Alors que la France ferait mieux, hélas, de jouer profil bas dans l’affaire rwandaise, le juge Bruguière a cru bon de réclamer des poursuites contre le président Kagame, et d’émettre des mandats d’arrêt contre neuf de ses proches, dans le cadre de l’enquête sur l’attentat, en 1994, contre l’avion du président Habyarimana, qui a coûté la vie à ce dernier et aurait déclenché le génocide selon les allégations françaises.
Bien entendu, dans une affaire aussi sensible, impliquant un chef d’Etat en exercice, le juge Bruguière n’a agi qu’avec l’aval du gouvernement, voire sur ordre du gouvernement (via le parquet). Les Rwandais l’ont bien compris, et ont très logiquement rompu les relations diplomatiques avec la France. L ’ambassadeur a été expulsé, tous les autres diplomates français ont quitté le pays, et toutes les institutions françaises ont été fermées, y compris l’Ecole internationale Saint-Exupéry et le centre culturel français. Le tout sur fond d’importantes manifestations contre la France.
Paul Kagame a longuement dénoncé l’attitude française dans un entretien à la télévision rwandaise, soulignant que « les gens ont tout faux quand ils associent l’attentat contre l’avion à la cause du génocide », et annonçant que la commission d’enquête rwandaise « va sortir des éléments sur l’attentat contre cet avion, qui implique des Français : les pilotes, les soldats qui gardaient l’aéroport ». Et d’ajouter que si le rapport Bruguière n’est pas étayé, en revanche « nos juges peuvent poursuivre des responsables français sur la base de faits et de preuves ».
« Le juge Bruguière fait du négationnisme historique », déclare de son côté le secrétaire général d’Ibuka, l’association des rescapés du génocide. Car le génocide avait été programmé, préparé et commencé avant l’attentat, comme tous les historiens l’attestent, ainsi que le Tribunal pénal international pour le Rwanda.
Dans l’affaire rwandaise, le « négationnisme » désigne la théorie élaborée par ceux (dont Mitterrand et Villepin) qui ont soutenu qu’il y a eu un « double génocide », et qu’en conséquence les chefs tutsi et les chefs hutu sont aussi responsables les uns que les autres. Elle consiste à nier le génocide tutsi sous prétexte que des atrocités ont été commises contre des hutu, alors qu’à l’évidence on ne peut pas établir la moindre équivalence.
Bref, la France met de l’huile sur le feu, et risque fort de se brûler. La commission d’enquête qu’évoque Paul Kagame reprend ses auditions publiques le 11 décembre, et pourrait se prononcer pour une procédure contre la France devant la Cour internationale de Justice. Le coup du juge Bruguière est peut-être un contre-feu, mais il pourrait fort se retourner contre la France.
Le « négationnisme » de la France est d’abord sa négation de toute responsabilité dans le génocide, alors que, malheureusement, cette responsabilité existe. La première responsabilité est celle de la Belgique , qui en donnant l’indépendance au Rwanda, en 1959, a installé les hutu au pouvoir, au nom de la démocratie, bien sûr, puisque les hutu sont majoritaires. Mais l’élite dirigeante du pays avait toujours été tutsi. Ce qui a plongé le Rwanda dans la crise dès le début (avec des massacres à la clé). En octobre 1990, les exilés tutsi, qui ont créé une force armée en Ouganda, entrent en force au Rwanda. La France organise aussitôt l'opération Noroît pour aider le régime hutu. Des milliers de tutsi sont emprisonnés, et plusieurs massacres ont lieu en 1991. Les combattants tutsi ont établi une tête de pont au nord du pays, où des combats se poursuivront jusqu'au génocide de 1994, lequel a été programmé en 1992 par le pouvoir hutu (création de milices ad hoc, et de la fameuse radio des mille collines). La France, comme l’ensemble de la communauté internationale, a laissé faire le génocide qu’elle avait rendu possible en aidant le pouvoir hutu à se maintenir, sans empêcher pour autant les tutsi de reprendre le pouvoir…
Le Rwanda illustre de façon particulièrement tragique l’irresponsabilité de l’idéologie démocratique que de bonnes consciences occidentales veulent imposer dans le monde entier, au mépris de l’histoire des peuples. Le massacre d’un million de tutsi n’a toutefois pas servi de leçon, puisqu’on a actuellement en Irak un autre exemple de l’application forcenée de cette folie idéologique.
Le fait que le Rwanda est un pays catholique n’est évidemment pas sans importance : les puissances maçonniques, garantes de l’idéologie démocratique, voyaient ce pays comme un excellent laboratoire.
L’ironie de l’histoire, si l’on peut dire, est que l’actuel gouvernement tutsi au Rwanda est au pouvoir de façon démocratique, depuis les élections de 2003. Le président Kagame a été triomphalement élu au suffrage universel, et ses partisans ont la majorité au Parlement. Ce qui montre bien que la structure ancestrale du pouvoir correspondait à une réalité, que les Occidentaux voulaient à toute force détruire au nom de leur idéologie. Au passage, il est amusant de noter, au moment où nous préparons une loi de plus sur la parité, que les Rwandais, sans avoir de loi sur la question, ont le taux de participation des femmes, au Parlement et au gouvernement, la plus forte du monde…