Duccio, fragment de la prédelle de la Maestà, verso, Sienne, 1308-1311.
« Alors le démon le transporta dans la ville sainte, et le mettant sur le haut du temple, lui dit : Si vous êtes le fils de Dieu, jetez-vous en bas, car il est écrit : Il ordonnera à ses anges d’avoir soin de vous, et ils vous soutiendront de leurs mains, de peur que vous ne heurtiez le pied contre quelque pierre. »
Pourquoi le démon commence-t-il toutes ses tentations par ces mots : « Si vous êtes fils de Dieu » ? C’est pour faire encore ici ce qu’il fit à l’égard de nos premiers parents. De même qu’alors il osa leur parler mal de Dieu en disant : « Dieu sait qu’au moment que vous mangerez de ce fruit vos yeux seront ouverts » parce qu’il leur voulait faire croire que Dieu les trompait, et qu’il n’avait point d’amour pour eux; de même il dit ici au Sauveur : C’est en vain que Dieu vous appelle son fils, et il vous trompe par cette qualité qu’il vous donne. Que si vous croyez être en effet ce qu’il vous fait croire que vous êtes, donnez une preuve de votre puissance. Et comme il voyait que Jésus-Christ lui avait rapporté un passage de l’Ecriture, il en use de même envers lui, et lui cite un passage du Prophète.
Jésus-Christ s’indigne-t-il ? s’emporte-t-il ? Non, il lui parle avec une extrême douceur, empruntant encore sa réponse aux Ecritures : « Jésus lui répondit : Il est écrit aussi : Vous ne tenterez point le Seigneur votre Dieu. »
Pourquoi ? Le Sauveur nous apprend par cette conduite que ce n’est point par les miracles qu’il faut vaincre le démon, mais par une patience ferme et invincible ; et que nous ne devons jamais rien faire par ostentation et par vanité. Mais remarquez combien était grossier l’artifice du démon, jugez-en par le témoignage même qu’il emprunte aux Livres saints. Quant au Seigneur, les témoignages qu’il cite se rapportent admirablement à ce qu’il dit ; mais le démon cite des paroles en l’air et au hasard, sans qu’elles prouvent en aucune sorte ce qu’il en infère. Car ces paroles du Psaume : « Il ordonnera à ses anges d’avoir soin de vous », ne disent pas que le Juste se précipite lui-même. Et de plus, elles n’ont pas été proprement dites de Jésus-Christ. Le Fils de Dieu néanmoins ne se met point en peine de les réfuter, quoique le démon les eût alléguées d’une manière qui lui était si injurieuse et si contraire à leur véritable sens. Car ce n’est point au Fils de Dieu à faire ce que cet esprit de malice lui conseillait alors. C’est au démon à se précipiter lui-même ; comme c’est à Dieu à relever ceux qui sont tombés dans le précipice. Si Jésus-Christ devait montrer sa puissance, il le devait plutôt faire en tirant les autres du précipice, qu’en s’y jetant. Il n’appartient qu’aux démons d’agir de la sorte, et de se précipiter en troupe dans les abîmes. C’est pourquoi ils tâchent de rendre les autres les compagnons de leur chute et de leur supplice.
Cependant Jésus-Christ ne se découvre point encore : et il parle au démon comme un simple homme aurait pu faire. Car en disant : « L’homme ne vit pas du pain seul », ou : « Vous ne tenterez point le Seigneur votre Dieu », il ne dit rien qui le puisse faire reconnaître, et le distinguer des autres. Et ne vous étonnez pas si le démon parlant à Jésus-Christ tourne de toutes parts, et l’attaque de tant de manières. Comme un athlète qui a reçu des blessures mortelles et qui perd la vue avec son sang, ne fait plus que tourner et que s’agiter inutilement, de même le démon après avoir reçu ces deux blessures mortelles, na sachant plus ce qu’il doit dire, parle comme à l’aventure, et recommence une troisième tentation.
« Le démon le transporta encore sur une montagne fort haute ; et lui montrant tous les royaumes du monde, et la gloire qui les accompagne, lui dit : Je vous donnerai toutes ces choses, si en vous prosternant devant moi vous m’adorez. »
« Mais Jésus lui répondit : Retire-toi, Satan ; car il est écrit: Vous adorerez le Seigneur votre Dieu, et vous ne servirez que lui seul. » Jésus-Christ voyant que le démon par ces paroles offensait son Père, en s’attribuant ce qui n’appartient qu’à Dieu, et qu’il se faisait lui-même Dieu, et le créateur de toutes choses, le reprend de son orgueil, quoiqu’avec douceur néanmoins, se contentant de lui dire : « Retire-toi, Satan », ce qui était plutôt un commandement qu’un reproche. Ce mot seul, « Retire-toi », le mit aussitôt en fuite ; et on ne voit plus depuis qu’il l’ait tenté.
Saint Jean Chrysostome, homélie 13 sur saint Matthieu, traduction Jeannin, 1865.
Reconstitution du revers de la Maestà. La tentation du Christ est (en bas) le deuxième tableau à partir de la gauche. Il se trouve à la Frick Collection, New York.