L'évangile de ce jour insiste sur le message de vendredi dernier sur la vigne (« le royaume de Dieu vous sera enlevé et sera donné à une nation qui en produira le fruit ») : il y avait beaucoup de veuves en Israël du temps d'Elie, lorsqu'il y eut une grande famine, mais c'est une veuve de Sarepta, dans le pays de Sidon, qu'Elie secourut. Et il y avait beaucoup de lépreux en Israël au temps d'Elisée, mais c'est Naaman le Syrien qu'il guérit. A ces mots de Jésus, dans la synagogue de Nazareth, tous ceux qui étaient présents, nous dit l'évangéliste, furent pris de colère et le conduisirent dans un endroit escarpé pour l'en précipiter. Ils avaient parfaitement compris le message, et plutôt que de reconnaître le Messie qui leur était d'abord envoyé, ils voulaient le tuer. Mais s'ils avaient mieux connu les prophètes ils auraient su que ce n'était pas à eux que reviendrait cet « honneur ». C'est pourquoi Jésus, passant au milieu d'eux, « allait ». La Vulgate a gardé l'imparfait grec, qui indique une action qui n'est pas ponctuelle : Jésus s'échappe à ce moment-là comme il le ferait en toute autre occasion analogue. Car il ne se laissera mettre à mort que lorsqu'il l'aura décidé.
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La veuve de Sarepta et le lépreux syrien
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3e dimanche de carême
L'évangile de ce dimanche commence par la guérison d'un homme possédé par un « démon muet ». Alors que la foule est dans l'admiration, certains se disent que c'est par Belzébuth que Jésus chasse les démons. Et d'autres lui demandent un signe du ciel. A ceux-ci, selon saint Luc, il ne répondra que plus tard, et sans même s'adresser à eux, en évoquant sur le mode prophétique « le signe de Jonas » (resté trois jours dans le ventre du poisson). Mais il répond d'abord à ceux qu'il n'a pas entendus, mais dont il « connaît les pensées » : c'est « par le doigt de Dieu » qu'il expulse les démons, et cela signifie que « le royaume de Dieu est arrivé ».
Tel est le véritable signe du ciel : la victoire sur le démon. Selon le paradoxe permanent de l'Evangile, ce signe est le contraire d'une glorieuse manifestation cosmique. Elle sera effective dans l'humiliation de la Croix, clef qui ouvre le Royaume.
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Le fils prodigue…
… et le fils aîné : « Il s'indigna, et ne voulait pas entrer. Son père sortit donc, et se mit à le prier. Mais, répondant à son père, il dit: Voilà tant d'années que je te sers, et je n'ai jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m'as donné un chevreau pour faire bonne chère avec mes amis; mais dès que cet autre fils, qui a dévoré son bien avec des prostituées, est revenu, tu as tué pour lui le veau gras. »
L'amertume ressentie par les hommes de bien à l'égard de Dieu révèle que l'obéissance dont ils font preuve suscite une amertume intérieure qui fait apparaître les limites de cette obéissance: dans leur for intérieur, ils auraient aimé, eux aussi, partir au loin, vers la grande liberté. Ils sont secrètement envieux de ce que l'autre a pu se permettre. Ils n'ont pas parcouru tout ce chemin qui a permis au plus jeune de se purifier et de comprendre ce que signifie la liberté, ce que signifie être fils. En réalité, ils portent leur liberté comme une servitude, sans être parvenus à la maturité de la véritable condition de fils. Eux aussi ont encore besoin de faire du chemin. Ce chemin, ils peuvent le trouver s'ils donnent tout simplement raison à Dieu, s'ils acceptent que sa fête soit aussi la leur. Par cette parabole, le Père nous parle à travers le Christ, à nous qui sommes restés au bercail, afin que, nous aussi, nous nous convertissions vraiment et que nous nous réjouissions de notre foi.
(...)
« Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi », lui dit le père, « et tout ce qui est à moi est à toi» (Le 15, 31). Il lui explique par là la grandeur d'être fils. Ce sont les mêmes mots que ceux par lesguels Jésus, dans sa prière sacerdotale, décrit sa relation au Père: « Tout ce qui est à moi est à toi comme tout ce qui est à toi est à moi» (Jn 17, 10).
Joseph Ratzinger, Jésus de Nazareth. -
Le maître de la vigne
Le symbolisme de la vigne était très clair pour les auditeurs de Jésus. Et pour ne laisser aucune ambiguïté, Jésus cite littéralement le début du chapitre 5 d'Isaïe : la clôture, le pressoir, la tour (on notera qu'il cite Isaïe dans le texte grec de la Septante - comme d'habitude).
La vigne de Dieu est Israël. Dans Isaïe, la vigne ne produit pas de bon raisin mais seulement du raisin sauvage, et Dieu l'abandonne aux ronces et détruit la clôture pour qu'elle soit dévastée.
C'est aussi le thème du psaume 79, qui donne une suite, en quelque sorte, en suppliant Dieu de restaurer sa vigne, et le fait dans une optique messianique : « Dieu des puissances, retourne-toi, regarde du haut du Ciel, et vois, et visite cette vigne, et protège celle que ta droite a plantée, et le fils de l'homme que tu as affermi pour toi. Elle a été brûlée par le feu, et arrachée ; devant ton visage menaçant l'on va périr. Etends ta main sur l'homme de ta droite, et sur le fils de l'homme que tu as affermi pour toi. Et nous ne nous éloignerons plus de toi ; tu nous rendras la vie, et nous invoquerons ton Nom. Seigneur, Dieu des puissances, rétablis-nous, et montre-nous ta face, et nous serons sauvés. »
Dans l'Evangile, Jésus donne l'ultime signification d'Isaïe et du psaume. Après avoir envoyé ses prophètes qui n'ont pas été écoutés et ont été maltraités, Dieu a envoyé le « fils de l'homme », mais les vignerons l'ont tué au lieu de se convertir. Dieu se tournera vers les païens, qui seront la nouvelle vigne, et qui feront ce que dit le psaume.
Les pharisiens comprennent très bien ce que dit Jésus, d'autant qu'il le dit ouvertement : « Le Royaume de Dieu vous sera enlevé, et sera donné à une nation qui rendra son fruit ». Alors « ils cherchaient à se saisir de lui, mais ils craignirent les foules, car elles le tenaient pour un prophète. » Néanmoins, Jésus a signé son arrêt de mort... -
Le pauvre Lazare
Benoît XVI a bien expliqué aux séminaristes de Rome que le christianisme n'est pas un moralisme. La parabole de ce jour en est une illustration, car elle a été travestie en morale alors qu'elle ne l'est pas, du moins au sens où ce mot est généralement compris.
On parle en effet souvent du « mauvais riche », ce qui laisse entendre qu'il s'agirait d'un homme sans scrupules, qui a amassé des richesses en exploitant ses semblables ou par des opérations louches. La parabole ne dit rien de tel.
Quant au pauvre Lazare, la parabole ne dit pas davantage qu'il serait un homme vertueux.
Le riche a pu devenir riche de façon parfaitement honnête, et le pauvre peut aussi bien être le seul responsable de sa misère.
Pourtant, après leur mort, le premier souffre dans les flammes de l'enfer, et le second jouit de la paix céleste.
L'explication se trouve dans l'épître de ce jour, un passage de Jérémie : « Maudit soit l'homme qui se confie en l'homme, qui met sa force en la chair, et dont le cœur s'éloigne du Seigneur. » Le sort de celui-là est celui du riche de la parabole : « Il habite les lieux brûlés du désert, une terre salée, solitaire. » En revanche, « heureux est l'homme qui se confie dans le Seigneur, et dont le Seigneur est l'espoir. Il est comme un arbre planté au bord des eaux ».
Lazare est le seul personnage, de toutes les paraboles, qui porte un nom. Ce nom veut dire : Dieu aide, Dieu a secouru, Dieu est mon secours. Dieu a secouru Lazare parce que Dieu est avec ceux qui souffrent, avec les pauvres, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas d'autre espoir que Dieu.
Ce pauvre a le même nom que l'ami de Jésus dans l'évangile de saint Jean. Ce Lazare-là était riche, mais il habitait Béthanie : la « maison du pauvre ». Et il y a un point commun essentiel entre ces deux Lazare, particulièrement en cette « montée vers Jérusalem » que constitue le carême.
La parabole se termine par cette réponse d'Abraham au riche : « S'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes, même si quelqu'un ressuscite des morts, ils ne croiront pas. » Or, à Béthanie, quelqu'un est ressuscité des morts : Lazare... Et ils n'ont pas cru.
Quelques jours plus tard, un autre ressuscitera des morts. Pour toujours. Et les riches, ceux qui ne mettent leur confiance qu'en eux, ne croiront pas. Tandis que tous les Lazare ressusciteront, parce qu'ils n'ont pas d'autre espérance qu'en Dieu, qui pour cela vient à leur secours. Bienheureux les pauvres en esprit, car le Royaume des cieux est à eux.
D'autre part, si le Lazare de la parabole a un NOM, c'est parce qu'il est une figure du Christ Dieu. Car c'est le Christ qui est le Pauvre par excellence, nu, couvert de plaies, et crucifié, et qui se fait le mendiant de l'amour auprès des riches. Et c'est lui qui s'appelle vraiment « Dieu est le secours ».
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Comme le Fils de l’homme
L'évangile de ce jour insiste sur l'enseignement de celui d'hier : quiconque veut être grand doit se faire serviteur, quiconque veut être le premier doit se faire esclave, « comme le Fils de l'homme, qui n'est pas venu pour se faire servir, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude ».
Et il commence explicitement par l'annonce de la Passion.... Et de la Résurrection. Car celui qui donne sa vie la reçoit en plénitude.
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Pour être un maître
Il n'y a qu'un seul père, le Père céleste, il n'y a qu'un seul maître, qu'une seule autorité : le Messie. Celui qui veut être le plus grand sera serviteur, de la même façon que le Messie est venu en serviteur. « Qui s'élèvera sera humilié, qui s'humiliera sera élevé. » Car la seule façon de s'élever est celle dont le Messie donne l'exemple : l'humiliation de la Croix.
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Vous saurez que Je Suis
« Quand vous aurez élevé le fils de l'homme, vous saurez que Je Suis. »
Quand vous aurez élevé le fils de l'homme : c'est-à-dire quand vous m'aurez fait mourir sur la croix. Mais vous m'aurez "élevé" sur la croix, et cette mort indique déjà que ma mort est une exaltation. Par la mort sur la croix, j'indique ma résurrection, mon élévation à la droite du Père. Et alors vous saurez que Je Suis. « Je Suis » qui ? Dans Ezechiel, on a 75 fois l'expression « et alors vous saurez que je suis YHWH ». Ça ne vous suffit pas ?
Trois versets plus tôt, il a répondu à la question posée directement : « Qui es-tu ? » : « Ten arkhen o ti kai lalo umin. »
« Ten arkhen ce que je vous dis ». Ten arkhen est a priori intraduisible, puisqu'il s'agit d'un accusatif, normalement un complément d'objet direct, mais qu'il n'y a pas de verbe permettant la construction avec un complément d'objet direct. On ne peut que remarquer que l'expression renvoie aux premiers mots de ce même évangile (de saint Jean) : En arkhe. Au principe.
Dans le contexte, il est clair, n'en déplaise aux traducteurs modernes, que Jésus affirme sa divinité, ici comme dans plusieurs autres versets de ce discours (« vous saurez que Je Suis »). Un grammairien a établi que l'accusatif peut s'utiliser dans le cas d'une interpellation véhémente, qui sous-entend « je vous dis que ». Or cette expression n'est même pas sous-entendue, elle est précisément la seconde partie de la phrase. Et l'interpellation est véhémente, car c'est ce que Jésus ne cesse d'essayer de leur faire comprendre. « Ten arkhen » : je suis le Principe, comme je ne cesse de vous le dire.
Et alors vous saurez que je suis le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob.
N.B. Le texte de l'évangile que Saint Augustin commente porte: "Ego sum principium, qui et loquor vobis." Et celui de saint Thomas d'Aquin: "Ego principium, qui et loquor vobis", ce qui est dans la liturgie l'antienne du Benedictus de ce jour. Au moyen âge il y avait un motet qui disait: "Ego principium et finis, qui loquor vobis" ("Je suis le principe et la fin, moi qui vous parle"), combinant le verset de saint Jean et celui de l'Apocalypse - de saint Jean: "Ego sum alpha et omega, principium et finis, dicit Dominus Deus : qui est, et qui erat, et qui venturus est, omnipotens".
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Deuxième dimanche de carême
L'évangile est celui de la Transfiguration. Pourtant, dans l'année liturgique, il y a déjà la fête de la Transfiguration, le 6 août. Pourquoi fêter ce même mystère en plein carême ?
En fait, il ne s'agit pas de célébrer la Transfiguration. Elle est ici à sa place dans le déroulement chronologique de la « montée vers Jérusalem ». Elle est lié à l'annonce de la Passion, que Jésus vient de faire aux apôtres. Le 6 août, nous célébrons la divinisation de la nature humaine, dans le Christ, et dans ceux qui croiront en lui (la date est sans doute celle de la dédicace d'une église édifiée sur le mont Thabor). Ce dimanche, Jésus se montre dans la gloire de sa divinité pour montrer à ses apôtres que sa Passion ne sera pas la fin tragique de l'aventure. Et pour nous donner le courage de marcher à sa suite dans le chemin qui mène à cette Passion : après le Vendredi Saint, il y a le dimanche de la Résurrection.
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Samedi des quatre temps de carême
Audi, benigne Conditor,
Nostras preces cum fletibus,
In hoc sacro jejunio
Fusas quadragenario.
Scrutator alme cordium,
Infirma tu scis virium :
Ad te reversis exhibe
Remissionis gratiam.
Multum quidem peccavimus,
Sed parce confitentibus :
Ad laudem tui nominis,
Confer medelam languidis.
Sic corpus extra conteri
Dona per abstinentiam :
Jejunet ut mens sobria
A labe prorsus criminum.
Præsta, beata Trinitas,
Concede, simplex Unitas,
Ut fructuosa sint tuis
Jejuniorum munera. Amen.
Toi, dont le seul vouloir règle nos destinées,
Seigneur, reçois nos vœux, écoute nos soupirs :
Jusqu'à toi par le jeûne élève nos désirs,
Durant ces quarante journées.
Tu lis au fond des cœurs, tu vois ce qui s'y passe ;
Tu connais notre faible, et nos manques de foi :
Pardonne à des pécheurs qui recourent à toi ;
Ne leur refuse pas ta grâce.
A force de pécher notre âme est toute noire ;
Mais laisse à ta bonté désarmer tes rigueurs ;
Si nous te demandons remède à nos langueurs,
Ce n'est que pour chanter ta gloire.
Si du jeûne au dehors la sévère abstinence
Abat notre vigueur, défigure nos traits,
Fais qu'au dedans de l'âme un jeûne de forfaits
Ramène la convalescence.
Immense Trinité qu'aucun ne peut comprendre,
Glorieuse unité par qui tout est produit,
A tes adorateurs daigne accorder le fruit
Que des jeûnes on doit attendre.
(Hymne des vêpres du carême, traduction adaptation Pierre Corneille)