La lecture biblique du temps de la Passion est Jérémie. En lisant le texte de la Vulgate, on tombe sur la fameuse « colère de la colombe », et plus loin il y a, deux fois, le « glaive de la colombe » (au ch. 25). Tous les traducteurs modernes se moquent de saint Jérôme qui a confondu un mot voulant dire « oppresseur », « destructeur » (il s’agit de Nabuchodonosor qui va envahir Israël) avec le mot voulant dire « colombe ».
Je suis allé prendre le mot hébreu dans la Bible massorétique (tel qu’il est, avec ses signes diacritiques et son préfixe), et je l’ai donné au Wiktionnaire, pour voir. Et le Wiktionnaire, qui n’a pas de préjugés, à qui je n’ai rien dit, traduit : « colombe »… En donnant comme exemples les 5 mentions de la colombe dans l’histoire de l’arche de Noé.
Il est vrai que le mot est aussi un verbe voulant dire maltraiter, opprimer. Mais si saint Jérôme a choisi de traduire par « colombe », c’est qu’il voyait que l’exégèse du texte était ainsi beaucoup plus riche (au lieu d’être simplement inexistante si l’on dit cette évidence que le roi qui vient ravager Israël est un méchant). La colombe associée à la colère et au glaive renvoie par exemple au Cantique des cantiques, où la bien aimée est une colombe… comme une armée rangée en ordre de bataille. Et si la colombe du Cantique est la Sainte Vierge, son glaive est celui qui lui transperce le cœur, lors de la Passion de son Fils. (A noter que la référence au Cantique des cantiques se trouve dans le texte même de Jérémie, au ch. 45 : soyez comme la colombe qui fait son nid en haut de l'ouverture (du rocher).)
Ce matin j’écoutais la messe du Barroux, chantée comme toujours de façon véritablement somptueuse, avec un souffle, un élan, un sens du phrasé grégorien exceptionnel. J’ai acheté en janvier un appareil appelé « Arcam Bluetooth », qui relie mon ordinateur à ma chaîne stéréo qui est à 7 mètres de là. Je me disais que pendant le carême il ne me servirait à rien, puisque l’une de mes pénitences de carême (et c’est pour moi une vraie pénitence) est de ne pas écouter de musique. Et voilà que le coronavirus fait que je dois me contenter d’un ersatz de messe quotidienne, mais au moins cet ersatz est une merveille musicale, ce qui me console un peu – merci Le Barroux. La messe était celle des 7 douleurs de la Sante Vierge. Et je me disais, en écoutant l’épître (et comme c’est beau aussi le chant de l’épître), que Judith n’était en rien une figure des 7 douleurs. Si la ville souffre terriblement, elle-même ne laisse percer aucune souffrance, elle est tout uniment un bloc de volonté et de détermination, qui s’en va tuer l’oppresseur pour délivrer la ville. Elle est la colère de la colombe, le glaive de la colombe, à elle seule une armée rangée en ordre de bataille, et c’est en cela qu’elle est une figure de la Mère de Dieu.