Fin de la « Lettre sur la toute-puissance divine ».
Mais en écrivant ce que vous venez de lire, le cœur nous brûle d'un tel feu que nous ne pouvons garder cela pour nous en silence, sans qu'au moins une étincelle s'en échappe. Ainsi, pour m'adresser maintenant à vous tous ensemble, je ne veux pas vous cacher, mes vénérables frères, que depuis que j'ai repassé le seuil de votre glorieux monastère, je n'ai pas cessé de vous avoir devant les yeux; je vous tiens embrassés au plus secret, au plus profond de mon attachement, et, pour vous l'avouer, en revenant du très saint sanctuaire du Cassin il m'est arrivé la même chose qu'à cette femme qui s'en retournait du temple de Silo: mon regard l ne s'est plus porté nulle part ailleurs. Certes oui, j'habite en personne avec vous, je me tiens toujours auprès de vous. Au reste, si je ne suis pas avec vous pour cette raison que je ne vous vois pas de mes yeux de chair, alors mes yeux non plus ne sont pas dans ma tête, puisqu'ils ne peuvent voir ma tête, ou même mes yeux sont absents pour eux-mêmes, puisque chacun d'eux ne peut se voir, ni les deux se regarder l'un l'autre. Heureux, en tout cas, ceux qui vivent avec vous, heureux ceux qui meurent au milieu de vous et de vos œuvres saintes. Oui, il faut croire fidèlement que cette échelle que l'on voyait autrefois dressée du Mont-Cassin vers le ciel, toujours jonchée de palliums et scintillante de lampes, tout comme elle reçut alors le chef, fait maintenant passer l'armée qui le suit vers le monde céleste, et que les défunts ne peuvent en déviant s'écarter du chemin glorieux de celui dont ils ont suivi les pas pendant qu'ils vivaient en cet exil. C'est là l'incendie de ferveur qui flambe au fond de moi, sans pouvoir s'éteindre en mon cœur ; c'est là le sujet d'entretien perpétuel que j'ai toujours sur les lèvres.
Mais parmi toutes les fleurs de vertus que j'ai découvertes dans ce champ fertile, béni du Seigneur, j'avoue que cela ne m'a pas fait un médiocre plaisir de ne pas y avoir trouvé d'écoles pour ces enfants qui souvent énervent et relâchent la sainte rigueur ; mais vous tous: les uns âgés, parmi lesquels le noble époux de l'Eglise siégera aux portes ; d'autres dans la joyeuse parure de la jeunesse, qui, en fils des prophètes, sont assurément dignes d'aller chercher Elie au désert ; d'autres encore dans toute la fleur printanière de l'adolescence, qui, comme le dit l'Apôtre saint Jean, ont vaincu le Malin.
Voici ce qui me vient à l'esprit à présent pour la consolation de mon cher seigneur Pierre, lequel était autrefois citoyen de Capoue, et maintenant est enrôlé dans la milice du Roi éternel.
Un petit garçon de cinq ans, fils d'Hubald, homme de grande noblesse qui vit avec moi à l'ermitage, était devenu moine dans mon monastère. Une fois, dans le silence de la nuit profonde, comme les frères se reposaient, je ne sais s'il est sorti ou s'il a été enlevé, mais, comme le boulanger était couché dans la boulangerie, et, s'étant réveillé à un certain moment, avait voulu, pour avoir moins froid, mettre sur lui son vêtement qui était à côté de lui, voici donc que, tendant le bras, il trouve l'enfant qui dormait auprès de lui. Aussitôt, stupéfait et fort effrayé, il se lève à la hâte, allume une lampe et, examinant toute la maison avec la plus grande attention, trouve toutes les entrées fermées et verrouillées. Au matin, ce ne fut pas un petit étonnement parmi les frères : comment l'enfant qu'ils avaient vu sans aucun doute possible, la veille au soir, couché dans son lit, avait-il pu entrer, portes fermées, dans la boulangerie ? En fait, des apôtres aussi on lit que, comme ils allaient être libérés de la prison publique, un ange du Seigneur vint à eux dans la nuit, ouvrit les portes du cachot et les fit sortir en disant : Allez, et tenez-vous dans le temple, annonçant au peuple tout ce qui concerne cette vie.
De saint Pierre encore on lit que, comme l'ange au sortir du cachot marchait devant lui vers la porte de fer, d'elle-même elle s'ouvrit devant eux. De Paul également, que tout à coup il se produisit un si violent tremblement de terre que les fondements de la prison furent ébranlés, et à l'instant toutes les portes s'ouvrirent, et les liens de tous les prisonniers se détachèrent. Mais alors que les anges mêmes ne faisaient sortir de leur prison les bienheureux apôtres qu'après avoir ouvert les portes, il est bien étonnant de voir comment un enfant, peut-être par un effet de la magie des hommes, ou bien des prestiges des esprits impurs, a pu entrer dans une maison fermée de tous côtés sans que les portes aient été ouvertes. Or, l'enfant lui-même, dûment questionné, ajoutait que des hommes l'avaient pris et emmené à un grand festin, où s'offraient à la vue tous les mets les plus délicieux, et le firent manger. Il racontait aussi qu'ils le transportèrent au fort qui domine le monastère et le déposèrent juste sur la petite cloche qui est suspendue tout en haut, contre la basilique.
Cette histoire, j'ai pensé qu'il fallait en écrire le récit, pour que chacun d'entre nous, considérant que même les enfants qui ne savent pas encore pécher sont exposés aux embûches de l'Ennemi malin, supporte lui aussi sans se troubler l'épreuve qu'il subit. Avec quelle patience, n'est-ce pas, les pécheurs ne doivent-ils pas supporter les peines que leur inflige l'Ennemi malin, voyant les innocents eux-mêmes porter quelquefois le poids de leurs propres fautes ? Ce frère dont je parle, je l'exhorte donc à se réjouir dans ses tribulations et à croire en toute confiance que les coups de marteau de la tentation nettoient la rouille de son âme. Car ce n'est pas un signe de damnation future, comme le diable, lui, le fait faussement craindre, mais plutôt un accroissement du salut éternel.
Que le Saint-Esprit, qui est la lumière éternelle et la rémission des péchés, vous éclaire et vous absolve tous, et qu'il vous fasse souvenir sans trêve de moi dans vos saintes prières.