L’évangile de la messe de ce jour est celui de la Cananéenne. Cette femme, païenne, du Liban actuel, harcèle le Sauveur. Voyant Jésus passer elle ne cesse de crier en lui demandant de guérir sa fille. Les apôtres viennent dire à Jésus d’user de son autorité pour la chasser, et Jésus leur donne raison, expliquant pourquoi il ne guérira pas cette femme : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » Mais voici que la femme a profité du bref conciliabule pour forcer le barrage apostolique, elle se jette à ses pieds en lui demandant son secours. Et Jésus répète qu’il est venu pour les juifs : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens. » Mais la réponse de la femme va le faire fondre : « Oui, Seigneur ; mais les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » Et la fille de cette femme va donc être guérie en raison de cet acte de foi.
Cela m’a toujours frappé que cette femme fasse changer d’avis celui qui est le Verbe incarné, le fils de Dieu, l’immuable Logos.
Et cela nous rappelle que ce n’est pas la première fois. Tout au début, Jésus changea d’avis. Et plus précisément une femme le fit changer d’avis. C’était aux noces de Cana. Marie voulait que son fils fasse un miracle parce qu’il n’y avait plus de vin. Jésus lui répond avec une vigueur rugueusement hébraïque : « Femme, qu’y a-t-il entre moi et toi ? Mon heure n’est pas encore venue. » Marie dit simplement aux serveurs de faire ce qu’il leur dira. Et Jésus fait le miracle avant l’heure.
« Femme », dit Jésus à sa mère. « Femme », dit-il à la Cananéenne. Seule une femme peut faire changer d’avis le Dieu tout-puissant…
Sans doute peut-on trouver qu’il n’est pas convenable de mettre sur le même plan, même si ce n’est que sous ce rapport précis, la Mère de Dieu et une païenne anonyme. A quoi on pourra répondre que la Cananéenne représente ici l’ensemble des peuples païens qui sont avides et pressés de recevoir la grâce de l’Evangile. Autrement dit son Eglise… Et c'est sans doute ce qui lui vaut d'être citée dans un répons des matines, alors que ces répons de carême ne font que très rarement allusion à l'évangile du jour.
On pourra remarquer à ce propos que Jésus appelle quelqu’un « Femme » 7 fois dans les Evangiles. Une fois chez saint Matthieu, pour cette Cananéenne, une fois en saint Luc, pour la femme courbée guérie le jour du sabbat, et cinq fois en saint Jean : sa mère aux Noces, la Samaritaine, la femme adultère, sa mère au pied de la croix, Marie-Madeleine. Chaque fois il s’agit d’un enseignement particulièrement important. En saint Matthieu cet enseignement est précisément le passage de l’Evangile aux païens, après la Résurrection, mais qui fuite déjà… pour nous donner la force de parcourir le carême.