Comme je m’y attendais, certains lecteurs ont réagi violemment (soit sur le blog, soit par courriel) à ma note d’hier intitulée « Navrant ». L’un ou l’autre devrait d’abord se renseigner sur le “jugement téméraire”…
Après avoir précisé que le Salon Beige suit mon blog de près comme en témoignent les nombreux liens qui y renvoient, je ne répondrai que par des faits.
Dès le 12 décembre, au lendemain du vote de la loi sur l’euthanasie, j’écrivais ceci :
Cette quasi unanimité est un signe que la révision constitutionnelle est voulue par le grand duc lui-même qui, pour ne plus avoir de problèmes de « conscience », préfère n’avoir plus aucun pouvoir…
La révision constitutionnelle doit être confirmée par un second vote avant d’entrer en vigueur. Et la loi sur l’euthanasie (après un second vote également, exigé par le Conseil d'Etat qui l'a explicitement condamnée) pourra être promulguée… par le grand-duc.
Le lendemain 13 décembre :
Si le grand duc voulait s’opposer à la loi sur l’euthanasie :
Art. 74 de la Constitution du Luxembourg
« Le Grand-Duc peut dissoudre la Chambre. Il est procédé à de nouvelles élections dans les trois mois au plus tard de la dissolution. »
Si des Luxembourgeois voulaient s’opposer à la loi sur l’euthanasie :
Art. 114 de la Constitution du Luxembourg (sur la révision de la Constitution)
« Le texte adopté en première lecture par la Chambre des députés est soumis à un référendum, qui se substitue au second vote de la Chambre, si dans les deux mois suivant le premier vote demande en est faite soit par plus d’un quart des membres de la Chambre, soit par vingt-cinq mille électeurs inscrits sur les listes électorales pour les élections législatives. La révision n’est adoptée que si elle recueille la majorité des suffrages valablement exprimés. La loi règle les modalités d’organisation du référendum. » (Sous-entendu évident : le grand-duc pourrait suggérer et soutenir en sous-main cette demande de référendum. C'était avant que je découvre, et que je fasse savoir, le 19 décembre, alors que personne n'en avait parlé en France, qu'un courageux Luxembourgeois avait saisi cette opportunité - sans avoir le moindre soutien du grand-duc.)
Dans Daoudal Hebdo envoyé par courriel le 10 décembre, notamment au Salon Beige, j’écrivais ceci :
Les bonnes âmes se félicitent de la décision du grand-duc, en font une nouvelle icône de la résistance à la culture de mort, et rappellent le geste de son oncle le roi Baudoin des Belges qui avait dit non à la loi sur l’avortement.
Malheureusement les choses ne sont pas aussi simples.
(…) Pour certains observateurs de la vie politique luxembourgeoise, la loi sur l’euthanasie est en fait l’occasion qu’attendait le grand-duc Henri pour retirer de la Constitution le mot « sanctionne », et faire de sa monarchie une simple représentation, à l’image des monarchies scandinaves. Ces mêmes observateurs font remarquer que c’est le grand-duc Henri qui a abandonné la formule « par la grâce de Dieu » dans la promulgation des lois. Son père, jusqu’à son abdication en 2000, avait signé les lois par la formule « Nous, Jean, par la grâce de Dieu Grand-Duc de Luxembourg, Duc de Nassau... ». Lequel très catholique grand-duc Jean, pour sa part, avait « sanctionné » et promulgué sans problème de conscience, en 1978, la loi sur l’avortement.
En sortant de sa neutralité d’une façon qui est presque sans précédent, le grand-duc Henri conforterait en quelque sorte l’unité nationale, se faisant bien voir des pro-vie par son coup d’éclat, et donnant finalement raison aux partisans de la culture de mort en laissant supprimer le pouvoir du souverain de s’opposer à une loi…
Dans Daoudal Hebdo N°16, envoyé par courriel le 17 décembre, j’écrivais ceci :
La Chambre des députés du Luxembourg a adopté jeudi 11 décembre la modification de l’article 34 de la Constitution, consistant à rayer de la loi fondamentale la mention selon laquelle le grand-duc devait « sanctionner » les lois avant de les promulguer. Ainsi n’aura-t-il plus de problème de « conscience » (…)
La loi sera ainsi libellée (sous réserve des amendements éventuellement apportés à l’article 1) :
Nous Henri, Grand-Duc de Luxembourg, Duc de Nassau,
Notre Conseil d’Etat entendu;
De l’assentiment de la Chambre des Députés;
Vu les décision de la Chambre des Députés du 19 février 2008 et du 11 décembre 2008 ;
Avons ordonné et ordonnons:
Art. Ier. Pour l'application de la présente loi, il y a lieu d'entendre par euthanasie l'acte, pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d'une personne à la demande de celle-ci. Par assistance au suicide il y a lieu d'entendre le fait d'aider intentionnellement une autre personne à se suicider ou de procurer à une autre personne les moyens à cet effet, ceci à la demande de celle-ci. (…)
Que le grand-duc sanctionne ou non, le texte est le même : le grand-duc « ordonne » que l’euthanasie puisse être légalement pratiquée : il ne s’agit pas seulement pour lui d’« orner » de sa signature un texte de loi, comme certains l’ont dit, mais d’« ordonner » une loi de mort. Mais s’il n’a pas « sanctionné » la loi, il n’a pas de problème de « conscience ». Comprenne qui pourra.
Encore échappe-t-on à l’horreur du libellé de la loi par laquelle « Jean, par la grâce de Dieu Grand-Duc de Luxembourg », avait approuvé et « ordonné » la légalisation de l’avortement. C’est l’actuel grand-duc qui a supprimé la grâce de Dieu…
(…) Il y a manifestement un consensus de l’establishment luxembourgeois, du grand-duc jusqu’à l’opposition en passant par le gouvernement, pour aligner le Luxembourg sur les normes « démocratiques » européennes, et la loi sur l’euthanasie est une pierre de touche de cet alignement.
Le Salon Beige n’a fait écho à aucun de ces textes. Ce qui est son droit le plus strict, et je ne suis pas juge de ses priorités. Mais je ne suis pas responsable de ce silence.
J’ai été absent d’internet du 20 décembre au 1er janvier. Je n’ai donc découvert qu'ensuite le discours de Noël du grand-duc, dont j’ai fait état dans Daoudal Hebdo envoyé le 7 janvier, comme d’une confirmation de ce que j’avais déjà écrit.
Le Salon Beige a publié le 29 décembre un communiqué du Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, daté du 24 (le même jour que le discours du grand-duc) sur le référendum, avec un lien sur le site du gouvernement luxembourgeois. Il n’a pas fait état du discours du grand-duc, qui se trouvait sur le même site à la même date. Encore une fois, c’est son droit le plus strict. Mais je n’y suis pour rien.
J’ajoute que dès le 10 décembre on pouvait lire ce commentaire de "Berg" sur le Salon Beige :
J'ai étudié assez complètement cette question du Luxembourg.
La réalité de l'attitude du grand-duc est bien différente de ce que l'on pense a priori.
On pense que le grand-duc refuse de PROMULGUER la loi. Rien n'est plus faux.
Le grand-duc refuse de la SANCTIONNER (pour des motifs de conscience). Mais il ne veut pas bloquer le "processus démocratique", il ne veut pas bloquer la loi. En conséquence, AFIN QUE LA LOI PUISSE PASSER, il a demandé lui-même la modification de la constitution, dans le sens que désormais le grand-duc ne sanctionnerait plus de loi, mais se contenterait de la promulger.
En conséquence, si la loi est votée par le parlement, LE GRAND DUC LA PROMULGUERA sans état d'âme ! C'est son intention clairment affirmée.
Ainsi, l'image du grand-duc s'opposant à l'euthanasie, c'est une image d'Epinal bien éloignée de la réalité.
Le grand-duc veut à la fois sauvegarder sa conscience, et à la fois laisser intègre le processus démocratique. Pour reprendre l'expression biblique, c'est un cœur partagé. Il veut servir Dieu dans sa conscience, et servir la démocratie dans la société. Or, nul ne peut servir deux maîtres.
C'est ce commentaire qui m'a mis la puce à l'oreille. Et alors je me suis rendu compte que pour la presse luxembourgeoise (et belge) c'était une simple évidence faisant partie de l'état de la question.