Dante, La divine comédie, Le Paradis, chant XII, traduction Auguste Brizeux, éd. 1846.
Liturgie - Page 398
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Saint Dominique
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8e dimanche après la Pentecôte
L’évangile de ce jour est celui de « l’intendant infidèle ». Comme souvent, les traductions sont en deçà du texte. Il s’agit exactement de « l’économe de l’iniquité », comme dit la Vulgate, ou « de l’injustice ». Avec en grec l’article défini qui insiste sur le fait que cet économe, avec tout le sens positif et constructif du mot économie en grec, qui est passé dans la langue théologique : « l’économie du salut », est le représentant de l’injustice, l’incarnation même de l’iniquité.
Or c’est cet homme-là que loue le « kyrios », le « dominus », qui est sans doute le maître du domaine, mais qui est bel et bien, aussi, le Seigneur Dieu, le Christ, celui-là même qui va ajouter : « Et moi je vous dis », comme dans cette impressionnante suite de préceptes du chapitre 5 de saint Matthieu où Jésus reprend des commandements de la Loi et les modifie en disant « Et moi je vous dis », montrant la plénitude de son autorité divine.
Le Kyrios va donc faire l’éloge de l’économe de l’iniquité, de ce personnage si abject qu’il contredit radicalement sa fonction. Parce qu’il a agi « avec sagesse », « de façon sensée ». Nouvelle contradiction. Pour nous montrer de façon brutale que les enfants de ce siècle sont plus habiles que les enfants de lumière pour arriver à leurs fins. Or notre fin est le Royaume éternel. Nous devons donc utiliser le « Mammon d’iniquité » (là encore, les traductions sont fautives : il s’agit de la richesse divinisée, donc un faux dieu) de façon à être reçus dans les tentes éternelles, celles du vrai Dieu. Oui, il s’agit bien de profit, et de profiter. Mais c’est le niveau où on le place qui fait la différence. Essentielle.
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Saint Alphonse de Liguori
Alors que les moralistes laxistes et jansénistes, par leurs exagérations en faveur du probabilisme ou contre lui, avaient contribué à faire perdre jusqu’au sens moral à la classe la plus cultivée et la plus aisée, les Ordres religieux, dans le royaume de Naples, s’étaient comme repliés sur eux-mêmes, attentifs à conserver leur patrimoine et à défendre contre l’État, les évêques et les barons, leurs immunités et leurs exemptions. Quant à la Cour, elle regardait l’Église comme ayant confisqué à son avantage les droits de la couronne ; et, par l’intermédiaire de Tanucci elle préparait déjà un système de lois éversives, pour substituer au pouvoir pontifical le pouvoir royal jusque dans les intimes retraites du sanctuaire. Le clergé du royaume de Naples était nombreux, mais la vocation ecclésiastique était considérée fort souvent comme une simple carrière, assurant au candidat les revenus d’un bénéfice. Il ne faut donc pas s’étonner si, en un tel état de choses, le peuple des campagnes était abandonné à lui-même, plongé dans l’ignorance et dans le vice.
A de si grands maux, saint Alphonse vint enfin apporter remède, revêtu de la triple mission de docteur, d’évêque et de fondateur d’une nouvelle famille religieuse. Comme docteur, il traça la voie moyenne entre les excès des laxistes et ceux des rigoristes ; il popularisa dans ses livres ascétiques la piété catholique, la dévotion à Marie, à Jésus au Saint-Sacrement, à la Passion, et défendit contre les disciples de Tanucci les droits suprêmes de l’Église et du Pape. Pour cela il fut parfois obligé de faire imprimer ses œuvres en cachette et hors du territoire napolitain.
Comme apôtre et évêque, saint Alphonse se proposa d’imiter le Divin Rédempteur dans ses courses évangéliques à travers les villages de la Galilée et de la Judée, et il fonda une congrégation de missionnaires qu’il destina spécialement, non aux cités populeuses, mais aux pauvres paysans et aux montagnards.
Enfin, fondateur d’une nouvelle famille religieuse, le Saint a le mérite d’en avoir adapté les buts aux besoins du temps, et d’avoir mené à bonne fin son édifice spirituel à travers mille contradictions. Au lieu de fonder de nouveaux ordres réguliers, le pouvoir royal voulait alors supprimer les anciens, et allait jusqu’à exiger de Clément XIV la suppression de la Compagnie de Jésus.
Que la congrégation fondée par Alphonse ait pu demeurer pendant un si grand nombre d’années flottant en pleine mer orageuse, ce fut un vrai miracle. Le roi de Naples refusa jusqu’à la fin d’accorder l’exsequatur au décret pontifical d’approbation. Cet état illégal ne pouvait pas ne pas décourager les disciples mêmes du Saint ; aussi plusieurs d’entre eux désertèrent-ils ; les maisons de la Congrégation du Très-Saint-Rédempteur ouvertes dans l’État Pontifical finirent par proclamer un schisme, et exclurent de l’Institut le Fondateur lui-même, avec les maisons du royaume de Naples. Alphonse supporta tout avec sérénité ; il succomba bien au déchirement intérieur, mais confiant en Dieu il comprit quand il mourut (le 1er août 1787) que son sacrifice mettrait fin à l’épreuve. Après la mort de saint Alphonse la scène change : le Fondateur expulsé est élevé sur les autels, et sa congrégation étend ses frontières au delà de l’Italie et de l’Europe.
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Les 7 frères Maccabées
Les 7 frères martyrs dont on fait mémoire en ce jour, depuis toujours et sous toutes les latitudes (les plus anciens calendriers occidentaux et orientaux s’accordent sur le 1er août) n’étaient pas de la famille des héros Maccabées, dont deux livres de la Bible narrent les exploits pour rétablir les traditions judaïques dans un pays asservi et hellénisé. D’ailleurs on ne connaît même pas leurs noms. Ce qui est unique dans l’histoire de la liturgie, au moins quand les martyrs célébrés sont peu nombreux – mais on voit que même les 40 martyrs de Sébaste ont tous un nom.
Ce qui est unique également, dans la liturgie latine traditionnelle, est cette célébration de saints de l’Ancien Testament. On peut voir dans un sermon de saint Grégoire de Nazianze que ce culte était tout aussi insolite en Orient à son époque :
« Bien que leur culte ne soit pas établi en certains lieux, parce qu’ils n’ont pas soutenu leur combat après la venue du Christ, ils méritent cependant que tout le monde honore la générosité et la constance qu’ils ont montrées à observer les lois et les coutumes de leurs ancêtres. Puisqu’ils ont enduré le martyre avant la passion de Jésus-Christ, que n’auraient-ils point fait, s’ils avaient été persécutés après Jésus-Christ, avec l’exemple de la mort qu’il a soufferte pour notre salut ? Si telle a été leur vertu en l’absence de tout modèle, ne seraient-ils pas descendus avec plus d’ardeur dans la lice, ayant sous les yeux l’exemple du Sauveur ? Et même une raison mystérieuse et intime, très plausible pour moi et qui doit l’être à toutes les personnes qui aiment Dieu, porte à croire qu’aucun de ceux qui furent couronnés du martyre avant la venue de Jésus-Christ, n’a pu obtenir cette gloire que par la foi en Jésus-Christ. »
En effet, c’est dans la foi en Jésus-Christ que les martyrs de l’Ancien Testament purent puiser leur héroïsme. Et le récit du martyre de ces sept frères (en 166 avant Jésus-Christ) annonce quasi littéralement (hormis le prétexte de leur condamnation à mort) les récits de martyres chrétiens.
Il y a une autre raison à ce culte sans équivalent dans le calendrier liturgique. Ou plutôt un autre aspect de la raison invoquée par saint Grégoire de Nazianze : c’est que plusieurs de ces martyrs tiennent des propos qui sont les plus précis et explicites actes de foi en la résurrection – selon le Christ - que l’on puisse trouver dans l’Ancien Testament.
Le deuxième dit :
— Toi, ô le plus scélérat des hommes, tu nous perds pour la vie présente; mais le Roi du monde nous ressuscitera pour la vie éternelle, nous qui serons morts pour Ses lois.
Le troisième dit :
— J'ai reçu ces membres du Ciel; mais je les méprise maintenant à cause des lois de Dieu, parce que j'espère qu'Il me les rendra un jour.
Le quatrième dit :
— Il est avantageux que ceux qui sont livrés à la mort par les hommes puissent attendre de Dieu qu'Il les ressuscitera; car pour toi il n'y aura pas de résurrection pour la vie.
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Saint Ignace de Loyola
Les différents textes de cette messe rappellent très clairement la vie et les maximes du saint. L’Introït reproduit la grande devise de son institut : « Omnia ad majorem Dei gloriam. — Tout pour la plus grande gloire de Dieu ». A l’Épître, saint Ignace raconte ses labeurs évangéliques et nous exhorte à l’imiter. L’Évangile, récit de la mission des soixante-douze disciples, le range parmi les grands missionnaires qui parcoururent l’univers au nom du Sauveur. Le texte de la Communion est remarquablement frappant : « Je suis venu apporter le feu sur la terre, et que désiré-je, sinon qu’il s’allume ? » Ignem — Ignace ; il fut un vrai Prométhée qui transmit le feu divin à la terre. Et ce feu, où le recevons-nous de nouveau, lorsque notre cœur est froid ? Dans l’Eucharistie. La Secrète nous dit que Dieu « a placé la source de toute sainteté dans les mystères sacro-saints ».
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Saints Abdon et Sennen
Ces deux Persans furent martyrisés à Rome par Dèce, vers 250. Ils furent ensevelis au cimetière de Pontien, où se trouve la peinture représentant le Christ qui leur donne la couronne :
Puis leurs corps furent transférés en la basilique Saint-Marc (de Rome) et leur tombeau se trouve sous cet autel :
Un saint prêtre du Vallespir alla à Rome demander au pape des reliques pour conjurer divers fléaux. Il revint avec des reliques d’Abdon et Sennen, qui sont dans ces reliquaires à Arles-sur-Tech :
Il y a aussi à Arles-sur-Tech la « Sainte Tombe », un sarcophage paléo-chrétien, dont on extrait chaque année, au jour de la fête des saints Abdon et Sennen (qui ont été rayés du nouveau calendrier…) une eau miraculeuse. En 1910, l'abbé Craste, curé-doyen d'Arles, avait publié un ouvrage dans lequel il mettait au défi les "libres-penseurs" d'expliquer la présence de l'eau dans le sarcophage, leur promettant une récompense de mille francs si le mystère était éclairci. Personne n'a gagné cette somme, qui avait été déposée chez maître de Noëll, notaire à Arles-sur-Tech.
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Saint Laurent de Brindes
Pour mener la vie spirituelle, qui nous est commune avec les anges et les esprits célestes, créés comme nous à l'image et ressemblance de Dieu, il faut nécessairement le pain de la grâce du Saint-Esprit et de l'amour de Dieu. La grâce et l'amour ne sont rien sans la foi, car sans la foi il est impossible de plaire à Dieu. Et la foi ne peut naître sans la prédication de la parole de Dieu: La foi naît de ce qu'on entend; et ce qu'on entend, c'est l'annonce de la parole du Christ. La prédication de la parole de Dieu est donc nécessaire à la vie spirituelle, de même que les semailles à la vie corporelle. Aussi le Christ a-t-il dit: Le semeur est sorti pour semer. Celui qui est sorti pour semer, c'est le héraut de la justice, et ce héraut, nous savons par l'Écriture que ce fut Dieu lorsqu'il donna de vive voix, du haut du ciel, la loi de justice à tout le peuple dans le désert. Parfois ce fut l'Ange du Seigneur qui reprocha au peuple sa transgression de la loi divine, au lieu des Pleurs; si bien que tous les fils d'Israël, en entendant le discours de l'Ange, eurent le cœur transpercé et pleurèrent avec de grands cris. Moïse aussi prêcha la loi du Seigneur à tout le peuple, dans les champs de Moab, comme le rapporte le Deutéronome. Enfin le Christ, Dieu et homme, est venu prêcher la parole du Seigneur et envoya les Apôtres faire de même, comme auparavant il avait envoyé les prophètes. La prédication est donc une fonction apostolique, angélique, chrétienne, divine. Car la parole de Dieu est pourvue d'une valeur infinie, puisqu'elle est comme le trésor de tous les biens. C'est d'elle que viennent la foi, l'espérance, la charité, toutes les vertus, tous les dons de l'Esprit Saint, toutes les béatitudes évangéliques, toutes les bonnes œuvres, tous les mérites de la vie, toute la gloire du paradis: Accueillez la parole semée en vous, car elle peut sauver vos âmes. La parole de Dieu est une lumière pour l'intelligence, un feu pour la volonté afin que l'homme puisse connaître Dieu et l'aimer. Et pour l'homme intérieur, qui vit du Saint-Esprit par la grâce, elle est du pain et de l'eau. Mais du pain plus doux que le miel et le rayon, de l'eau meilleure que le vin et le lait. Elle est, pour l'âme spirituelle, un trésor de mérites, c'est pourquoi elle est appelée or et pierre très précieuse. Contre le cœur obstiné dans ses vices, elle est comme un marteau ; contre la chair, le monde et le démon, elle est une épée qui met à mort tout péché.
Extrait d’un sermon de carême
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6e dimanche après la Pentecôte
L’évangile de ce dimanche est le récit de la seconde multiplication des pains, selon saint Marc.
Il y a deux multiplications des pains parce que le Fils de Dieu s’est livré d’abord pour les juifs, ensuite pour les païens.
Les deux épisodes sont presque semblables, et ne diffèrent vraiment que par le lieu et les chiffres : par les données symboliques.
La première multiplication des pains a lieu en Galilée, et les bénéficiaires sont des juifs, dont le livre sacré est le Pentateuque, d’où les cinq pains (le peuple du Pentateuque étant donc au nombre de 5.000), et qui sont issus des 12 tribus d’Israël, d’où les 12 corbeilles.
La seconde multiplication des pains a lieu en Décapole païenne, et saint Marc (ou plutôt Jésus lui-même) insiste sur le fait que l’auditoire est païen en soulignant que « plusieurs d’entre eux sont venus de loin » (en fait tous les païens « viennent de loin » quand ils se convertissent). Cette fois il y a sept pains : le chiffre de la création et donc de la perfection cosmique. Le Christ est venu sauver tous les hommes, et même renouveler l’univers. Et il restera donc sept corbeilles de pain. Et il y a 4.000 hommes, le peuple venu des quatre points cardinaux dans l’Eglise.
L’autre différence est que Jésus précise : « Voilà trois jours qu’ils restent près de moi. »
Ces trois jours renvoient à la sortie d’Egypte, quand Moïse disait au pharaon que le peuple hébreu avait besoin de trois jours pour aller sacrifier à son Dieu dans le désert. La multiplication des pains a lieu sur une hauteur dans un désert : Jésus est donc Dieu.
Ces trois jours renvoient aussi aux noces de Cana, qui ont lieu mystérieusement un « troisième jour ». Noces de Cana où l’eau changée en vin annonce l’eucharistie, comme la multiplication des pains.
Enfin ces trois jours annoncent le mystère pascal. « Les douze tribus d’Israël retournent au désert, pour être rassasiées d’un pain supérieur à la manne, mais le monde païen, symbolisé par le chiffre 7, devient lui aussi l’objet de la compassion divine et découvre, après les trois jours de la passion et de la mort, le pain qui rassasie parce qu’il est la présence qui comble » (Jean Radermakers s.j.).
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Saint Vincent de Paul
Un extrait de l’étonnante lettre à M. de Comet, où il raconte sa captivité à Tunis.
Je fus vendu à un pêcheur, qui fut contraint de se défaire bientôt de moi, pour n’avoir rien de si contraire que la mer, et depuis par le pêcheur à un vieillard, médecin spagirique, souverain tireur de quintessences, homme fort humain et traitable, lequel, à ce qu’il me disait, avait travaillé cinquante ans à la recherche de la pierre philosophale, et en vain quant à la pierre, mais fort heureusement à une sorte de transmutation des métaux. En foi de quoi, je lui ai vu souvent fondre autant d’or que d’argent ensemble, les mettre en petites lamines, et puis mettre un lit de quelques poudres, puis un autre de lamines, et puis un autre de poudres dans un creuset ou vase à fondre des orfèvres, le tenir au feu vingt-quatre heures, puis l’ouvrir et trouver l’argent être devenu or ; et plus souvent encore congeler ou fixer de l’argent vif en fin argent, qu’il vendait pour donner aux pauvres. Mon occupation était à tenir le feu à dix ou douze fourneaux ; en quoi, Dieu merci, je n’avais plus de peine que de plaisir. Il m’aimait fort et se plaisait fort de me discourir de l’alchimie et plus de sa loi, à laquelle il faisait tous ses efforts de m’attirer, me promettant force richesses et tout son savoir.
Dieu opéra toujours en moi une croyance de délivrance par les assidues prières que je lui faisais et à la sainte Vierge Marie, par la seule intercession de laquelle je crois fermement avoir été délivré. L’espérance et ferme croyance donc que j’avais de vous revoir, Monsieur, me fit être assidu à le prier de m’enseigner le moyen de guérir de la gravelle, en quoi je lui voyais journellement faire miracle ; ce qu’il fit ; voire me fit préparer et administrer les ingrédients. (…)
Je fus donc avec ce vieillard depuis le mois de septembre 1605 jusques au mois d’août prochain, qu’il fut pris et mené au grand sultan pour travailler pour lui mais en vain, car il mourut de regret par les chemins. Il me laissa à un sien neveu, vrai anthropomorphite, qui me revendit tôt après la mort de son oncle, parce qu’il ouit dire comme M. de Brèves, ambassadeur pour le roi en Turquie, venait, avec bonnes et expresses patentes du Grand Turc, pour recouvrer les esclaves chrétiens.
Un renégat de Nice, en Savoie, ennemi de nature, m’acheta et m’en emmena en son temat ; ainsi s’appelle le bien que l’on tient comme métayer du Grand Seigneur, car le peuple n’a rien ; tout est au sultan. Le temat de celui-ci était dans la montagne, où le pays est extrêmement chaud et désert. L’une des trois femmes qu’il avait (comme grecque-chrétienne, mais schismatique) avait un bel esprit et m’affectionnait fort ; et plus à la fin, une naturellement turque, qui servit d’instrument à l’immense miséricorde de Dieu pour retirer son mari de l’apostasie et le remettre au giron de l’Église, fit me délivrer de mon esclavage. Curieuse qu’elle était de savoir notre façon de vivre, elle me venait voir tous les jours aux champs où je fossoyais, et après tout me commanda de chanter louanges à mon Dieu. Le ressouvenir du Quomodo cantabimus in terra aliena des enfants d’Israël captifs en Babylone me fit commencer, avec la larme à l’œil, le psaume Super flumina Babylonis et puis le Salve, Regina, et plusieurs autres choses ; en quoi elle prit autant de plaisir que la merveille en fut grande. Elle ne manqua point de dire à son mari, le soir, qu’il avait eu tort de quitter sa religion, qu’elle estimait extrêmement bonne, pour un récit que je lui avais fait de notre Dieu et quelques louanges que je lui avais chantées en sa présence ; en quoi, disait-elle, elle avait un si divin plaisir qu’elle ne croyait point que le paradis de ses pères et celui qu’elle espérait fut si glorieux, ni accompagné de tant de joie que le plaisir qu’elle avait pendant que je louais mon Dieu, concluant qu’il y avait quelque merveille.
Cet autre Caïphe ou ânesse de Balaam fit, par ses discours, que son mari me dit dès le lendemain qu’il ne tenait qu’à commodité que nous ne nous sauvassions en France, mais qu’il y donnerait tel remède, dans peu de temps, que Dieu y serait loué. Ce peu de jours furent dix mois qu’il m’entretint en ces vaines, mais à la fin exécutées espérances, au bout desquels nous nous sauvâmes avec un petit esquif et nous rendîmes, le vingt-huitième de juin, à Aigues-Mortes et tôt après en Avignon, où Monseigneur le vice-légat reçut publiquement le renégat, avec la larme à l’œil et le sanglot au gosier, dans l’église de Saint-Pierre, à l’honneur de Dieu et édification des spectateurs. Mondit seigneur nous a retenus tous deux pour nous mener à Rome, où il s’en va tout aussitôt que son successeur à la trienne qu’il acheva le jour de la saint Jean, sera venu. Il a promis au pénitent de le faire entrer à l’austère couvent des Fate ben fratelli où il s’est voué, et à moi de me faire pourvoir de quelque bon bénéfice. Il me fait cet honneur de me fort aimer et caresser, pour quelques secrets d’alchimie que je lui ai appris, desquels il fait plus d’état, dit-il, que si io li avesse datto un monte di oro, parce qu’il y a travaillé tout le temps de sa vie et qu’il ne respire autre contentement.
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Sainte Symphorose et ses fils
Huit jours après la fête des sept fils martyrs de sainte Félicité, voici la fête de sainte Symphorose et de ses sept fils martyrs.
L’une et l’autre paraissent évidemment décalquées du martyre des sept frères Maccabées et de leur mère, raconté dans la Bible. Pourtant l’histoire de sainte Félicité et de ses sept fils ne peut être mise en doute que par de faux experts de particulière impiété et mauvaise foi, puisqu’il s’agit d’une des plus anciennes fêtes romaines de martyrs, avec ses quatre messes (aux quatre lieux du martyre), et même cinq avec la vigile.
Sainte Félicité et ses fils furent mis à mort à Rome sous Marc-Aurèle, l’empereur philosophe, vers 162. Sainte Symphorose et ses sept fils les avaient précédés : sous le raffiné Hadrien, à Tivoli, peu après la fin de la construction de la fameuse villa d’Hadrien (134), classée au patrimoine mondial de l’Unesco parce qu’elle « reproduit les meilleurs éléments des cultures matérielles d'Égypte, de Grèce et de Rome sous la forme d'une “cité idéale” ». Or c’est précisément à cause de cette « cité idéale » que Symphorose et ses fils furent mis à mort : les prêtres païens ne pouvaient pas procéder aux sacrifices de la dédicace à cause des prières chrétiennes…
Le martyrologe d’avant la révolution liturgique dit :
« A Tivoli, sainte Symphorose, épouse du martyr saint Gétule, avec ses sept fils. Sous l’empereur Adrien, après l’avoir frappée pendant quelque temps au visage, on la suspendit par les cheveux, puis on la précipita, une grosse pierre au cou, dans le fleuve. Ses fils furent attachés sur des pieux et leurs membres disloqués au moyen de poulies ; ils souffrirent le martyre de diverses manières. »
Pour le nouveau martyrologe, on a décidé que cette histoire n’était « pas crédible ». On a décidé que les soi-disant fils étaient divers martyrs dont on avait regroupé la fête avec celle de Symphorose. Et on en a supprimé le culte.
Pourtant le cardinal Schuster, qui écrivait lui aussi au XXe siècle et qui est, lui, béatifié, affirmait :
« Le texte de leurs Actes n’est pas le texte primitif ; cependant, au milieu de quelques scories se trouve beaucoup d’or, en sorte que, dans l’ensemble, cette narration est considérée comme authentique. »
Depuis 1762 cette fête est supplantée par celle de saint Camille de Lellis. Laquelle cependant n’est jamais entrée dans les calendriers bénédictins, qui ont toujours et seulement en ce 18 juillet la commémoraison des martyrs de Tivoli.