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A propos d’un débat en ligne sur la liturgie

Le Salon Beige informe que demain soir à 19h30 aura lieu un « webinaire » sur le thème : “la liturgie sacrée et la convergence théologiques des rites byzantin et tridentin”. Avec plusieurs intervenants orthodoxes et catholiques.

Je ne doute pas que ce sera intéressant, et c’est pourquoi je le signale. Je dois toutefois faire trois observations.

La première concerne l’intitulé. Il n’y a pas de « rite tridentin ». Il est plus que temps de bannir cette expression, qui met en parallèle un rite de saint Pie V et un rite de Paul VI. Or s’il y a bien un rite de Paul VI, il n’y a pas de rite de saint Pie V. Le Missel Romain promulgué par saint Pie V était quasiment identique à un missel romain publié cent ans plus tôt. Un siècle avant le concile de Trente. En outre ce missel était substantiellement le même que les missels romains précédents. La liturgie romaine traditionnelle est une liturgie traditionnelle, issue d’une tradition immémoriale. L’essentiel de l’ordo missae date d’au moins saint Grégoire le Grand. Saint Pie V n’a pas imposé un rite, il a publié un missel qui avait élagué ce qui avait proliféré de façon excessive (quoique pas toujours) à la fin du moyen âge. Les oraisons de la liturgie traditionnelle se trouvent dans les plus anciens sacramentaires, et les chants propres de la messe se trouvent dans les plus anciens antiphonaires que nous ayons. Je l’ai souvent montré dans mon blog, et c’était un plaisir de Laszlo Dobszay de voir ses étudiants s’émerveiller de trouver dans les manuscrits médiévaux la même chose que dans leur Liber usualis. Hier nous célébrions la sexagésime (supprimée par Paul VI), et comme chacun sait il s’agit d’une messe qui n’existait pas encore sous saint Grégoire le Grand. Elle date du VIIe siècle, et donc se trouve dans les livres du Xe comme dans ceux du XXe (Sexagésime est en abréviation LXma), près de 500 ans avant le concile de Trente : Exsurge quare obdormis Domine

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La deuxième observation est que le panel bien séparé entre orthodoxes et catholiques laisse penser une fois de plus que la liturgie byzantine est spécifique des orthodoxes, alors que plusieurs Eglises catholiques sont de tradition byzantine. Il serait judicieux, ne serait-ce que pour respecter la vérité des faits, d’inviter un représentant d’une Eglise catholique byzantine.

Et troisièmement il serait nécessaire que l’un des participants catholiques ait une connaissance intime du rite byzantin, pour que la comparaison aille au fond des choses.

Par exemple quelqu’un comme Peter Kwasniewski, qui a précisément écrit un article spécifiquement sur le thème du débat, en 2018, sur le blog New Liturgical Movement. Ci-dessous une traduction rapide de ce texte.

 

La liturgie byzantine, la Messe latine traditionnelle et le Novus Ordo : deux frères et un étranger

Par Peter Kwasniewski

Pour moi, et, je pense, pour la plupart des traditionalistes, il est évident que la Divine Liturgie byzantine et la Messe romaine traditionnelle sont spirituellement proches, et que le Novus Ordo s'écarte de l'héritage qu'elles ont en commun.

Mais on rencontre parfois des catholiques byzantins qui, trompés par les similitudes superficielles entre la liturgie byzantine et le Novus Ordo (par exemple, qu'ils sont souvent célébrés dans une langue vernaculaire prononcée de manière audible) et par les différences évidentes entre la liturgie byzantine et le rite romain traditionnel (par exemple, qu'il y a beaucoup plus de silence dans la seconde que dans la première, et que le peuple semble jouer un rôle plus "actif" dans l'une que dans l'autre), soutiennent que les liturgies byzantine et le Novus Ordo sont spirituellement plus proches, et donc, lorsqu'ils ont le choix, choisiront l'usus recentior romain plutôt que l'usus antiquior. En effet, les protagonistes et les apologistes de la réforme liturgique romaine prétendent souvent être des admirateurs de la tradition orientale et aiment souligner les nombreuses caractéristiques apparemment "orientales" de la liturgie néo-romaine.

Or, s'il est vrai que la liturgie byzantine et la liturgie latine traditionnelle ont beaucoup plus en commun l'une avec l'autre que l'une ou l'autre avec le Novus Ordo, nous devons être en mesure de dire précisément en quoi consiste ce point commun. Je propose que nous puissions le voir dans les principes suivants, que je vais d'abord énumérer, puis expliquer :

1. Le principe de tradition ;
2. le principe du mystère ;
3. le principe du mode élevé ;
4. le principe d'intégrité ou de stabilité rituelle ;
5. le principe de densité ;
6. le principe de la préparation adéquate et répétée ;
7. le principe de véracité ;
8. le principe de hiérarchie ;
9. le principe de parallélisme ; et
10. le principe de séparation.

1. Le principe de la tradition. L'une et l'autre sont le résultat d'un développement organique d'un noyau apostolique ancien, transmis par des siècles de foi vivante ; malgré les attributions de telle ou telle liturgie à un saint célèbre comme saint Jean Chrysostome ou saint Basile, en fait le rite est l'œuvre de beaucoup de personnes que nous ne pouvons pas nommer. Aucune liturgie byzantine ou liturgie romaine classique n'est le produit d'un comité d'experts d'avant-garde, déconnectés du peuple et captifs de théories à la mode depuis longtemps révolues. On peut appeler cela le principe de tradition, de la réception de ce qui est transmis. En d'autres termes, une liturgie n'est pas bonne parce que l'autorité de l'Église la juge bonne, mais parce que l'Église la sait bonne parce qu'elle l'a reçue. Nous touchons ici à la racine de cet ultramontanisme bizarre en Occident qui considère que la liturgie n'est rien d'autre que ce que l'autorité papale a promulgué - comme si la liturgie était une argile infiniment malléable dont la forme est entièrement laissée à la volonté du sculpteur. Avant Paul VI, l'autorité papale promulguait ce qui était déjà connu et aimé comme traditionnel dans l'Église latine. [1]

2. Le principe du mystère. Chacune de ces liturgies montre le principe du mystère : la liturgie est palpablement sacrée, une œuvre et une merveille que Dieu accomplit au milieu de nous, à laquelle l'homme est autorisé à s'unir dans la crainte et le tremblement. La liturgie traditionnelle est comme un nuage dans lequel Dieu habite et dont Moïse n'ose pas s'approcher. On n'a pas l'impression d'une réunion avec un ordre du jour, conduite par des chefs d'entreprise, caractérisée par beaucoup de lecture de textes et de répartition des tâches. Nous sommes prosternés en terre sainte devant le buisson ardent de l'autorévélation divine.

3. Le principe du mode élevé. Les prières et les leçons des liturgies traditionnelles orientales et occidentales sont soit chantées par les chantres, les diacres, les sous-diacres et les chœurs, soit murmurées dans le sanctuaire par le prêtre, mais jamais simplement récitées comme les nouvelles du jour ou une leçon scolaire. Cette élévation passe en partie par l'utilisation de ce que nous pourrions appeler le "langage élevé". En Orient, elle prend la forme de compositions poétiques exquises ; en Occident, de vénérables locutions latines. Le latin est aussi véritablement, proprement et définitivement la langue de l'Église catholique romaine que les langues vernaculaires peuvent être les langues des rites orientaux (du moins l’anglais aux Etats-Unis, mais c’est loin d’être partout le cas en Orient). Quelque chose qui perdure depuis 1600 ans en Occident n'est pas un accident aléatoire mais un principe constitutif, comme nul autre que le Pape Saint Jean XXIII l'a déclaré dans sa Constitution Apostolique Veterum Sapientia, signée sur l'autel de Saint Pierre en 1962. Ceux qui assistent à l'usus antiquior sont bien conscients de l'effet puissant sur les fidèles de l'utilisation cérémonielle d'une langue ancienne qui a acquis une force numineuse avec le temps. Le fait même que cette langue soit spécialement mise à part, consacrée en quelque sorte pour le culte public de Dieu, représente objectivement et induit subjectivement cette séparation du sacré et du profane qui est au cœur de la religion sacrificielle.

4. Le principe d'intégrité rituelle. La Divine Liturgie et la Messe latine traditionnelle préexistent à toute célébration donnée en tant que rites déterminés, entièrement articulés, que le clergé et le peuple suivent avec une humble obéissance. Les prières, les antiennes, les lectures, les gestes et les chants sont fixes et prescrits ; surtout, la prière la plus sainte, l'anaphore, est soit immuable (en Occident), soit déterminée par le calendrier liturgique (en Orient). De cette façon, les préférences ou les choix personnels du célébrant ne sont jamais le moteur de l'action. On peut aussi appeler cela le principe de stabilité, puisque l'intégrité rituelle garantit au clergé et au peuple un roc inébranlable sur lequel ils peuvent construire leur vie spirituelle.

5. Le principe de densité. L'ancienne liturgie romaine, tout comme l'ancienne liturgie byzantine, est truffée de contenus dogmatiques, moraux, ascético-mystiques. Les prières sont épaisses, riches et pleines de religion. Elles sont une tapisserie poétique de l'Écriture et d'autres énoncés de piété. Le Novus Ordo est manifestement exigu en comparaison. Pensez aux divers tropaires de la tradition byzantine, ou à la richesse des antiennes propres au rite romain, et aux collectes, secrètes et postcommunions, dont presque aucune n'a survécu au scalpel du Consilium. [2]

6. Le principe de la préparation. Le principe d'une préparation adéquate et répétée est étroitement lié à ce qui précède. En Orient comme en Occident, le clergé et les ministres se préparent minutieusement avant la liturgie à leur tâche, que ce soit à une table latérale préparant les offrandes avec d'abondantes prières, ou au pied de l'autel en récitant le psaume 42, le Confiteor et les prières de montée. Comment peut-on imaginer sortir de la sacristie et s'approcher de l'autel, comme si de rien n'était ? Comme si l'on se rendait à un déjeuner de collecte de fonds ?

Comme l'a si bien noté Catherine Pickstock, la répétition des prières dans toutes les liturgies authentiques est délibérée et revêt une immense importance spirituelle. Dans la liturgie byzantine, le prêtre prie fréquemment en secret, du début à la fin, alors qu'il se prépare encore et encore à la prochaine étape merveilleuse qui doit être franchie dans les mystères du Christ. La liturgie romaine authentique n'est pas différente, avec son ample Offertoire, ses trois prières de préparation à la communion, les prières d'ablution, le Placeat et le dernier Évangile. Chacun peut constater la répétition de certaines prières dans la Divine Liturgie et dans l'usus antiquior romain - dans la première, les litanies de "Seigneur, prends pitié" ou "Accorde-le, Seigneur" ; dans la seconde, le Kyrie à neuf temps, le triple Confiteor, le triple "Domine, non sum dignus" (fait deux fois pour indiquer la distinction entre la communion du prêtre et celle des fidèles). [3]

7. Le principe de véracité. L'ensemble du message évangélique est présent dans les lectionnaires traditionnels - aussi bien les parties dites "difficiles" que les plus faciles. Dans le Novus Ordo, comme on le sait, l'Écriture est fortement modifiée pour se conformer aux préjugés modernes [4]. Plus généralement, la lex orandi traditionnelle contient et transmet avec une vigueur apostolique la totalité de la lex credendi de l'Église catholique, sans aucune modification pour tenir compte des sensibilités ou des sensibleries contemporaines. Ainsi, pour prendre un exemple parmi mille, la damnation de Judas, et la possibilité réelle de l'enfer pour n'importe lequel d'entre nous, est enseignée sans faiblesse, tandis que les psaumes de malédiction dirigés contre nos ennemis spirituels sont abondamment utilisés. Ce genre de choses est supprimé ou fortement réduit dans le Novus Ordo [5]. À cet égard, il ne transmet pas la plénitude de la foi telle que nous la trouvons dans l'Écriture, les Pères, les Conciles et les Docteurs de l'Église. De cette façon, elle ne remplit pas son rôle de lex orandi de l'Église orthodoxe.

En fait, de nombreux points de la doctrine de la foi sont vus et entendus dans les anciennes liturgies, alors qu'ils doivent être étudiés et acceptés aveuglément dans le contexte de la liturgie néo-romaine, parce que le rite lui-même ne les rend pas évidents. À titre d'exemple, considérons la vénération que l'on doit porter aux saints, ou l'adoration de latrie que l'on doit au Saint Sacrement. Celui qui assiste à la liturgie byzantine ou à la liturgie romaine traditionnelle fera une expérience viscérale de la vénération des saints et de l'adoration de l'Eucharistie. En revanche, le Novus Ordo a systématiquement réduit l'accent mis sur les saints [6] ainsi que les signes de révérence à accorder aux impressionnants mystères du Christ.

8. Le principe de hiérarchie se manifeste dans la division claire des rôles du prêtre, du diacre, du sous-diacre, de l'acolyte, du chantre, etc. Cette diversité non interchangeable des rôles est grossièrement confondue et diluée dans le Novus Ordo, avec ses règlements lâches sur les laïcs travaillant dans le sanctuaire. Ni la liturgie byzantine ni l'authentique liturgie romaine ne permettent à des laïcs non investis d'entrer bon gré mal gré dans le sanctuaire et d'y accomplir des tâches propres au clergé, en particulier la manipulation de la très sainte Eucharistie. Au contraire, l'identité du prêtre en tant que médiateur entre Dieu et l'homme est parfaitement respectée et démontrée en action - et l'identité du laïc en tant que participant actif au sacrifice est également respectée et démontrée en action.

La liturgie est une véritable incarnation de l'ecclésiologie et non une alternative imaginaire à celle-ci. On ne peut pas tirer du Novus Ordo un compte rendu cohérent de la nature hiérarchique du Corps mystique, alors qu'il est facile de le faire à partir de la Divine Liturgie ou de la Messe romaine traditionnelle. La participation est donc comprise d'une manière fondamentalement différente dans les liturgies traditionnelles et dans le rite néo-romain. Le point de vue correct est que la participation doit correspondre aux rôles distincts des diverses parties du corps, et que cela doit être visible pour tous dans la tenue vestimentaire, le port, l'emplacement et les tâches assignées - et non assignées - aux participants. [7]

9. Le principe de parallélisme, qui rejoint celui de hiérarchie. Dans toute liturgie orientale ou occidentale authentique, nous constatons que plusieurs choses se passent souvent simultanément (ou pour utiliser le terme technique, il y a une "liturgie parallèle"). Le diacre dirige une litanie alors que le prêtre récite ses propres prières ; le peuple chante le Sanctus alors que le prêtre a commencé le Canon. Ceux qui assistent à des liturgies byzantines ou latines traditionnelles en viennent à considérer la liturgie comme une action à plusieurs niveaux, composée de nombreuses actions individuelles convergeant vers un objectif commun. Il ne s'agit certainement pas d'une suite logique d'actes discrets, où une seule chose peut avoir lieu à la fois (comme dans la liturgie "séquentielle" ou "modulaire" illustrée par le Novus Ordo). [8]

10. Le principe de séparation. Toutes les liturgies chrétiennes authentiques préservent et utilisent rituellement la théologie inscrite dans l'architecture du temple de l'Ancienne Alliance, qui, comme l'enseigne l'Épître aux Hébreux, est récapitulée dans le Christ et donc symbolisée pour toujours dans notre sacrifice eucharistique. En Orient, la séparation du sanctuaire ou saint des saints de la nef est plus évidente en raison de la présence d'une iconostase par laquelle seuls certains clercs peuvent entrer. En Occident, les rideaux ont cédé la place au jubé qui, dans la plupart des endroits, s'est réduit au banc de communion, mais le sanctuaire est toujours resté distinct, élevé et interdit aux laïcs. De plus, dans la liturgie occidentale, l'iconostase visuelle a cédé la place à une "iconostase sonore" où le latin alterne avec le silence. Le langage hiératique et l'absence enveloppante de son abaissent un voile sur le saint des saints et protègent les mystères sacrés de la profanation par un traitement désinvolte. Ainsi, si les liturgies orientales et occidentales accomplissent ce "voilement de nos visages à la Présence" de différentes manières, toutes deux sont très efficaces pour y parvenir, attirant puissamment l'attention de l'adorateur sur la gloire cachée de Dieu.

 

Au-delà de ces principes, qui renvoient évidemment à la nature même du culte divin, il y a toute une série de choses qui ne sont pas nécessairement caractéristiques du Novus Ordo, et qui pourtant l'accompagnent dans 99 % des cas, comme la position versus populum. Après cinquante ans de clergé faisant face au peuple presque toujours et partout, avec des réprimandes papales à ceux qui osent penser différemment, même le partisan le plus optimiste de la Réforme de la Réforme ne peut soutenir que le versus populum ne caractérise pas le Novus Ordo dans l'esprit de ses architectes, de ceux qui le mettent en œuvre, et de ses utilisateurs.

Comparée au Novus Ordo, la liturgie byzantine ressemble à un roi à côté d'un pauvre, à un Rembrandt à côté d'une caricature, à un festin après une famine. Mais comparée au rite romain traditionnel, dans toute sa splendeur complexe et sa solennité réglementée, elle est une égale à la table de la tradition. Nous faisons une injustice à l'œuvre du Saint-Esprit dans l'Église occidentale en parlant comme si la liturgie byzantine était "l'étalon-or", alors que le rite romain dans sa plénitude - malheureusement, si rarement vu par les catholiques romains ! - est tout à fait à la hauteur. Au contraire, c'est le Novus Ordo qui devrait être mis à la porte, car il n'a pas le droit de s'asseoir à la table royale des rites liturgiques authentiques.

Si quelqu'un objecte à ce stade que le Novus Ordo peut être célébré d'une manière qui est "en continuité" avec la tradition romaine précédente (et donc d'une manière qui n'est pas différente de la Divine Liturgie), ma réponse est simple. Plusieurs des dix principes résumés ci-dessus ne sont pas du tout incarnés par le Novus Ordo - et ceci à dessein (ici, j'inclurai au moins 1, 4, 5, 6, 7 et 9) ; tandis que les principes restants (2, 3, 8 et 10) peuvent être mis en œuvre - ou alors ils peuvent ne pas l'être, en fonction de qui est le "président". En bref, ils sont possibles mais pas nécessaires. Ce fait, en soi, démontre déjà le caractère profondément anti-traditionnel du Novus Ordo, qui dépend, pour sa cohérence même avec la tradition, des décisions libres de son célébrant, plutôt que de s'appuyer sur l'adhésion à une règle fixe [9]. Ainsi, le Novus Ordo peut être proposé de manière quasi-traditionnelle, alors que les liturgies byzantine et tridentine doivent être proposées de manière traditionnelle - il n'y a pas de choix possible. [10]

Dans cette seule différence nous pouvons voir le fossé presque infini qui sépare le Rite Romain moderne de tout rite historique de la chrétienté, orientale ou occidentale. Son manque de densité doctrinale, morale, rubricale et cérémoniale, sa structure modulaire-linéaire-rationaliste et son "optionnisme" le séparent essentiellement de la sphère de la culture sacrée que l'usus antiquior romain et la Divine Liturgie byzantine ont en commun. On pourrait adapter à cette situation les paroles d'Abraham dans la parabole du Riche et Lazare : "Entre nous et toi, il y a un grand gouffre, de sorte que ceux qui voudraient passer d'ici à toi ne peuvent pas, et de là ne peuvent pas venir ici" (Lc 16,26).

Ce qui est vraiment surprenant, étant donné ce qui précède, c'est le nombre de catholiques byzantins et d'"experts" en liturgie orientale - Robert Taft, S.J., étant le plus éminent - qui favorisent la liturgie romaine "réformée", négligeant les divergences et les contradictions monumentales entre ses principes de composition et d'exécution et ceux qui sont communs, comme je l'ai montré, à la liturgie byzantine et à la liturgie latine traditionnelle. En effet, il n'est pas exagéré de dire que la liturgie Pauline, tant dans son ensemble que dans ses particularités, est une déformation de la liturgie latine qui ne peut être classée avec les authentiques rites catholiques de l'histoire. Il y a donc une profonde incohérence à ce que les catholiques byzantins préfèrent le Novus Ordo en raison de ses caractéristiques secondaires ou tertiaires, tout en négligeant, en tolérant ou même en semblant approuver ses déviations des principes fondamentaux de la liturgie classique.

Il ne s'agit pas d'une simple question spéculative. Comme nous le savons, les liturgistes discutent depuis des décennies de la manière de "réformer" les rites catholiques orientaux pour les mettre en conformité avec Sacrosanctum Concilium et les plans Bauhaus de Bugnini. La force combinée d'un préjugé en faveur du pluralisme multiculturel, du conservatisme inhérent à l'Orient et de l'absence d'une autorité centralisée capable d'imposer de gigantesques changements liturgiques a pour l'instant épargné aux rites orientaux les pires excès de la réforme liturgique. Mais cette paix fragile pourrait ne pas durer éternellement, surtout si les dirigeants de l'Église continuent à faire preuve de l'arrogance et de la myopie qui les affligent depuis cinquante ans. Il incombe donc à chaque chrétien oriental et à chaque sympathisant romain de comprendre les erreurs qui ont conduit aux rites paulins et qui y sont profondément ancrées, et de s'opposer à toute réduction, compromis ou nouveauté dans leur propre vie liturgique.

Pour revenir au début : les catholiques byzantins qui aiment leur propre tradition liturgique feront bien de s'exposer à la tradition liturgique occidentale telle qu'elle est préservée et transmise dans l'usus antiquior, et - précisément par amour pour ce qui est commun à l'Orient et à l'Occident - d'éviter la liturgie néo-romaine, avec son mélange d'antiquarisme inconsistant et de nouveautés modernes, sa dissonance cognitive et sa rupture avec la tradition chrétienne. Il s'agit ni plus ni moins d'un contre-signe des traditions grecque et latine, qui contredit les vérités dogmatiques et morales séculaires que la liturgie a toujours présentées et inculquées aux fidèles. Les catholiques romains et byzantins se savent en sécurité, entre de bonnes mains, lorsqu'ils assistent aux rites authentiques de l'autre, mais aucun ne peut se sentir en sécurité en assistant au Novus Ordo.

Je conclus avec les mots de Martin Mosebach : "Tous les efforts en faveur de l'œcuménisme, aussi nécessaires soient-ils, ne doivent pas commencer par des rencontres avec des hiérarques orientaux pour attirer l'attention, mais par la restauration de la liturgie latine, qui représente le véritable lien entre les Églises latine et grecque." [11]

 

NOTES

[1] Geoffrey Hull dans The Banished Heart montre que le problème de l'interférence papale dans la liturgie remonte à plusieurs siècles. Néanmoins, il reconnaît l'abîme qui sépare tout ce qui a été fait par les papes avant Paul VI de la rupture monstrueuse introduite par Montini. Il y a une différence de nature, pas seulement une différence de degré. Je connais un philosophe catholique qui soutient que la seule raison pour laquelle un rite de la Messe est valide est parce que le Pape l'a déclaré ainsi, et que si le Pape voulait vider tout le contenu du rite et le remplacer par quelque chose de totalement différent, ce serait un vrai rite catholique tant qu'il contiendrait les mots de la consécration.

[2] Carl Olson a fait cette observation : "Ayant fréquenté une paroisse byzantine pendant près de 20 ans, il est intéressant de constater que si les liturgies orientales ne sont pas silencieuses comme l'est la messe latine - en fait, il y a peu de silence dans une liturgie byzantine - les similitudes et les convergences les plus profondes se trouvent dans la révérence, la transcendance et la richesse théologique. Franchement, l'écoute de bon nombre des prières prononcées lors d'une messe Novus Ordo me fait perdre la tête. En d'autres termes, la Divine Liturgie et la Messe latine s'adressent toutes deux à l'esprit, au cœur et aux sens d'une manière mystérieuse et profonde qui, tout en étant quelque peu subjective à certains degrés, est au service de la vérité objective et de la réalité divine".

[3] Je suis bien conscient que ces prières ont été construites au fil du temps, et que, par exemple, le dernier évangile a été un ajout relativement tardif. Mais tous ces ajouts ont eu lieu pour une bonne raison ; ils se sont produits sous la douce influence du Saint-Esprit. Les supprimer après qu'ils aient été ajoutés de manière appropriée et harmonieuse et qu'ils soient devenus une partie fixe du rite pendant des siècles n'est rien d'autre qu'une répudiation de leur contenu théologique et de leur fonction liturgique, et donc un péché contre le Saint-Esprit. Sacrosanctum Concilium se trompe donc en affirmant que la liturgie contient des "répétitions inutiles" qui doivent être purgées. En réalité, quiconque s'engage dans la prière dans les répétitions de l'ancienne liturgie comprend leur but, qui n'a jamais présenté de difficulté pour les chrétiens jusqu'aux hypothèses étroitement rationalistes et utilitaires des temps modernes.

[4] Voir mon article “A Tale of Two Lectionaries: Qualitative versus Quantitative Measures” pour plus de détails sur cet aspect troublant du lectionnaire révisé.

[5] Sur Judas, voir mon article “Damned Lies: On the Destiny of Judas Iscariot” ; sur l'omission des psaumes, voir mon article “The Omission of ‘Difficult’ Psalms and the Spreading-thin of the Psalter.

[6] Le Canon romain, comme l'anaphore de la Divine Liturgie de saint Jean Chrysostome, mentionne de nombreux saints. Les néo-anaphores réduisent sévèrement cet hommage et cet appel.

[7] Dans Sacrosanctum Concilium, cependant, la participation devient idéologique parce qu'elle est exaltée au-dessus de tous les autres principes, ce qui entraîne inévitablement une distorsion et une corruption : "Dans la restauration et la promotion de la sainte liturgie, cette participation pleine et active de tout le peuple est le but à considérer avant tout" (n. 14) ; comparerz cette déclaration avec Tra le sollecitudini du pape Pie X : "Nous estimons nécessaire de pourvoir avant tout à la sainteté et à la dignité du temple." Un meilleur concept que la participation serait peut-être l'assistance : chaque membre du corps assiste à la liturgie, chacun selon sa place. L'appartenance est une catégorie plus fondamentale que l'action, tout comme notre insertion dans le Christ au baptême est plus fondamentale pour notre identité que tout acte particulier que nous accomplissons.

[8] Il y a très peu de moments où le prêtre peut faire quelque chose dans le Novus Ordo quand le peuple et/ou le chœur font autre chose : la prière avant l'Évangile, pendant l'alléluia ; les prières d'offertoire, si un chant est entonné ; la rupture de l'hostie pendant le chant de l'Agnus Dei. Mais le nombre de ces moments a été sévèrement réduit, et leur contenu euchologique a été éviscéré.

[9] De même qu'une chaîne est aussi forte que son maillon le plus faible, de même une liturgie remplie d'options n'est aussi bonne que la pire de ces options. Elle doit être jugée non pas en fonction de ce qu'elle pourrait être si de nombreux choix improbables étaient faits, mais en fonction de ce qu'elle est habituellement lorsque les choix habituels sont faits.

[10] Cela ne veut pas dire, bien sûr, que le rite romain traditionnel sera toujours offert d'une manière édifiante ou esthétiquement appropriée - mais cela ne peut jamais être garanti dans aucun rite, car nous avons toujours affaire à des êtres humains dans leur variété et leur fragilité. Je me réfère plutôt aux règles et coutumes qui régissent les cérémonies en tant que telles.

[11] Extrait de la prochaine édition revue et augmentée de The Heresy of Formlessness (Angelico Press, 2018), 187. Ailleurs dans le même livre, Mosebach dit : "Il est caractéristique de ce siècle qu'au moment même où la hache était appliquée à l'arbre vert de la liturgie, les idées les plus profondes sur la liturgie étaient formulées, quoique pas dans l'Église romaine mais dans l'Église byzantine. D'un côté, un pape osait s'ingérer dans la liturgie. De l'autre, l'orthodoxie, séparée du pape par un schisme, a préservé la liturgie et la théologie liturgique à travers les terribles épreuves du siècle. Pour un catholique qui refuse d'accepter les conclusions faciles d’un cynique, ces faits représentent une énigme déconcertante. On est tenté de parler d'un mystère tragique, bien que le mot tragique ne convienne pas dans un contexte chrétien. La Messe de Saint Grégoire le Grand, l'ancienne liturgie latine, se trouve aujourd'hui en marge de l'Église romaine, alors que la Divine Liturgie de Saint Jean Chrysostome vit dans toute sa splendeur au cœur même de l'Église orthodoxe. L'idée que nous avons quelque chose à apprendre de l'orthodoxie n'est pas très populaire. Mais nous devons nous habituer à étudier - et à étudier à fond - ce que l'Église byzantine a à dire sur les images sacrées et la liturgie. Cela vaut également pour le rite latin ; en fait, il semble que nous ne puissions apprendre à connaître le rite latin dans toute sa réalité remplie d'Esprit que si nous le considérons dans la perspective orientale" (57).

Commentaires

  • Merci pour cette traduction de l'article de Peter Kwasniewsk !!

  • Merci pour ces remarques, cher Yves Daoudal.
    Pour qui a pris contact sérieusement avec le rit dit byzantin, il est clair qu'il n'y a pas grand chose en commun entre les bricolages du nouveau missel de Paul VI et la grande tradition grecque. Il suffit de comparer l'anaphore de saint Basile et la "prière eucharistique numéro quatre" censée en être une... adaptation, pour comprendre cette distance.

  • Le drame vient des papes qui ont pris conseil auprès de Rampolla, Bugnini, Bea, Villot, Suenens, Danneels and Co plutôt qu'auprès du St Esprit.

  • Il faudrait aussi que les orthodoxes invités aient une connaissance minimale de la liturgie latine...

  • A ce sujet on peut évoquer le bienheureux Vladimir Ghika(1873-1954), prince roumain orthodoxe converti au catholicisme en 1902, ordonné prêtre en 1923 et mort martyr dans les geôles communistes.
    Seize ans après sa mort, en 1970, le P. Bernard Lecareux, curé de Mérigny, fonde la Fraternité de la Transfiguration afin de poursuivre l'œuvre de Mgr Ghika en travaillant au retour des Orientaux séparés à la communion avec le Siège apostolique, selon l'esprit et la règle de l'encyclique Mortalium animos de Pie XI.

  • Ps, le P Bernard Lecareux est décédé le 22 février 2021, il y a tout juste un an. Demandons son intercession en ces temps difficiles.

  • Très intéressant; Je viens de lire un peu vite certes. Je trouve très intéressant cette liste de différences de principe.
    Pour moi, la première chose qui m'a parlé a été le principe du mystère, quand j'ai découvert la liturgie traditionnelle.
    Egalement, lorsque le prêtre dit, avant de monter à l'autel: je monterai à l'autel du Seigneur.Je crois qu'il s'agit là du principe de préparation.J'adore cette phrase, empreinte de crainte de Dieu, dans le bon sens du mot crainte
    Merci à vous pour la traduction.

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