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La pénitence effacée

Dans le Nouveau Testament selon la Vulgate, le mot pænitentia (ou, plus rarement, le verbe pæniteor) se trouve en tout 63 fois, 59 fois dans son vrai sens de repentir, de pénitence. Dans l’officielle soi-disant traduction soi-disant liturgique de la Bible, le mot pénitence (ou repentir) se trouve en tout et pour tout quatre fois, dont trois fois dans la seconde épître de saint Paul aux Corinthiens. En fait c’est comme si cette épître avait été négligée par les censeurs, parce que ce passage… ne se trouve pas dans la néo-liturgie. Il reste donc, dans les lectures de cette néo-liturgie, une seule fois le mot « pénitence », le « vendredi de la 26e semaine », en saint Luc :

Malheureuse es-tu, Corazine ! Malheureuse es-tu, Bethsaïde ! Car, si les miracles qui ont eu lieu chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, il y a longtemps que leurs habitants auraient fait pénitence, avec le sac et la cendre.

C’est très curieux, car dans le passage parallèle de saint Matthieu, qui est lu le « mardi de la 15e semaine », on a enlevé la pénitence :

Malheureuse es-tu, Corazine ! Malheureuse es-tu, Bethsaïde ! Car, si les miracles qui ont eu lieu chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, ces villes, autrefois, se seraient converties sous le sac et la cendre.

On a donc laissé UNE FOIS le mot pénitence, afin que les grincheux ne puissent pas dire qu’il ne se trouve jamais dans ces « traductions » falsificatrices (on remarquera aussi au passage que Οὐαί σοι, vae tibi ne veut pas dire « malheureuse es-tu », mais « malheur à toi »…). De même qu’on a laissé une fois le mot « jeûne » dans les collectes de la messe pour qu’on ne puisse pas dire qu’il a été supprimé, quand ce mot se trouve une trentaine de fois dans les oraisons de la vraie liturgie latine (sans compter toutes les allusions au jeûne sous les noms d’abstinence – pendant le carême il s’agit clairement du jeûne - ou de « saintes observances », ni la mention du jeûne dans les antiennes et les répons).

Comme on vient de le voir, le mot pænitentia est à peu près toujours traduit par « conversion » dans la néo-Bible soi-disant liturgique. Pourtant le dictionnaire est formel : pænitentia veut dire « repentir », puis sous l’influence de l’Eglise il donnera « pénitence ». Cela est exactement conforme au mot grec qu’il traduit : μετάνοια, métanoia, qui veut dire « repentir », puis « pénitence »…

Cela se vérifie par exemple dans les traductions des pères grecs dans la collection Sources chrétiennes. (Et quand il y a un index c’est bien à « pénitence » ou à « repentir » qu’on trouve les renvois à « métanoia ».)

La psychologie moderne athée a repris le mot pour désigner un changement d’état d’esprit, qui renverse les contradictions et les mauvaises pensées et conduit au bien-être intérieur. Les modernistes de l’Eglise ont repris ce concept et l’ont plus ou moins christianisé en le traduisant par « conversion ».

Mais, s’il y a bien une idée sous-jacente de conversion dans la pénitence, les deux concepts ne sont pas identiques. Et parler de « conversion » évite précisément d’avoir à évoquer ce qu’est péniblement la pénitence.

La preuve que ce n’est pas la même chose est qu’il y a aussi un mot grec pour exprimer la conversion : epistrepho, et sans surprise c’est, en latin, convertor.

Plusieurs fois le texte sacré utilise les deux mots. Par exemple : « Pænitemini et convertimini » : repentez-vous et convertissez-vous, ce que l’on trouve déjà chez Ezéchiel : « Convertimi et agite pænitentiam. » Convertissez-vous et faites pénitence. Mais, même quand il y a dans le texte « faire pénitence », la néo-liturgie traduit : se convertir, comme on l’a vu avec l’interpellation de Corazine et Bethsaïde. Et quand il y a les deux mots, la Bible de la néo-liturgie, qui refuse l’idée de pénitence, écrit : « Convertissez-vous donc et tournez-vous vers Dieu »…

Ainsi selon la néo-liturgie le Seigneur n’a pas dit : « S vous ne faites pénitence vous périrez tous », mais : « Si vous ne vous convertissez pas… »

On a supprimé la pénitence jusque dans le sacrement qui portait ce nom et qui est devenu celui de la « réconciliation ». C’est plus cool. Et si on se réconcilie, c’est, à la limite blasphématoire, qu’il y avait sans doute des torts des deux côtés… Quoi qu’il en soit, si on réconcilie c’est qu’il y avait des différends, ce qui n’implique pas en soi de repentir ou de pénitence. Telle est la nouvelle religion de l’impiété.

On aura une idée du fossé qui a été creusé entre l’Orient et l’Occident, en ces temps de soi-disant œcuménisme, si l’on rappelle qu’aux matines byzantines, dès le premier dimanche de préparation au carême puis à tous les dimanches de carême on chante solennellement, en vénérant l’Evangile qui vient d’être lu : « Τῆς μετανοίας ἄνοιξόν μοι πύλας » : Ouvre-moi les portes de la pénitence – du repentir. Littéralement : « De la pénitence ouvre-moi les portes » Métanoia est le mot qui est en tête : c’est la clef du carême.

Et c’est, tout naturellement, le grand thème de ce temps, inlassablement repris dans la liturgie.

On prendra conscience de ce fossé aussi en lisant le début du 50e discours ascétique d’Isaac le Syrien, l’un des grands maîtres à penser du monachisme oriental, voix de la pure tradition :

« Le présent chapitre voudrait nous signifier ceci : il nous faut continuellement savoir que durant les vingt-quatre heures de la nuit et du jour nous avons besoin du repentir (της μετανοίας χρήζομεν). Mais voici quel est le sens du mot repentir, tel que nous l’a donné à connaître la vraie forme des choses : le repentir est une supplication continuelle, une supplication de toute heure au cœur de la prière pleine de componction (κατάνυξις), et approchant Dieu pour lui demander l’absolution du passé. Il est aussi l’affliction dans laquelle nous gardons les choses de l’avenir. »

Beaucoup de catholiques d’esprit traditionnel croient qu’on peut s’accommoder de cette liturgie déficiente et déviante (dont la suppression de la pénitence n’est qu’un aspect parmi d’autres), parce qu’on rétablit la situation en étant catholique chez soi, dans sa prière personnelle, et parce qu’il y a de nombreux prêtres d’esprit traditionnel qui corrigent ces défauts dans leurs homélies et leur direction spirituelle, voire même partiellement dans leur liturgie. Mais lex orandi, lex credendi, il arrivera forcément un temps où la néo-liturgie, la liturgie déficiente et déviante, aura le dernier mot. Et les derniers « fidèles » ne se rendront même plus compte qu’ils ne sont plus du tout catholiques. Déjà ceux qui assistent à la messe traditionnelle avec les lectures de la néo-liturgie (ce qui est obligatoire selon Traditionis custodes) ne se rendent pas compte que ces lectures sont falsifiées. Les prêtres qui les proclament et les utilisent dans leurs homélies non plus.

*

« Ouvre-moi les portes de la pénitence », au monastère de Simonopetra (Athos) :

Δόξα …

Τῆς μετανοίας ἄνοιξόν μοι πύλας Ζωοδότα, ὀρθρίζει γὰρ τὸ πνεῦμά μου, πρὸς ναὸν τὸν ἅγιόν σου, ναὸν φέρον τοῦ σώματος, ὅλον ἐσπιλωμένον, ἀλλ᾽ ὡς οἰκτίρμων κάθαρον, εὐσπλάγχνῳ σου ἐλέει.

Καὶ νῦν …

Τῆς σωτηρίας εὔθυνόν μοι τρίβους, Θεοτόκε, αἰσχραῖς γὰρ κατεῤῥύπωσα, τὴν ψυχὴν ἁμαρτίαις, ὡς ῥᾳθύμως τὸν βίον μου, ὅλον ἐκδαπανήσας, ταῖς σαῖς πρεσβείαις ῥῦσαί με, πάσης ἀκαθαρσίας.

Ἐλέησόν με ὁ Θεὸς κατὰ τὸ μέγα ἔλεός σου καὶ κατὰ τὸ πλῆθος τῶν οἰκτιρμῶν σου, ἐξάλειψον τὸ ἀνόμημά μου.

Τὰ πλήθη τῶν πεπραγμένων μοι δεινῶν, ἐννοῶν ὁ τάλας, τρέμω τὴν φοβερὰν ἡμέραν τῆς κρίσεως, ἀλλὰ θαρρῶν εἰς τὸ ἔλεος τῆς εὐσπλαγχνίας σου, ὡς ὁ Δαυΐδ βοῶ σοι. Ἐλέησόν με ὁ Θεός, κατὰ τὸ μέγα σου ἔλεος.

Ouvre-moi les portes de la péntience, Toi qui donnes la vie - Car vers ton temple saint se lève mon esprit - portant tout souillé le temple du corps - Mais purifie-moi, compatissant, dans la miséricorde de ton amour.

Et maintenant… :

Conduis-moi sur le chemin du salut, Mère de Dieu - Car dans les fautes infâmes j'ai souillé mon âme - dans la négligence j'ai dépensé ma vie - Par tes prières délivre moi de toute impureté.

Verset du psaume 50 :

Aie pitié de moi, Dieu, dans ta grande miséricorde. Dans l'abondance de tes compassions efface mon péché.

Malheureux considérant le nombre de mes fautes - je crains le jour terrible du Jugement - Mais confiant dans l'amour de ta miséricorde - je T'appelle comme David - Aie pitié de moi, Dieu, selon ta grande miséricorde.

Au monastère de Valaam :

Покаяния отверзи ми двери, Жизнодавче! Утреннюет бо дух мой ко храму святому Твоему, храм носяй телесный весь осквернен; но яко Щедр, очисти благоутробною Твоею милостию.

На спасе́ния стези́ наста́ви мя. Богоро́дице, сту́дными бо окаля́х ду́шу грехми́ и в ле́ности все житие́ мое́ ижди́х; но Твои́ми моли́твами изба́ви мя от вся́кия нечистоты́.

Поми́луй мя, Бо́же, по вели́цей ми́лости Твое́й и по мно́жеству щедро́т Твои́х очи́сти беззако́ние мое́.

Мно́жества соде́янных мно́ю лю́тых помышля́я, окая́нный, трепе́щу стра́шнаго дне су́днаго; но наде́яся на ми́лость благоутро́бия Твоего, я́ко Дави́д вопию́ Ти: поми́луй мя. Бо́же, по вели́цей Твое́й ми́лости.

Commentaires

  • Je trouve que vous extrapolez. Etymologiquement, la pénitence est le regret, qui n'implique pas le pardon. J'aime bien l'exemple de Ninive, même si le Livre de Jonas n'emploie peut-être pas le mot pénitence : les Ninivites se couvrent de sacs, s'assoient sur la cendre, ne mangent ni ne boivent et crient vers Dieu. C'est la pénitence.
    La conversion procède du "repentir" de Dieu, repentir qui n'est qu'une image, certes, et qui veut dire que Dieu pardonne. A mon avis, la pénitence est enveloppée dans la conversion : le regret, les remords, c'est "je ne ME pardonne pas ce que j'ai fait". La conversion, c'est "Dieu t'a pardonné, alors pardonne-toi !"
    C'est aussi ce que veut dire le sacrement de réconciliation. On peut trouver le mot lénifiant ou inexact. Dieu s'y abaisse jusqu'à se repentir de nous avoir condamnés.

  • Yves Daoudal a raison.
    Pour avoir, et encore parfois, pratiqué les deux rites, y compris dans la confession, il y a une approche différente.
    Le pardon semble devenu automatique, voire secondaire, les bonnes intentions et la bonté de Dieu suffisent. La suppression des confessionnaux pour des bocaux avec des chaises ou on est invité à rester assis, au même niveau que le prêtre.
    Or, les signes, génuflexion, aveu, réparation, sont nécessaires, pour le pénitent. Ils signifient bien ce qui se passe et que Dieu le prend au sérieux.
    Comme disait bien sainte Thérèse d'Avila
    " nous ne supportons pas que Dieu soit Dieu et nous qu'une créature."
    Et c'est amoindrir la responsabilité de notre libre arbitre dans le plan du salut, pour en faire un Dieu qui ne nous prendrait pas au sérieux, ou que la coopération entre liberté et grâce ne serait plus si essentielle.
    Dans une situation humiliante, notre nature humaine supporte mal de devoir avouer ses limites, sa misère, sa dépendance, et de retomber sans cesse dans les mêmes travers.
    Or, sans humiliation, pas d'humilité. Et l'homme moderne s'aime tellement mal qu'il se croit au-dessus de ça alors que l'amour vrai nous apprend qu'il faut accepter d'être tombé pour que Dieu descende nous relever.
    Henri Pourrat a merveilleusement décrit cette réalité spirituelle "il ne nous est pas demandé d'être avec Jésus dans sa Passion, mais d'être avec Lui par le détachement de soi et le don d'amour. Donnés à Dieu, comme la faiblesse devient force, la pauvreté devient richesse et la honte humilité."
    La sainte Vierge et l'humilité son les pires ennemis du diable car une âme humble ne laisse pas de place à ses manoeuvres.

  • @Dominique Morin
    Il y a des prêtres qui confessent sur un banc, dans un coin de leur église, mais en principe, vous pouvez vous confesser à genoux. L'espace où cela se déroule n'a aucune incidence sur la validité du sacrement. Quant à l'humilité dont vous ferez preuve dans cet exercice en soi humiliant, elle sera d'autant plus nécessaire que vous confesserez des péchés d'orgueil. Un bon directeur saura juger si vous en manquez et vous donner pour pénitence d'aller vous excuser, par exemple, auprès des personnes que vous aurez offensées avec orgueil.
    Sans vouloir vous offenser, vous êtes à côté du sujet. Le problème soulevé par Daoudal est d'ordre terminologique. Que vivent la pénitence et le repentir, à condition d'être surmontés par le pardon, dans l'ordre de l'offense ! Le premier offensé, c'est toujours Dieu ! S'Il vous pardonne, vous pouvez vous pardonner à vous-même et pardonner aux autres le mal que vous leur avez fait : c'est la conversion, la réconciliation. Sans Dieu, même avec le repentir, la pénitence, les remords et le regret, vous serez toujours une vieille chaussette dans son jus.

  • Très convaincant. Comme votre article synthèse sur les collectes. Comparer les textes me paraît méthodologiquement plus pertinent que prêter des intentions aux réformateurs liturgiques (même s'il ne faut pas négliger les écrits de ceux qui en ont laissé et auxquels vous avez fait écho ici).

  • Merci pour ce texte. Lumineux. Un de plus. En vous lisant, une pensée m'est venue : la prochaine génération aura le choix entre le retour à l'orthodoxie ou la "conversion" à l'islam. Une chose est quasi certaine, le protestanto-catholicisme se fondra avec la maçonnerie. La chose est déjà bien avancée du reste. Ruse et mensonge.

  • Franchement, je ne vois plus la différence entre vous et les sédévacantistes. Car si le pape est hérétique, que la liturgie est hérétique, ben alors il n'y a plus d'Eglise...
    Par ailleurs: vous avez feuilleté trop vite votre missel Novus Ordo: ce sont les lectures qui varient d'une année sur l'autre, l'évangile est lu tous les ans. C'est dans l'ancien missel que ces versets ne sont jamais lus... Et le dimanche, le lectionnaire de 70 a soigneusement enlevé les versets 13 à 16 de st Luc, car ça collait sans doute mal avec le retour joyeux des disciples!
    On voit que la nouvelle traduction est en retrait sur celle de 1970, où les deux évangiles étaient traduits pareil: "se seraient converties en faisant pénitence sous le sac et la cendre".
    Quant à la réconciliation avec Dieu, je ne vous comprends pas : 2 Co 5, 18.20 : être réconcilié avec Dieu.

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