Extrait du sermon de Bourdaloue pour sa fête.
Ce que j'admire davantage dans la vocation de saint Ignace, c'est la conduite que la Providence y a fait paraître pour retrancher la source des maux dont son Eglise était affligée. Car, prenez garde, Chrétiens : de plusieurs désordres d'où l'hérésie avait pris naissance, le principal était celui-ci : l'ignorance des choses de la foi, qui régnait parmi les peuples, jointe à la mauvaise éducation de la jeunesse. Consultez les écrivains qui en ont parlé : voilà la porte par où entra le démon de l'erreur, pour porter ses coups à l'Eglise et pour ruiner l'ancienne religion. Mais que fait Dieu en suscitant Ignace? Il donne à l'Eglise un préservatif contre ce mal si dangereux et si pernicieux ; car à quoi Ignace est-il spécialement appelé, et pour quelle fin ? pour enseigner, pour instruire, pour apprendre aux peuples à connaître ce qu'ils sont, pour déraciner de leurs esprits l'ignorance de nos mystères, pour y jeter les premières semences de la doctrine de la foi ; en un mot, pour former de vrais chrétiens, de même que le prophète avait été envoyé pour servir de maître aux nations : Ecce dedi eum prœceptorem gentibus. C'est pour cela que parmi les grandes affaires dont il était chargé, et sur lesquelles on le consultait de toutes parts comme un oracle, il faisait une de ses plus importantes occupations d'aller dans les rues de Rome catéchiser la populace, d'expliquer aux simples les points de la foi, d'assembler les femmes et les enfants dans les places publiques, pour leur donner les principes du salut : spectacle qui seul attirait toute la ville, jusques aux prélats même et aux cardinaux, à qui il prêchait par l'exemple de son humilité, tandis qu'il instruisait les autres et qu'il les touchait par la vertu de sa parole. C'est pour cela que lorsqu'Ignace envoyait ses frères au secours de quelque Eglise, il leur recommandait avant toutes choses le soin du catéchisme ; les avertissant que c'était là ce qui avait converti le monde ; que la science du catéchisme avait été celle des apôtres ; que l'Evangile n'avait été d'abord annoncé que par le catéchisme ; que, s'ils voulaient donc se rendre utiles à l'Eglise de Dieu, ils devaient négliger toute autre fonction plutôt que celle du catéchisme, et se souvenir que, selon la parole du Fils de Dieu même, une des preuves de la mission de Jésus-Christ fut d'évangéliser les pauvres : Pauperes evangelizantur. C'est pour cela qu'il a voulu que toute sa compagnie se fit un devoir particulier de l'instruction de la jeunesse. L'hérésie avait pris pour maxime de commencer par là, et de s'emparer des jeunes âmes, afin de les corrompre plus aisément; Ignace lui en ôte le moyen, et lui enlève cet avantage. En effet, il y avait déjà dans l'Eglise chrétienne de grands et de florissants ordres institués pour prêcher la parole de Dieu. Saint François et saint Dominique en avaient établi deux dont les succès remplissaient toute la terre; mais il n'y en avait point encore qui, par profession, fût engagé à ce divin emploi de former la jeunesse et de la sanctifier. Or, c'est le secours que Dieu, par un effet de sa fidélité, préparait à son Eglise dans la personne d'Ignace ; tellement que ce saint fondateur pouvait dire, après le Sauveur du monde : Sinite parvulos venire ad me ; Laissez venir à moi ces âmes innocentes, puisque Dieu m'a fait l'honneur de me choisir pour les cultiver. Enfin, c'est pour cela que Dieu donna ordre à Ignace de fonder des collèges et des écoles publiques, non point précisément pour y enseigner les sciences profanes, il était trop rempli de celle des saints ; non point pour des intérêts temporels, il y avait renoncé en quittant le monde; mais pour nourrir dans la vertu de jeunes enfants plus susceptibles, à cet âge tendre, des saintes impressions qu'ils reçoivent, et pour leur faire sucer de bonne heure le lait de la piété. Ah ! Chrétiens, quels fruits de grâce cette divine institution n'a-t-elle pas produits ? combien d'âmes ont été garanties de l'enfer ? combien de villes et de provinces ont été maintenues dans l'intégrité de la foi ? combien d'Etats ont été préservés de la contagion de l'hérésie ? Car il est remarquable que dans tous les lieux du monde où cette institution a été reçue, jamais l'hérésie n'a dominé, et qu'elle y est bientôt tombée en décadence : d'où je conclus que Dieu, en appelant saint Ignace, s'est montré fidèle, non seulement à toute l'Eglise en général, mais à toutes les parties qui la composent : fidèle à tous les royaumes de la chrétienté, fidèle à toutes les nations de la terre, fidèle à tous les ordres de la république , fidèle à tous les âges et à toutes les conditions des hommes, puisqu'il n'y a pas une condition ni un âge, pas une nation ni un empire, à qui ce grand saint, en conséquence de sa vocation, n'ait consacré son travail et ses services : Fidelis Deus, per quem vocati estis in societatem Filii ejus Jesu Christi Domini nostri.