En dehors du fait qu’on ne parle jamais d’elle (à la notable exception de Benoît XVI le 11 octobre 2006), l’épître de saint Jude a comme étonnante particularité de citer deux textes apocryphes (des "pseudépigraphes", pour être précis)… et donc de les authentifier, du moins d’authentifier les citations qu’elle en fait. De nombreux auteurs ont tenté d’interpréter autrement ce qui à leurs yeux était impossible, impie, ou même de nier le fait, mais l’évidence est là. Et il n’est nul besoin de se livrer à des contorsions exégétiques pour que l’épître catholique de Jude soit catholique. Il suffit de prendre en compte que l’apôtre, pour se faire comprendre rapidement (son texte est très court), utilise des références qui « parlent » à ses contemporains. Il n’authentifie pas, il se sert comme d’images de citations connues de ses lecteurs.
La première fois, c’est justement pour couper court à un développement sur la façon de traiter les impies : « Cependant l'Archange Michel, lorsqu'il discutait avec le diable, lui disputant le corps de Moïse, n'osa pas porter contre lui un jugement injurieux ; mais dit : Que le Seigneur te commande ! »
Cette phrase est extraite d’un livre intitulé L’Assomption de Moïse, au témoignage de nombreux pères, mais ce livre n’est ni l’un ni l’autre des deux apocryphes existants qui portent ce titre. Cette idée d’une assomption de Moïse, disputée chez les plus anciens pères, vient de la fin très étrange du Deutéronome, où il est dit que Moïse, à 120 ans, voyait clair, que ses dents ne bougeaient pas, mais qu’il mourut sur l’ordre du Seigneur (qui l’avait condamné à ne pas voir la terre promise). Le texte dit : « Et il l’ensevelit dans la vallée », sans que l’on sache qui est ce « il ». Beaucoup disent que c’est Dieu lui-même. Selon les textes que nous avons de « l’assomption de Moïse », ce sont les anges, conformément au texte grec qui met le verbe au pluriel, ce qui ne change rien puisque dans l’Ancien Testament on parle souvent des anges pour parler de Dieu. Mais voilà qui donne le cadre pour une dispute entre saint Michel et le diable. Saint Jude ne continue pas l’histoire, car ce n’est pas son propos. Mais on est conduit à penser que saint Michel arrache au diable le corps de Moïse… pour l’enterrer, ou plutôt pour le porter au ciel (ce qui expliquerait que « personne n’a jamais connu sa tombe »)… ou les deux, selon des traditions qui affirment que son corps grossier fut enterré et son corps spirituel porté au paradis… où se trouve déjà Hénoch.
Et voici la deuxième citation :
« C'est d'eux qu'a prophétisé Hénoch, le septième patriarche depuis Adam, lorsqu'il a dit : Voici, le Seigneur est venu avec Ses saintes myriades, pour exercer un jugement contre tous, et pour convaincre tous les impies de toutes les œuvres d'impiété qu'ils ont commises, et de toutes les dures paroles que ces pécheurs impies ont proférées contre Lui. »
Ceci se trouve effectivement dans le Livre d’Hénoch. « Septième patriarche depuis Adam », c’est dans le chapitre 60. Et la citation qui lui est attribuée est le chapitre 2.
Si le Livre d’Hénoch est un apocryphe, l’assomption d’Hénoch figure bien quant à elle dans la Genèse. Mais pas l’assomption de Moïse, qui paraît avoir été inventée pour donner un sens clair aux mystérieux derniers versets du Deutéronome, et valorisant pour le grand guide du peuple hébreu.