Benoît XVI a consacré sa catéchèse d’hier à Duns Scot. Trois extraits.
L’Incarnation
Il a avant tout médité sur le Mystère de l'Incarnation et, à la différence de beaucoup de penseurs chrétiens de l'époque, il a soutenu que le Fils de Dieu se serait fait homme même si l'humanité n'avait pas péché. Il affirme dans la « Reportata Parisiensa » : « Penser que Dieu aurait renoncé à une telle œuvre si Adam n'avait pas péché ne serait absolument pas raisonnable ! Je dis donc que la chute n'a pas été la cause de la prédestination du Christ et que - même si personne n'avait chuté, ni l'ange ni l'homme - dans cette hypothèse le Christ aurait été encore prédestiné de la même manière » (in III Sent., d. 7, 4). Cette pensée, peut-être un peu surprenante, naît parce que pour Duns Scot, l'Incarnation du Fils de Dieu, projetée depuis l'éternité par Dieu le Père dans son plan d'amour, est l'accomplissement de la création, et rend possible à toute créature, dans le Christ et par son intermédiaire, d'être comblée de grâce, et de rendre grâce et gloire à Dieu dans l'éternité. Même s'il est conscient qu'en réalité, à cause du péché originel, le Christ nous a rachetés à travers sa Passion, sa Mort et sa Résurrection, Duns Scot réaffirme que l'Incarnation est l'œuvre la plus grande et la plus belle de toute l'histoire du salut, et qu'elle n'est conditionnée par aucun fait contingent, mais qu'elle est l'idée originelle de Dieu d'unir en fin de compte toute la création à lui-même dans la personne et dans la chair du Fils.
L’Immaculée Conception
A l'époque de Duns Scot, la majorité des théologiens opposait une objection, qui semblait insurmontable, à la doctrine selon laquelle la très Sainte Vierge Marie fut préservée du péché originel dès le premier instant de sa conception : en effet, l'universalité de la Rédemption opérée par le Christ, à première vue, pouvait apparaître compromise par une telle affirmation, comme si Marie n'avait pas eu besoin du Christ et de sa rédemption. C'est pourquoi les théologiens s'opposaient à cette thèse. Alors, Duns Scot, pour faire comprendre cette préservation du péché originel, développa un argument qui sera ensuite adopté également par le Pape Pie IX en 1854, lorsqu'il définit solennellement le dogme de l'Immaculée Conception de Marie. Et cet argument est celui de la « Rédemption préventive », selon laquelle l'Immaculée Conception représente le chef d'œuvre de la Rédemption opérée par le Christ, parce que précisément la puissance de son amour et de sa médiation a fait que sa Mère soit préservée du péché originel. Marie est donc totalement rachetée par le Christ, mais avant même sa conception. Les Franciscains, ses confrères, accueillirent et diffusèrent avec enthousiasme cette doctrine, et d'autres théologiens - souvent à travers un serment solennel - s'engagèrent à la défendre et à la perfectionner.
Le sensus fidei
A cet égard, je voudrais mettre en évidence un fait qui me paraît très important. Des théologiens de grande valeur, comme Duns Scot en ce qui concerne la doctrine sur l'Immaculée Conception, ont enrichi de la contribution spécifique de leur pensée ce que le Peuple de Dieu croyait déjà spontanément sur la Bienheureuse Vierge, et manifestait dans les actes de piété, dans les expressions artistiques et, en général, dans le vécu chrétien. Ainsi, la foi tant dans l'Immaculée Conception que dans l'Assomption corporelle de la Vierge, était déjà présente dans le Peuple de Dieu, tandis que la théologie n'avait pas encore trouvé la clé pour l'interpréter dans la totalité de la doctrine de la foi. Le Peuple de Dieu précède donc les théologiens, et tout cela grâce au sensus fidei surnaturel, c'est-à-dire à la capacité dispensée par l'Esprit Saint, qui permet d'embrasser la réalité de la foi, avec l'humilité du cœur et de l'esprit. Dans ce sens, le Peuple de Dieu est un « magistère qui précède », et qui doit être ensuite approfondi et accueilli intellectuellement par la théologie. Puissent les théologiens se placer toujours à l'écoute de cette source de la foi et conserver l'humilité et la simplicité des petits ! Je l'avais rappelé il y a quelques mois en disant : « Il y a de grands sages, de grands spécialistes, de grands théologiens, des maîtres de la foi, qui nous ont enseigné de nombreuses choses. Ils ont pénétré dans les détails de l'Ecriture Sainte, [...] mais ils n'ont pas pu voir le mystère lui-même, le véritable noyau [...] L'essentiel est resté caché ! [...] En revanche, il y a aussi à notre époque des petits qui ont connu ce mystère. Nous pensons à sainte Bernadette Soubirous ; à sainte Thérèse de Lisieux, avec sa nouvelle lecture de la Bible "non scientifique", mais qui entre dans le cœur de l'Ecriture Sainte » (Homélie lors de la Messe avec les membres de la Commission théologique internationale, 1er décembre 2009).