Saint Laurent, le gril et l'armoire aux quatre évangiles, mausolée de Galla Placidia, Ravenne.
Saint Laurent était archidiacre. Le persécuteur, dit-on, lui demandait les richesses de l'Église, et c'est pour les obtenir qu'il lui fit endurer cette multitude de tourments dont le seul récit fait horreur. Placé sur un gril, il y eut tous les membres brûlés, il y sentit les ardeurs cuisantes de la flamme ; mais il avait une telle vigueur de charité, qu'aidé de Celui qui la lui avait donnée, il triompha de toutes les tortures corporelles. « Nous sommes en effet l'ouvrage de Dieu, ayant été créés dans le Christ Jésus pour les bonnes œuvres que Dieu a préparées afin que nous y marchions. » Voici même ce qu'il fit pour exciter la colère du persécuteur, non dans le but de l'irriter, mais de témoigner de sa foi devant la postérité et de montrer avec quelle sécurité il recevait la mort. « Fais venir avec moi, dit-il, des véhicules, afin que je t'amène les richesses de l'Église. » On lui envoya ces véhicules ; il les chargea de pauvres et ordonna qu'on les reconduisît ; il disait : « Ce sont là les richesses de l'Église. » Ce qui est indubitable, mes frères : la grande fortune des chrétiens consiste en effet dans les besoins des pauvres ; pourvu toutefois que nous sachions où il nous faut conserver ce que nous possédons. Devant nous sont les pauvres ; si nous leur donnons pour conserver, nous ne perdons rien. Ne craignons pas qu'on nous enlève quoi que ce soit : tout est gardé par Celui qui nous a tout donné. Comment découvrir un gardien plus sûr, un plus fidèle débiteur ?
Animés de ces pensées, imitons courageusement les martyrs, si nous voulons profiter des solennités que nous célébrons. C'est ce que nous avons toujours dit, mes frères, c'est ce que nous n'avons jamais cessé de vous répéter. Il faut donc aimer l'éternelle vie, mépriser la vie présente, se bien conduire et compter sur le bonheur. Que celui qui est mauvais, change ; qu'une fois changé, on l'instruise ; une fois instruit il doit persévérer. « Qui persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé. »
Mais beaucoup de méchants tiennent tant de mauvais propos. - Que voudrais-tu ? Que le bien naquît du mal ? Ne cherche pas le raisin sur des épines ; on te l'a défendu. « La bouche parle de l'abondance du cœur. » Si tu peux quelque chose, si tu n'es pas méchant toi-même, souhaite au méchant de devenir bon. Pourquoi maltraiter les méchants ? - Parce qu'ils sont méchants, reprends-tu. - Mais en les maltraitant tu te joins à eux. Voici un conseil : Un méchant te déplaît ? fais qu'il n'y en ait pas deux. Tu le réprimandes, et tu te joins à lui ? Tu le condamnes et tu fais comme lui ? Tu veux par le mal triompher du mal ? Triompher de la méchanceté par la méchanceté ? Il y aura alors deux méchancetés qu'il faudra vaincre l'une et l'autre. Ne connais-tu pas le conseil que ton Seigneur t'a fait donner par son Apôtre : « Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais surmonte le mal par le bien » ? Il est possible que cet homme soit pire que toi ; mais comme tu es mauvais ici, il y a deux méchants, et je voudrais que l'un de vous au moins fût un homme de bien. Enfin on le maltraite jusqu'à le faire mourir. Pourquoi le maltraiter encore après la mort, quand son cadavre est insensible et qu'on ne déploie plus contre lui qu'une rage coupable et stérile ? C'est de la folie, et non de la vengeance.
Que vous dirai-je encore, mes frères, que vous dirai-je ? De n'aimer pas ces désordres ? Irai-je croire que vous les aimez ? Loin de moi d'avoir sur vous de telles idées ! Il ne suffit pas, non il ne suffit pas que vous ne les aimiez point ; on doit exiger de vous autre chose. Nul ne doit se contenter de dire : Dieu sait que je ne voulais pas qu'on fît cela. Ne pas y avoir pris part, n'y avoir pas consenti, voilà bien deux choses ; mais ce n'est pas encore assez. Il ne suffisait point de ne pas consentir, il fallait encore s'opposer. Il y a pour les méchants des juges, il y a des pouvoirs établis. « Ce n'est pas sans raison, dit l'Apôtre, que le pouvoir porte le glaive ; car il est le ministre de Dieu dans sa colère » : mais « contre celui qui fait le mal ». Le ministre de la colère divine contre celui qui fait le mal. « Si donc tu fais le mal, poursuit-il, crains. Ce n'est pas sans raison qu'il porte le glaive. Veux-tu ne craindre pas le pouvoir ? Fais le bien, et par lui tu seras glorifié. »
Quoi donc ? observera-t-on, est-ce que saint Laurent avait fait le mal, lui qui a été mis à mort par le pouvoir ? Comment s'appliquent à lui ces mots : « Fais le bien, et par lui «tu seras glorifié», puisque c'est pour avoir fait le bien qu'il a été si cruellement torturé par le pouvoir ? - Pourtant, si le pouvoir n'avait servi à le glorifier, serait-il aujourd'hui honoré, exalté, comblé par nous de tant d'éloges ? Ainsi le pouvoir malgré lui-même a servi à le glorifier. Aussi bien l'Apôtre ne dit pas : Fais le bien et le pouvoir te glorifiera. De fait les apôtres et les martyrs ont tous fait le bien, et au lieu de les louer, les puissances publiques les ont mis à mort. L'Apôtre te tromperait donc s'il te disait : Fais le bien, et la puissance te glorifiera. Mais il a fait attention ; il a médité, pesé, adopté, châtié son langage. Remarquez bien ces mots : « Fais le bien, et « par elle tu seras glorifié » ; soit qu'elle te loue elle-même, si elle est bonne, soit que, si elle est injuste et que tu meures pour la foi, pour la justice, pour la vérité, elle travaille à ta gloire par ses cruautés mêmes, non pas en te louant, mais en te donnant occasion de mériter des louanges. Ainsi donc fais le bien, et tu en jouiras avec sécurité.
Extrait (n. 8 à 12) du très long premier sermon de saint Augustin pour la fête de saint Laurent.