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Trois falsifications

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L’évangile de la messe d’aujourd’hui est la parabole du riche et du pauvre Lazare. La traduction de la soi-disant Bible de la liturgie est un festival d’impostures.

Quiconque connaît un peu ce texte se souvient que le pauvre Lazare, une fois mort, est « porté par les anges dans le sein d’Abraham ». L’image est très touchante, et très expressive. Eh bien il faut l’oublier. Les nouveaux maîtres de la liturgie ex-latine ont décidé que les anges ont emporté Lazare « auprès d’Abraham ». Or le texte latin ne permet pas de traduire ainsi. « in sinu Abrahae », cela ne peut se traduire que « dans le sein d’Abraham ». On sait que les nouveaux maîtres de la liturgie ex-latine prennent le texte grec et non le texte latin. Mais c’est exactement la même chose. Le texte grec dit « εἰς τὸν κόλπον Ἀβραάμ », is ton kolpon Abraham, ce qui veut dire « dans le sein d’Abraham » et rien d’autre. Il est d’autant plus important de conserver cette expression qu’elle se trouve également dans le prologue de saint Jean : « le Fils unique-engendré qui est dans le sein du Père », lui seul nous a fait connaître Dieu. Lazare est dans le sein d’Abraham comme le Fils est dans le sein du Père.

Deuxième falsification : Abraham dirait au riche : « Rappelle-toi : tu as reçu le bonheur pendant ta vie. » Non, Abraham ne peut pas dire au riche qu’il a reçu le bonheur. Car il n’y a pas d’autre bonheur que de rechercher Dieu et d’agir en conséquence. Le riche n’a pas « reçu le bonheur », il a reçu « des biens », bona, dont il s’est mal servi.

Troisième falsification : comme d’habitude, on gomme tout ce qui a trait à la pénitence, au repentir. Le riche dit à Abraham d’envoyer Lazare vers ses frères parce que si un mort revient à la vie et va les trouver « ils se convertiront ». Non. Une fois de plus, le mot latin « pænitentia » veut dire repentir, puis pénitence. Et « pænitentiam agere » veut dire évidemment « faire pénitence », se repentir. On mesure dans ces modifications systématiques que la lex orandi de la néo-liturgie n’est plus la lex credendi de l’Eglise catholique.

On peut ajouter que la traduction du dernier mot ne convient pas. Abraham dit que même si un mort ressuscite « ils ne croiront pas ». Ne credent. La Bible de la Liturgie traduit : « ils ne seront pas convaincus ». Certes, c’est le sens. Mais le verbe utilisé est bien « croire », parce que « bienheureux ceux qui n’auront pas vu et auront cru ». Il s’agit bien de la foi, et non d’une conviction.

Enfin, évidemment, la Bible de la liturgie ex-latine ne traduit pas le texte latin qui dit que le riche mourut « et fut enseveli dans l’enfer ». La tradition grecque ponctue autrement : le riche « fut enterré. Et dans l’enfer »… L’image latine est certes uniquement de la tradition latine, mais elle est frappante…

Commentaires

  • Lazare, ignoré, rejeté, méprisé, n'a pas transgressé la Loi tout au long de sa misérable vie terrestre. Seuls, les chiens, mieux traités que lui par leur puissant maître, firent montre de compassion, lui léchant ses plaies, se laissant caresser par lui. À l'instant où le corps du pauvre être a perdu son âme pour être jugée, il a été reçu dans le Royaume des Cieux.
    Le mauvais riche, imbu de sa personne, admiré de beaucoup comme le sont les puissants de ce monde, mourut par après et a été précipité en l'Enfer éternel.
    L'ivraie est séparée à jamais du bon grain dès le premier Jugement. Sur Terre, ils ont la Loi, les Prophètes, l'Enseignement de l'Église, les saints, les martyrs et ils ne veulent pas entendre !
    Lazare que Jésus, son ami, ressuscita peu avant sa Crucifixion- et ce fait était notablement connu de tous à Jérusalem - les pharisiens et membres hautains du Sanhédrin, moqueurs, sûrs de leur fait, tellement certains de leur victoire sur celui qu'ils avaient enfin réussi à condamner à mort, souhaitèrent le crucifier avec Jésus pour que leur triomphe soit plus éclatant encore aux yeux du Peuple. Ainsi, déjà, à la mort du Christ en Croix, la parabole si explicite rapportée par l'Évangéliste Luc, apportait la preuve éclatante que même un ressuscité d'entre les morts ne pouvait infléchir ceux qui ne veulent pas se convertir. Décidément, l'ivraie qui côtoie le bon grain sur Terre, est vannée à l'instant du Premier Jugement ; ce Jugement est définitif ; aucun retour ex ante n'est possible . Le Maître de l'Univers nous avertit pour cette vie. Il vaut sauver toutes les créatures, Lui qui s'est incarné dans ce but. Écoutons-Le ! [je me suis inspiré de 'L'Évangile tel qu'il m'a été révélé' de Maria Valtorta]

  • Vous revenez assez régulièrement sur le sujet de la traduction de la Bible pour la liturgie. Je me permets de vous demander s'il s'agit bien de la traduction officielle de 2013.
    Le prétexte invoqué pour justifier ce qui s'apparente souvent à une édulcoration, pour ne pas dire à une falsification, c'est que l'appréhension par les auditeurs d'un texte lu à voix haute prêterait au double sens ou à la confusion : "Je suis la voie, la vérité et la vie" pourrait être entendu comme "Je suis la voix, etc." Bref nous sommes trop couillons pour comprendre.
    Vous montrez qu'il y a place aussi pour une "adaptation" à l'absence de culture religieuse des fidèles. Se convertir, ils ont tous une vague idée de ce que c'est. Ils pourraient par exemple se convertir au protestantisme évangélique ou peut-être à l'islam, qui sont des religions plutôt sympas qui ne demandent à personne de faire pénitence. La pénitence, d'ailleurs, quésako ? Le sacrement lui-même a changé de nom : la réconciliation, c'est plus cool, et puis Dieu aussi doit avoir des choses à se faire pardonner...
    Tout ça, c'est la novlangue, la langue de bois. C'est la même chose que le passe sanitaire plutôt que le laisser-passer insane. Les représentants de l'Eglise sont passés du côté des tyrans.

  • Oui il s'agit (évidemment) de la traduction officielle actuelle, donc de 2013. Le titre a changé, c'est devenu "La Bible : traduction officielle liturgique" depuis que toute la Bible s'y trouve et pas seulement les textes utilisés dans la liturgie, ce qui était à proprement parler la "Bible de la liturgie". Mais je ne suis pas le seul à continuer d'utiliser ce titre, plus pratique, et qui correspond à ce dont il s'agit.

  • C'est affligeant hélas...

    Pouvez vous préciser le sens des mots grecs employés pour les deuxième et troisième falsifications ?

  • Je n'ai pas précisé parce que les mots grecs ont, également, exactement le même sens que les mots latin. Les biens, c'est agatha, le repentir ou la pénitence, c'est métanoïa.

    Bailly:
    τὰ ἀγαθά, les biens, la fortune, la puissance, les qualités physiques et morales, particul. les biens de la terre ;

    J'ai déjà parlé de μετάνοια ici:
    http://yvesdaoudal.hautetfort.com/archive/2022/06/26/se-convertit-6388833.html

  • Merci beaucoup cher Yves pour ces précisions

  • Merci pour avoir fait cette liste de traductions falsifiées à l'intérieur de ce passage d'évangile.
    Je viens de vérifier sur un ancien Magnificat. Les traductions édulcorées ou oubliées que vous avez relevées y sont toutes.
    C'est fou tout de même qu'il y ait même des parties de phrases non traduites, comme "fut enseveli dans l'enfer" qui est juste traduit par "on l'enterra".

  • Une question et un commentaire. Ma question pratique est : cet Evangile du mauvais riche est-il lu à une messe dominicale (dans l'Ordo 1962) ?
    Mon commentaire : évidemment, la nouvelle traduction du "sein d'Abraham" nous coupe de toute une tradition, connue hors de l'Eglise romaine, par exemple par les lecteurs de Shakespeare dans le monde entier ; la traduction de BONA est lamentable de confusion. METANOIA est plus difficile. "Pénitence" a été mis à toutes les sauces, et pour finir a remplacé le seul mot qui convienne pour le sacrement de... l'absolution (Ego te absolvo), brouillant tellement les lignes que Moulins-Beaufort s'est pris les pieds dans le tapis, oubliant que le "secret de la confession" est une règle qui peut être modifiée comme la plupart des règles canoniques.

  • La réponse à votre question se trouve à la fin des missels. Cet évangile n'est chanté que ce jour.

  • Déjà en 1965, la version française proprement liturgique, puisque destinée à être seule lue à la messe encore traditionnelle, comporte trois des cinq falsifications et interprétations que vous mentionnez. Si cette version garde le sein d'Abraham et la pénitence, elle traduit "bona" et "mala" par bonheur et malheur, parle de "séjour des morts" en début de phrase et donne, pour "neque credent", "ne seront pas convaincus"...

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