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L’invention de la "mer des Roseaux"

Les Hébreux avaient toujours traversé la mer Rouge, mais toutes les traductions françaises « catholiques » modernes ont « mer des Roseaux » (ou « mer des Joncs ») - ce qui n’est et n’a jamais été le nom d’une mer. (Un certain nombre de traductions protestantes gardent « mer Rouge ». La dernière traduction catholique à avoir « mer Rouge » est la Pirot-Clamer.)

Il semble que ce soit une fantaisie française récente, et germanique depuis… Luther. Aucune des dix traductions anglaises que j’ai vues (y compris la New English Translation de 2005) ne parle de mer des Roseaux, toutes ont : mer Rouge.

En général on ne vous dit même pas pourquoi on appelle la mer Rouge « mer des Roseaux ». Et quand par hasard on consent à ajouter une note, c’est simplement pour souligner qu’une fois de plus la Septante et la Vulgate se sont trompées. Comme s’est trompé saint Etienne (Actes 7,37), comme s’est trompée l’épître aux Hébreux (11,29), comme se sont trompés les commentateurs juifs (à commencer par Philon), comme se sont trompés tous les pères de l’Eglise, et l’Eglise dans sa liturgie…

Le mot du texte massorétique (des juifs du Xe siècle, qui est censé faire autorité chez les catholiques) est « souph ». C’est un mot qui ne correspond à aucune racine hébraïque. Par conséquent on ne peut que conjecturer sa signification selon le contexte. Les dictionnaires supposent que le mot veut dire roseau ou jonc, voire papyrus, parce qu’il se trouve aussi au début du chapitre 2 de l’Exode, quand Moïse nouveau-né, placé dans une corbeille, est déposé dans les « souphs » des bords du Nil. Cependant, le même mot se trouve aussi dans le livre de Jonas, et là il s’agit (selon le texte massorétique qui ne correspond ni à la Septante ni à la Vulgate) des « souphs » qui entourent la tête du prophète quand il est jeté dans la mer. En haute mer, ce ne peut pas être des roseaux, et des roseaux ne se mettraient pas autour de sa tête. Donc ce sont des algues… Et donc le dictionnaire Brown Driver Briggs expose doctement que lorsqu’il n’y a pas le mot « mer » devant, « souph » veut dire algues… Mais Fillion (qui traduit la Vulgate où rien ne se met autour de la tête de Jonas) dit dans ses notes de l’Exode que la mer Rouge est en fait la « mer des Algues »…

Conformément aux dogmes absurdes des exégètes modernes, personne n’imagine un instant que dans le texte hébreu dont disposaient les Septante et dans le texte hébreu dont disposait saint Jérôme, il pût y avoir un autre mot que « souph » pour définir la mer que traversent les Hébreux. Pour Exode 2,3, la Septante dit que Moïse dans son panier fut déposé « dans le marais près du fleuve », la Vulgate que Moïse fut déposé « dans les carex de la rive du fleuve ». Des carex : on n’est pas loin des roseaux, et d’ailleurs certains dictionnaires, prudents, parlent de plantes aquatiques… Il est donc vraisemblable qu’ici il y avait « souph ». Mais, précisément, si saint Jérôme avait vu « souph », peu après, dans le même texte de l’Exode, il aurait traduit « mer des carex », et non « mer Rouge ».

L’accord entre la Vulgate et la Septante est un indice fort qu’il s’agit bien de la « mer Rouge ». Rouge comme le sang du Christ qui nous lave du péché dans le baptême, dans la mort et la résurrection du Christ, que figure le passage de la mer.

En outre, l’invention de la « mer des Roseaux » est un immense cadeau fait aux rationalistes : si les Hébreux ont traversé une « mer de roseaux », c’est-à-dire « un marais », comme aurait traduit la Septante si elle avait vu « souph », c’est que parler de miracle est très exagéré. Or, comme le passage de la mer Rouge est l’événement sur lequel on revient sans cesse dans la Bible comme étant le miracle des miracles qui fonde toute l’histoire israélite, on détruit du même coup, d’un seul coup, tout le judaïsme, et aussi le christianisme, qui est indissolublement lié au symbolisme pascal du passage de la mer Rouge.

Commentaires

  • Un grand merci pour cette note si érudite, profonde, pertinente et pourtant concise. Ce sujet des mauvaises traductions est immense mais chaque note sur ce sujet, on rêverait d'un grand collier sous forme de livre.

  • Mais pourquoi la massorète aurait-elle changé rouge en souph, ou roseaux ? Erreur de copiste ?

  • ça fait longtemps que j'entends des prêtres dire "mer des roseaux" en signifiant qu'il n'y a aucun miracle dans ce passage de la mer Rouge et, qu'en fait, il n'y avait presque pas d'eau, donc on pouvait passer "presque sans se mouiller" !. Sans doute parce que Dieu n'est pas capable de faire des miracles !!!! Thèse vraiment trop facile et bornée........

  • Que les exégètes modernes m'expliquent comment toute l'armée de Pharaon s'est noyée là où les Hébreux sont passés à gué. Ils devaient marcher sur la tête ce qui fait que 60 cm d'eau suffisaient à les noyer. Mais ceux qui marchent sur la tête sont les rationalistes et autres théophobes qui ne savent plus quoi inventer pour propager leur impiété.

  • Bien vu Dauphin !!

  • Il y a une blague attribuée aux rationalistes, ou que les rationalistes se sont attribuée, mais que je crois plutôt juive.

    C'est un rationaliste qui voit un groupe de rabbins prier avec une extrême ferveur, louant Dieu en levant les mains au ciel et en se prosternant jusqu'au sol. Le rationaliste s'approche et leur demande ce qu'ils font.
    - Nous louons le Seigneur pour le grand miracle de la traversée de la mer Rouge quand il nous a conduits hors d'Egypte.
    - Mais ce n'était pas la mer Rouge, c'était la mer des roseaux. Tout juste un marécage.
    - Ah bon.
    Le rationaliste s'en va. Quelques jours après il passe de nouveau par le même endroit et voit les mêmes rabbins prier avec la même ferveur. Il s'approche et leur demande ce qu'ils font.
    - Nous louons le Seigneur pour le grand miracle de la traversée de la mer Rouge quand il nous a conduits hors d'Egypte.
    - Mais je vous ai expliqué que c'était juste un marécage !
    - Nous avons bien compris, mais nous louons le Seigneur pour le grand miracle d'avoir noyé toute l'armée du pharaon dans si peu d'eau !

    (Pour les rationalistes cette blague montre que les croyants sont incurables. Mais je pense plutôt qu'elle montre que lorsqu'on croit avoir trouvé une solution rationnelle on se trouve aussitôt face à une nouvelle difficulté.)

  • @Yves Daoudal. Excellente blague. Comme vous le faites remarquer, elle est en défaveur des rationalistes qui utilisent tout, sauf la raison.

  • Super Daoud', comme d'hab.

    En passant, savez-vous pourquoi cette mer, qui n'a rien de rouge, est néanmoins appelée Mer Rouge (sans préjudice aucun au symbolisme du Sang du Christ) ? Petit indice: votre réponse contre un plat de lentilles.

  • De mémoire les algues qui prolifèrent donne une coloration rouge lorsqu'elles meurent.

  • "Dis-nous donc de quel droit, tu fais cela, et quel est Celui qui t'as envoyé?"
    Et Jésus leur dit: "Je vais, moi aussi vous demander quelque chose: dites-moi donc: le Baptême de Jean, était-il du ciel ou des hommes? Que si vous le dites, moi aussi je vous répondrai de quel droit Je fais cela."
    Ils firent entre eux le raisonnement suivant: que si nous disons du ciel, ils dira: pourquoi n'y avez-vous pas cru? Mais que si nous disons 'des hommes', le peuple entier va nous lapider.
    Et ils lui dirent donc: nous ne savons pas!
    Et Jésus leur répliqua: Moi non plus, Je ne vous dirai pas de quel droit Je fais cela."

    Tout cela se ressemble. Ces gens inventent une mer des joncs qui leur permet d'imposer le message trompeur qu'ils veulent, à savoir, nier publiquement le contenu de la Bible, tout en restant dans la place forte.
    Évidemment, face au Christ, on n'est pas de taille. Mais nombre de chrétiens aujourd'hui sont plus raisonneurs relativistes qu'érudits ou bien formés...

  • Cette explication me remplit de joie car, après mon enfance où je n'avais entendu parler que de Mer Rouge, des prêtres nous ont expliqué qu'il s'agissait seulement de la Mer des Joncs, une étendue d'eau basse où les roues des chars égyptiens pouvaient néanmoins se prendre et, cerise sur le gâteau, qu'un fort vent - habituel en ces lieux - pouvait frayer un passage en couchant ces joncs du même côté.

    De mon point de vue d'enfant, beaucoup de poésie avait disparu.

  • "Or, comme le passage de la mer Rouge est l’événement sur lequel on revient sans cesse dans la Bible comme étant le miracle des miracles qui fonde toute l’histoire israélite, on détruit du même coup, d’un seul coup, tout le judaïsme, et aussi le christianisme, qui est indissolublement lié au symbolisme pascal du passage de la mer Rouge."


    Mais n'ayez crainte. "Portae inferi non praevalebunt adversus eam."

    Toutes leurs manoeuvres seront toujours vaines.

  • La question de Jean Ferrand est pertinente.
    Dommage qu'elle reste ici sans réponse.
    Quel intérêt les massorètes pouvaient-ils avoir à modifier ainsi le texte?
    A part couper la branche sur laquelle ils étaient assis...

  • Je n'ai pas dit que les massorètes avaient changé "rouge" en "roseaux".

    J'ai seulement évoqué trois faits :

    Premier fait: les rabbins d'Alexandrie, et six siècles après eux saint Jérôme, traduisant des textes différents de la Torah, ont traduit "mer Rouge".

    Deuxième fait: plusieurs siècles après, les massorètes ont établi un texte avec "souph".

    Troisième fait: personne ne sait ce que veut dire "souph". Ce n'est pas un mot hébreu. Certains traducteurs en ont même fait un nom propre: la mer de Souph. Mais comme on trouve aussi le mot "souph" dans l'histoire de Moïse: le bébé déposé dans les "souph", les traducteurs modernes en ont conclu que souph voulait dire "roseaux". Reste un problème néanmoins avec les "souph" de Jonas, qui ne peuvent pas être des roseaux.

    Quant à savoir comment "souph" est arrivé dans le texte massorétique, c'est un des innombrables mystères de ce texte bizarre.

  • Merci de nous avoir répondu.

    Vous avez méthodologiquement raison de vous limiter aux faits.
    Toute interrogation sur les intentions, quoiqu'elle soit des plus intéressantes, est en même temps des plus insolubles, avec ou sans les acteurs de ces faits d'ailleurs.

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