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Saint Jean

La lecture du premier nocturne des matines est le début de la première épître de saint Jean. Cette épître est donc par excellence le texte biblique du jour. Et cela pour une raison précise : elle commence par un véritable hymne à l’incarnation. Et saint Jean est tellement ému d’évoquer ce mystère qu’il en bafouille. D’autre part, les mots qu’il utilise sont à examiner de près, car ils sont d’une particulière richesse :

Ce qui était (ce qui fut, dit la Vulgate)

depuis le commencement (dès le commencement ; le deuxième mot est le même que le deuxième mot de son évangile, arkhè, et fait donc allusion au Principe, même si on ne peut pas vraiment traduire « dès le principe » - et c’est pourquoi la Vulgate, ne voulant pas confondre l’imparfait de « ce qui était » avec l’imparfait d’éternité des premiers mots de l’évangile, choisit le prétérite)

ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux (les verbes sont au parfait, ce qui ici renforce l’affirmation : ce que nous avons réellement, parfaitement entendu de nos oreilles et parfaitement vu de nos propres yeux)

ce que nous avons contemplé (le verbe est celui qui a donné le mot théâtre, il fut d’abord utilisé pour parler de choses qui suscitent l’étonnement ou l’admiration, d’où son sens d’être spectateur au théâtre, mais dans le Phédon Platon l’utilise pour dire : contempler le vrai et le divin)

et que nos mains ont touché (le verbe n’est pas celui qui est utilisé habituellement pour dire toucher, il est celui qui veut dire d’abord tâter dans l’obscurité, puis palper, c’est celui qu’utilise le Christ après sa résurrection quand il demande aux apôtres de le palper pour constater qu’il n’est pas un fantôme)

concernant le Verbe de la Vie

La traduction fréquente de ces derniers mots : « la parole de vie » oublie qu’il y a l’article défini devant « vie ». Et elle est gravement fautive vu ce qui suit. Car saint Jean, à ces mots, rompt la phrase, et rebondit sur cette « Vie » qu’il vient d’évoquer. Il ne s’agit pas d’une parole de vie, il s’agit bien du Verbe de la Vie, sinon il ne s’interromprait pas pour s’exclamer :

Et la Vie a été manifestée (ou : s’est manifestée, ou : est apparue – Mais oui ! la Vie s’est manifestée et nous est apparue !)

et nous l’avons vue (au parfait : nous l’avons bel et bien vue, réellement),

nous en témoignons (nous en rendons témoignage, nous l’attestons – c’est le mot habituel du témoignage, qui a donné « martyr »),

et nous vous annonçons la vie éternelle, qui était auprès du Père (imparfait d’éternité) et qui a été manifestée (ou : s’est manifestée, ou : est apparue).

Et alors saint Jean reprend le cours de sa phrase pour l’achever, en reprenant les verbes au parfait qui étaient restés en suspens :

Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous. Or notre communion est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ.

La Vie, dans ce texte, la Vie qui est éternelle et qui est le Christ, c’est zoè (ἡ ζωὴ). Par opposition à l’autre vie que l’on verra quelques versets plus loin (2, 16) : bios (βίος), mot utilisé pour parler de la vie bio-logique, pour dire passer sa vie, finir sa vie, etc. C’est dans l’énumération de ce qu’on a appelé les trois concupiscences : « la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la vie ».

Mais il y a là une anomalie : même un enfant qui apprend à lire peut constater qu’il n’y a pas trois, mais deux concupiscences. C’est le prurit très occidental de systématisation et de classification rationnelle qui a conduit à inventer trois concupiscences alors qu’il n’y en a que deux. Et du coup on en est même venu à ne pas comprendre ce que disait saint Jean, et à inventer des traductions fantaisistes. Par exemple celle de la Bible de Jérusalem : « l’orgueil de la richesse », ou la prétendue Bible de la liturgie : « l’arrogance de la richesse ». La TOB se permet de gloser et d’interpréter : « la confiance orgueilleuse dans les biens »… Quant à la soi-disant Bible des peuples, marquée par la soi-disant théologie de la libération, elle n’hésite pas à stigmatiser « l’arrogance des riches »…

Mais le mot est bien « bios », traduit dans la Vulgate par « vita ». Il s’agit de la vie. Certes, le mot peut aussi désigner, éventuellement, selon le contexte, les moyens nécessaires à la vie, des moyens de subsistance, mais jamais les richesses.

ἡ ἀλαζονεία τοῦ βίου (è alazoneia tou biou) est logiquement traduit dans la Vulgate par : « superbia vitae ». La superbe, ce n’est pas simplement l’orgueil. Le mot grec veut dire essentiellement vantardise, jactance. Saint Cyprien avait traduit : jactantia hujus vitae. La jactance de cette vie. L’expression utilisée par saint Jean désigne quelque chose de plus grave que les deux concupiscences qu’il vient d’évoquer, et qui dépendent de ce troisième élément. Le Père Spicq explique :

« Si saint Jean n’a point mentionné une troisième épithumia : “la convoitise des richesses”, c’est précisément parce qu’il visait un vice plus grave que l’ostentation des riches ou leur arrogance vis-à-vis des pauvres. Il oppose à Dieu l’orgueil d’une créature, maîtresse de son existence, qui décide et dirige le cours de sa vie sans tenir compte de Dieu. Cette suffisance est la contradiction même du devoir absolu d’adorer Dieu et le servir religieusement. »

Ce que vise ici saint Jean, ce n’est pas la cupidité, c’est l’illusion de se croire autonome, autosuffisant, ne devant sa vie et son salut qu’à soi-même.

Commentaires

  • Permettez une question de béotien sans doute: quel livre contient tous ces textes de mâtinés ou autres que vous commentée? J'entends un livre que je pourrais commander à un bon libraire. Un bréviaire monastque? Bilingue latin français? Merci pour ces gloses toujours passion à Nantes.

  • Je ne veux pas répondre à la place de Yves, mais l'abbaye du Barroux compte sortir un jour ou l'autre un nocturnal monastique.

  • A ma connaissance il y a eu deux bréviaires romains latin-français édités au XXe siècle: par Labergerie en 1934 et 1960, et celui du P. Barbara dans les années 80 (?). Je n'en vois aucun en ce moment d'occasion sur internet.

    Google a numérisé plusieurs anciens bréviaires romains latin-français et le bréviaire bénédictin de 1725.

    Quand je fais référence aux matines sans précision, il s'agit des matines du bréviaire romain (et ici pour saint Jean c'est le même texte dans le bréviaire monastique).

    "Passion à Nantes", c'est marrant...

  • Oui. vous avez raison.

    J'ai répondu seulement à la question sur le texte des matines que je commentais.

    Le bréviaire de 1960 est de fait inutilisable quant aux psaumes.

    En ce qui concerne les matines, la réforme de Jean XXIII les a en effet terriblement sabrées, mais le texte de saint Jean dont je parle s'y trouve toujours.

    Quoi qu'il en soit je ne vois aucun bréviaire latin-français en vente sur internet.

  • ''Passion à Nantes'' était involontaire. Ces Marthe-faunes!

  • Merci pour vos articles sur la bible (merci pour vos défenses de la Vulgate!même chez les tradis, c'est rare), et plus généralement pour tout ce dont vous nous informez et que vous commentez avec humour. Parfois certains soirs, en voyant tout ce que vous avez écrit et dû rechercher sur internet, j'ai mal aux yeux pour vous. Prenez soin de votre vue.
    Un point cependant me dérange. En mars 2013, vous aviez écrit (à peu près) : "je suis catholique, je ne vais pas taper sur le pape tout le temps. Donc, c'est simple, je ne parlerai plus de François." Vous avez tenu votre résolution quelques semaines, et puis, depuis... Contrairement à ce que vous aviez espéré, les papolâtres, bien loin de se convertir, sont plus que jamais les thuriféraires de François. Il est vain d'essayer de leur ouvrir les yeux. Et pour moi, il y a une différence entre rétablir la vérité quand une erreur (ou un mensonge) a été proféré, et réagir dès qu'on n'est pas d'accord (par exemple, votre article sur le savon passé à la curie : quel intérêt?)
    Très bonne année 2015.

  • Mes réactions aux faits et gestes de François sont absolument arbitraires, et j'assume.

  • "les papolâtres, bien loin de se convertir, sont plus que jamais les thuriféraires de François".

    Ce n'est pas exact. Voyez par exemple Vittorio Messori:
    http://benoit-et-moi.fr/2014-II/actualites/franois-ce-que-dit-messori.html

    ou Damian Thompson:
    http://benoit-et-moi.fr/2014-II/actualites/franois-les-doutes-de-damian-thompson.html

    lequel écrit:

    "Ma confiance dans le Pape François n'est plus solide comme il y a un an, et cela est le cas d'innombrables prêtres et laïcs croyants qui ne se sont jamais identifiés avec les traditionalistes durs qui ont commencé à critiquer «Bergoglio» depuis le moment où il est apparu au balcon de Saint Pierre."

  • Le bréviaire de la bergerie de 1960 utilise le psautier de Pie XII, ce qui est rédhibitoire sauf si seuls les textes français sont utiles.
    La réforme de Jean XXIII a réduit à un nocturne certaines matines. J'imagine que cela s' accompagne d'une réduction des leçons ?
    Je doute de la qualité du millésime 1960.

  • Merci à Yves Daoudal comme à Quaerere Deum pour ces réponses.

  • @Monsieur Daoudal:
    "Mes réactions aux faits et gestes de François sont absolument arbitraires, et j'assume."
    Alors on est deux!
    Par ailleurs vos deux mots "absolument arbitraires", personnellement ne s'adresse pas à vous mais à ce Pape François: Les faits et gestes de François sont absolument arbitraires et il l'assume.
    Vous, vous constatez simplement.
    Pour moi cela me paraît plus juste dans vos pensées. Mais je ne suis pas vous, mais bien moi.

  • Le Barroux vend depuis peu un diurnal romain latin - français, mais ce n'est pas exactement ce que nous voulons.
    Reste le nocturnal monastique en préparation.

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