La première réunion (« congrégation générale ») devait se tenir le 13 octobre 1962. Ce jour-là furent distribuées aux pères conciliaires trois brochures : la liste des participants, la liste de ceux qui avaient participé à l’élaboration des schémas qui allaient être soumis au concile, et dix pages blanches, correspondant aux dix commissions de travail, avec 16 espaces numérotés : autant dire que les pères n’avaient plus qu’à recopier dans les espaces blancs les noms des auteurs des schémas. C’est ce que la curie attendait, contrairement à ce qui fut dit par la suite. Car au Vatican on s’attendait à ce que le concile dure quelques semaines : tout devait être fini avant Noël. Pour que ce fût le cas, il fallait que les pères conciliaires avalisent la composition des commissions et acceptent les schémas préparés, ne les modifiant qu’à la marge. Mais ce n’était plus un concile…
Ayant appris ce qui allait se passer, le cardinal Liénart, président de l’Assemblée des cardinaux et archevêques de France, et le cardinal Frings, président de la conférence des évêques allemands, décidèrent de faire en sorte que les choses ne se déroulent pas ainsi. Et ce fut ce que certains ont appelé « la révolution d’octobre dans l’Église ». Le 13 octobre, alors que seul le cardinal Felici, secrétaire du concile, avait théoriquement la parole, et que la séance devait consister en l’exercice de recopiage des noms des membres des commissions, le cardinal Liénart éleva la voix pour dire que les pères conciliaires avaient besoin de temps pour étudier les candidatures aux diverses commissions. Il fut applaudi. Le cardinal Frings se leva à son tour, et appuya la proposition du cardinal Liénart. Il fut également applaudi. La séance prit fin ainsi.
Les élections eurent lieu le 16, et ainsi furent élus nombre de candidats étiquetés par les « traditionalistes » comme « libéraux » ou « progressistes », présentés par le groupe que Ralph Wiltgen a appelé « l’alliance européenne », où figuraient de nombreux évêques germaniques, d’où le titre de son livre : Le Rhin se jette dans le Tibre.
Comme on pouvait s’en douter, le sort des schémas était dès lors compromis : ils allaient être beaucoup plus discutés que prévu, voire même rejetés.
De ce fait, quand arriva la fin de la session, non seulement le concile n’était pas terminé, mais aucun texte n’avait été voté. Selon Ralph Wiltgen, qui s’en étrangle, « le théologien allemand Ratzinger » (expert du cardinal Frings) déclara que cela constituait « le grand, l'étonnant résultat, véritablement positif, de la première session », car c’était la preuve d'une « forte réaction contre l'esprit qui avait sous-tendu le travail préparatoire », et c’était «la note véritablement caractéristique, et qui ferait époque, de la première session du Concile ».
Ainsi pouvait-on voir le fossé entre les « traditionalistes », qui se désolaient de voir le concile préparé par la curie saboté par les « libéraux » et « progressistes », et ces dits « libéraux » qui s’en réjouissaient…
Il y a derrière tout cela un grand malentendu.
