Selon la légende, saint Ubald, l’évêque de Gubbio, avait légué son anneau à son camérier, ou selon une autre version il lui devait des gages quand il est mort. Quoi qu’il en soit, l’homme, pour récupérer l’anneau, dut tirer tellement fort sur le pouce où il se trouvait que le doigt lâcha… Il s’empressa de cacher le pouce et son anneau dans son bâton, et il partit pour son pays, la Lorraine ou les Pays-Bas. Le 1er juillet 1161 (un mois et demi après la mort de saint Ubald), il se trouvait dans la vallée de la Thur. Plantant son bâton au pied d’un arbre, il s’endormit. A son réveil, impossible de retirer le bâton du sol (ou de l’arbre contre lequel il l’avait posé). Alors qu’il tirait de toutes ses forces, trois flammes (ou trois étoiles) jaillirent des arbres. Ce que vit de son château le comte Engelhard de Ferrette. Celui-ci accourut, et il décida, en accord avec le serviteur de saint Ubald, qu’on construirait une chapelle à cet endroit. Alors le bâton se détacha. Et l’on fit une chapelle pour la relique de saint Ubald, que l’on plaça dans un reliquaire en forme de pouce, puis dans le village de Thann (« sapin ») qui s’édifia on construisit une splendide église gothique, Saint-Thiébaut, qui devint un important centre de pèlerinage.
Il fallait, dira-t-on, être naïf, autrefois, et aujourd’hui particulièrement demeuré, pour croire une telle histoire, dont la première version publiée date du début du XVIIe siècle. A l’époque des « faits », le comte de Ferrette ne s’appelait pas Engelhard mais Louis et il n’était pas encore seigneur du coin, il était seigneur de Vadans dans le Jura et d’une partie d’Engisheim qui se trouve près de Colmar et non à l’ouest de Mulhouse. Il y a sans doute une confusion avec le château d’Engelbourg, encore que de ce château l’éventuel seigneur local ne pouvait pas voir les éventuelles flammes de sapins. Il n’y a pas vraiment de rapport entre « Ubald » et « Thiébaut », et il est manifeste que le clergé local a inventé cette histoire pour développer un fructueux pèlerinage en assimilant un obscur saint local au célèbre thaumaturge italien.
Enfin, on a tout simplement la preuve concrète de l’inanité de la légende, puisque le corps de saint Ubald s’est momifié et qu’il est en parfait état de conservation, et que dès 1593 un rapport sur l’état du corps soulignait : « Corpus inventum intactum cum omnibus suis partibus nullo carens digito nec alio membro. » « Le corps a été trouvé intact avec toutes ses parties, il ne manque aucun doigt ni autre membre. »
Tel était l’état de la question, jusqu’en… 1975. Cette année-là, des experts des Musées du Vatican furent chargés d’examiner le corps de saint Ubald, pour vérifier son état de conservation et le nettoyer. Et ils découvrirent qu’il manquait à son auriculaire droit un fragment de peau. De peau arrachée et non découpée. Et de l’exacte dimension de la relique de Thann, qui se trouve être un morceau de peau et non un pouce.
Autrement dit l’essentiel de la « légende » est vrai.
S’il reste des historiens honnêtes, tant hors de l’Eglise que dans l’Eglise, cette histoire devrait leur donner à réfléchir…
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Le 30 juin de chaque année, à Thann, après les premières vêpres solennelles de saint Thiébaut, on allume trois « sapins », qui sont des assemblages de bois particulièrement combustibles (et l’on finit par un feu d’artifice).
A Gubbio, la fête de saint Ubald a comme particularité (au soir du 15 mai) trois cierges géants portés en procession à dos d’hommes.
(L’impressionnante statue de « saint Thiébaut », dans l’église de Thann, a été sculptée vers 1500.)
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