fois, c'est une perte de temps. Je vous fais confiance.
Puis Scalfari envoie le texte au pape. Avec une lettre où il souligne qu’il a « reconstruit », qu’il n’a pas écrit certaines choses dites par le pape et qu’il en a écrit d’autres que le pape n’a pas dites, pour mieux faire comprendre.
Après quelques jours, Scalfari téléphone, et le secrétaire du pape lui donne le feu vert. Scalfari prend une dernière précaution : le pape a-t-il lu la lettre ? Le secrétaire dit qu’il va en référer, puis il rappelle Scalfari en lui disant que le pape a réitéré son feu vert.
Il est donc tout à fait clair et évident qu’il n’y a eu aucune embrouille, aucune tentative de faire dire au pape ce qu’il n’aurait jamais dit.