« Quelques Gentils, de ceux qui étaient venus pour adorer au jour de la fête, s’approchèrent donc de Philippe, qui était de Bethsaïda, en Galilée, et le prièrent en disant : Seigneur, nous voudrions voir Jésus. Philippe alla le dire à André, et André et Philippe le dirent à Jésus ». Ecoutons ce que le Seigneur répondit à cela : voilà que les Juifs veulent le tuer, les Gentils veulent le voir ; mais ceux qui criaient : « Béni soit le roi d’Israël qui vient au nom du Seigneur », étaient aussi du nombre des Juifs. Les uns viennent de la circoncision, les autres de la gentilité, comme deux murs qui s’avancent de différents côtés et se réunissent en un baiser de paix dans l’unique foi du Christ. Ecoutons donc la voix de la pierre angulaire. « Jésus leur répondit : L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. » Quelqu’un pensera peut-être que Jésus dit qu’il va être glorifié, parce que des Gentils voulaient le voir ; mais non : il voyait qu’après sa passion et sa résurrection les Gentils croiraient en lui par toute la terre ; « car, selon l’expression de l’Apôtre, une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement jusqu’à ce que la plénitude des Gentils entre dans l’Eglise ». A l’occasion de ces Gentils qui voulaient le voir, il annonce la future plénitude des Gentils, et il promet que déjà est proche l’heure de sa glorification, les nations devant croire en lui quand cette glorification aura eu lieu dans le ciel. C’est pourquoi il a été dit d’avance : « Mon Dieu, élevez-vous au-dessus des cieux, et que votre gloire couvre toute la terre ». Voilà la plénitude des nations, dont l’Apôtre dit : « L’aveuglement est tombé sur une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entre dans l’Église ».
Mais comme la grandeur de sa glorification devait être précédée par les abaissements de sa passion, il ajouta ensuite : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de froment jeté en terre ne meurt pas, il demeure seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit ». C’est de lui-même qu’il parlait : il était le grain qui devait être mis à mort et se multiplier ensuite ; il devait être mis à mort par l’incrédulité des Juifs et se multiplier par la foi des peuples.
Puis il nous exhorte à suivre les traces de sa passion : « Celui, dit-il, qui aime sa viee la perdra ». Ce qui peut s’entendre de deux manières : « Celui qui aime perdra », c’est-à-dire : Si tu aimes, perds, si tu veux conserver la vie dans le Christ, ne crains pas de mourir pour lui ; ou bien, d’une autre façon : « Celui qui aime sa vie la perdra », c’est-à-dire : n’aime pas pour ne pas perdre, n’aime pas en cette vie pour ne pas perdre en la vie éternelle. Ce dernier sens paraît mieux s’accorder avec le texte de l’Evangile ; car il ajoute : « Et celui qui hait sa vie en ce monde, la gardera pour la vie éternelle ». Donc quand il est dit plus haut : « Celui qui aime », sous-entendu en ce monde, celui-là perdra. Mais « celui qui hait en ce monde », la gardera pour la vie éternelle. Grande et étonnante sentence ! L’homme a pour sa vie un amour qui la fait périr, et une haine qui l’empêche de périr. Si tu aimes mal, tu détestes ; si tu hais de la bonne manière, tu aimes. Heureux ceux qui savent haïr pour conserver, de peur de perdre en aimant.
Mais prends-y garde : qu’il ne te vienne pas à l’esprit de te tuer, dans la pensée que tu dois ainsi haïr ta vie en ce monde ; c’est par ce principe que quelques hommes méchants et pervers, cruels et détestables, homicides d’eux-mêmes, se jettent dans les flammes ou dans l’eau, ou dans les précipices, et se donnent la mort. Ce n’est pas là ce que le Christ nous apprend ; au contraire, lorsque le diable lui proposa de se jeter du haut en bas du temple, il lui répondit : « Retire-toi, Satan, il est écrit : Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu ». Pour annoncer à Pierre par quelle mort il devait glorifier Dieu, il lui dit : « Lorsque tu étais jeune, tu te ceignais toi-même et tu allais où tu voulais ; mais quand tu seras vieux, un autre te ceindra et te portera où tu ne veux pas ». Par là, Jésus-Christ marquait assez que celui qui veut suivre son exemple doit être tué, non pas par lui-même, mais par un autre. Si telle circonstance se présentait, où l’on serait placé dans l’alternative de faire quelque chose contre la loi de Dieu, ou de perdre la vie, et qu’un persécuteur, par ses menaces de mort, obligeât à prendre l’un des deux partis, en choisissant de mourir pour l’amour de Dieu, plutôt que de vivre en l’offensant, alors on hait son âme en ce monde, afin de la garder pour la vie éternelle.
Saint Augustin, traité 51 sur saint Jean (8-10).
Naturellement la soi-disant Bible de la liturgie a supprimé le verbe « haïr » qui est banni de la néo-liturgie et du néo-christianisme. Ce faisant la forte et frappante antithèse typiquement hébraïque, et donc biblique, et donc à garder impérativement, est détruite, le texte perd son balancement, et les explications des pères peuvent et doivent être mises à la poubelle…