Voici une traduction d’un commentaire de la secrète de la messe de ce dimanche par Michael P. Foley, paru sur le blog New Liturgical Movement.
Oblatiónibus nostris, quǽsumus, Dómine, placáre suscéptis : et ad te nostras étiam rebélles compélle propítius voluntátes.
Comme vous avez reçu nos oblations, Seigneur, nous vous le demandons, soyez-nous favorable, et dans votre bienveillance contraignez nos volontés même rebelles à aller vers vous.
À ce stade de la messe, le prêtre a plus ou moins achevé le rite de l’offertoire et a offert le pain, le vin, lui-même et nous tous en offrande à Dieu. Naturellement, il implore maintenant Dieu d'être satisfait de ces offrandes.
Il y a un jeu de mots subtil entre « rebelles » et « compelle » dans la seconde moitié de la prière: « même quand nous nous rebellons, [n’oubliez pas de] contraindre ». C'est une merveilleuse demande. A chaque Notre Père nous prions « Que votre volonté soit faite », mais combien de fois le pensons-nous sans réserve ? Il est facile de dire : « Que votre volonté soit faite », tant que cette volonté n’inclut pas pour moi le cancer, la faillite, une tasse de mauvais café, etc. Il est beaucoup plus difficile de faire écho à la réponse de Job au malheur : « Si nous avons reçu de bonnes choses de la part de Dieu, pourquoi ne devrions-nous pas recevoir les mauvaises ? » (Job 2:10) - ou de dire avec notre Seigneur dans le jardin de Gethsémani : « Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je doive le boire, que ta volonté soit faite » (Matt 26:42).
Ainsi, même si nous sommes de bons chrétiens qui allons à la messe, comme à la messe du quatrième dimanche après la Pentecôte, nos volontés reculent toujours à l'idée d'un acquiescement total à la volonté de Dieu. Nous continuons à nous rebeller même après notre baptême. Comme il est approprié que cette secrète soit priée pendant la messe qui a pour Évangile Luc 5: 1-11, l'histoire de Jésus ordonnant à Pierre d’aller en eau profonde et de jeter ses filets ! Lorsque Pierre obéit et prend une énorme quantité de poissons, il dit avec émotion : « Éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur, Seigneur. » A quoi notre Seigneur répond : « Ne crains point, désormais ce sont des hommes que tu prendras. » Pierre reconnaît Jésus comme Seigneur et lui dit pourtant de s’éloigner ! De toute évidence, il craint de ne pas être à la hauteur de la tâche à laquelle Jésus peut l'appeler, car il sait que sa volonté est rebelle. Mais Jésus, au lieu de cela, non seulement le garde, mais il fait de lui un pêcheur d'autres volontés rebelles, un pêcheur d'hommes.
Les Pères de l'Église ont vite souligné que la grande différence entre la pêche des hommes et la pêche du poisson est que lorsque vous pêchez des hommes, vous pêchez quelque chose hors d’une mer à laquelle cela n’appartient pas et qui mourra s’il n’est pas secouru. Or les victimes de noyade sont tristement connues pour entraîner au fond ceux qui viennent à leur secours : on peut dire que même si les gens qui se noient ne veulent rien d’autre qu'être secourus, leurs volontés sont rebelles, ou du moins ne coopèrent pas pleinement. C'est un réflexe terrible et autodestructeur, et pourtant nous, pécheurs, nous le faisons tout le temps.
Et donc nous prions, Dieu Tout-Puissant : tire-nous, en donnant des coups de pied et en hurlant s’il le faut, conformément à ta volonté, pendant qu'il est encore temps, car nous savons qu'en tant que gentleman qui respecte nos ultimes décisions, tu ne traînes personne au ciel en donnant des coups de pied et en hurlant.
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Michael P. Foley est docteur en théologie, professeur de patristique à l’université Baylor de Waco au Texas. Il est l’auteur notamment de « Pourquoi les catholiques mangent du poisson le vendredi »…
Il est significatif que dans les missels antéconciliaires les traductions françaises de « compelle » étaient « ramenez », ou dans le meilleur des cas « poussez », alors que compelle veut clairement dire contraindre, forcer, acculer, réduire… On voit là que tout était déjà prêt pour la grande destruction : il n’était déjà plus question de demander à Dieu de nous contraindre à quoi que ce soit, tant Dieu respecte notre liberté… à aller en enfer.