Extrait de sa première encyclique, E supremi.
"C'est pour Notre cœur une grande tristesse et une continuelle douleur" (31) de constater qu'on peut appliquer à nos jours cette plainte de Jérémie: "Les enfants ont demandé du pain et il n'y avait personne pour le leur rompre" (32). Il n'en manque pas, en effet, dans le clergé, qui, cédant à des goûts personnels, dépensent leur activité en des choses d'une utilité plus apparente que réelle; tandis que moins nombreux peut-être sont ceux qui, à l'exemple du Christ, prennent pour eux-mêmes les paroles du Prophète : "L'esprit du Seigneur m'a donné l'onction, il m'a envoyé évangéliser les pauvres, guérir ceux qui ont le cœur brisé, annoncer aux captifs la délivrance et la lumière aux aveugles" (33). Et pourtant, il n'échappe à personne, puisque l'homme a pour guide la raison et la liberté, que le principal moyen de rendre à Dieu son empire sur les âmes, c'est l'enseignement religieux.
Combien sont hostiles à Jésus-Christ, prennent en horreur l'Eglise et l'Evangile, bien plus par ignorance que par malice, et dont on pourrait dire: "Ils blasphèment tout ce qu'ils ignorent" (34) ! Etat d'âme que l'on constate non seulement dans le peuple et au sein des classes les plus humbles que leur condition même rend plus accessibles à l'erreur, mais jusque dans les classes élevées et chez ceux-là mêmes qui possèdent, par ailleurs, une instruction peu commune. De là, en beaucoup, le dépérissement de la foi; car il ne faut pas admettre que ce soient les progrès de la science qui l'étouffent; c'est bien plutôt l'ignorance; tellement que là où l'ignorance est plus grande, là aussi l'incrédulité fait de plus grands ravages. C'est pour cela que le Christ a donné aux apôtres ce précepte: "Allez et enseignez toutes les nations" (35).
Mais pour que ce zèle à enseigner produise les fruits qu'on en espère et serve à former en tous le Christ, rien n'est plus efficace que la charité; gravons cela fortement dans notre mémoire, ô Vénérables Frères, "car le Seigneur n'est pas dans la commotion" (36). En vain espérerait-on attirer les âmes à Dieu par un zèle empreint d'amertume; reprocher durement les erreurs et reprendre les vices avec âpreté cause très souvent plus de dommage que de profit. Il est vrai que l'Apôtre, exhortant Timothée, lui disait : "Accuse, supplie, reprends, mais il ajoutait : en toute patience" (37). Rien de plus conforme aux exemples que Jésus-Christ nous a laissés.
C'est lui qui nous adresse cette invitation : "Venez à moi, vous tous qui souffrez et qui gémissez sous le fardeau, et je vous soulagerai" (38). Et, dans sa pensée, ces infirmes et ces opprimés n'étaient autres que les esclaves de l'erreur et du péché. Quelle mansuétude, en effet, dans ce divin Maître ! Quelle tendresse, quelle compassion envers tous les malheureux ! Son divin Cœur nous est admirablement dépeint par Isaïe dans ces termes : "Je poserai sur lui mon esprit, il ne contestera point et n'élèvera point la voix : jamais il n'achèvera le roseau demi-brisé et n'éteindra la mèche encore fumante" (39).
Cette charité patiente et bénigne (40) devra aller au-devant de ceux-là mêmes qui sont nos adversaires et nos persécuteurs. "Ils nous maudissent", ainsi le proclamait saint Paul, "et nous bénissons; ils nous persécutent, et nous supportons; ils nous blasphèment, et nous prions" (41). Peut-être après tout se montrent-ils pires qu'ils ne sont. Le contact avec les autres, les préjugés, l'influence des doctrines et des exemples, enfin le respect humain, conseiller funeste, les ont engagés dans le parti de l'impiété ; mais au fond leur volonté n'est pas aussi dépravée qu'ils se plaisent à le faire croire. Pourquoi n'espérerions-nous pas que la flamme de la Charité dissipe enfin les ténèbres de leur âme et y fasse régner, avec la lumière, la paix de Dieu ? Plus d'une fois le fruit de notre travail se fera peut-être attendre ; mais la charité ne se lasse pas, persuadée que Dieu mesure ses récompenses non pas aux résultats mais à la bonne volonté.
(31) Rom. IX, 2.
(32) Thren. IV. 4.
(33) Luc. IV, 18-19.
(34) Jud. II, 10.
(35) Matth. XXVIII, 19.
(36) III Reg. XIX, 11.
(37) II Tim. IV, 2.
(38) Matth. XI, 28.
(39) Is. XLII, 1 et seq.
(40) I Cor. XIII, 4.
(41) Ibid., IV, 12.