Je rends grâces à Jésus-Christ Dieu, qui vous a rendus si sages. Je me suis aperçu, en effet, que vous êtes achevés dans une foi inébranlable, comme si vous étiez cloués de chair et d'esprit à la croix de Jésus-Christ, et solidement établis dans la charité par le sang du Christ, fermement convaincus au sujet de notre Seigneur qui est véritablement de la race de David selon la chair (cf. Rm 1, 3), Fils de Dieu selon la volonté et la puissance de Dieu, véritablement né d'une vierge, baptisé par Jean pour que, par lui, fût accomplie toute justice (Mt 3, 15). Il a été véritablement cloué pour nous dans sa chair sous Ponce Pilate et Hérode le tétrarque, - c'est grâce au fruit de sa croix, et à sa passion divinement bienheureuse que nous, nous existons - pour lever son étendard (Is 5, 26 s) dans les siècles par sa résurrection, et pour rassembler ses saints et ses fidèles, venus soit des Juifs soit des gentils, dans l'unique corps de son Église.
Tout cela, il l'a souffert pour nous, pour que nous soyons sauvés. Et il a véritablement souffert, comme aussi il s'est véritablement ressuscité, non pas, comme disent certains incrédules, qu'il n'ait souffert qu'en apparence: eux-mêmes n'existent qu'en apparence, et il leur arrivera un sort conforme à leurs opinions, d'être sans corps et semblables aux démons.
Pour moi, je sais et je crois que même après sa résurrection il était dans la chair. Et quand il vint a Pierre et à ceux qui étaient avec lui, il leur dit : « Prenez, touchez-moi, et voyez que je ne suis pas un démon sans corps. » Et aussitôt ils le touchèrent, étroitement unis à sa chair et à son esprit. C'est pour cela qu'ils méprisèrent la mort, et qu'ils furent trouvés supérieurs à la mort. Et après sa résurrection, Jésus mangea et but avec eux comme un être de chair, étant cependant spirituellement uni à son Père.
Voilà ce que je vous recommande, bien-aimés, sachant bien que vous aussi vous pensez ainsi. Mais je veux vous mettre en garde contre ces bêtes à face humaine : non seulement il vous faut ne pas les recevoir, mais s'il est possible ne pas même les rencontrer et seulement prier pour eux, si jamais ils pouvaient se convertir, ce qui est difficile. Mais Jésus-Christ en a le pouvoir, lui notre véritable vie. Car si c'est en apparence que cela a été accompli par notre Seigneur, moi aussi, c'est en apparence que je suis enchaîné. Pourquoi donc, moi aussi, me suis-je livré à la mort, pour le feu, pour le glaive, pour les bêtes ? Mais près du glaive, près de Dieu : avec les bêtes, avec Dieu ; seulement que ce soit au nom de Jésus-Christ. C'est pour souffrir avec lui que je supporte tout, et c'est lui qui m'en donne la force, lui qui s'est fait homme parfait.
Certains, par ignorance, le renient, mais ils ont plutôt été reniés par lui, avocats de la mort plus que de la vérité, eux qui n'ont réussi à persuader ni les prophéties ni la Loi de Moïse, ni même jusqu'à présent l'Évangile, ni les souffrances de chacun de nous. Car ils pensent la même chose de nous. Car que me sert que quelqu'un me loue, s'il blasphème mon Seigneur, en ne confessant pas qu'il a pris chair ? Celui qui ne dit pas cela le renie absolument, étant lui-même un croque-mort. Leurs noms, puisqu'ils sont infidèles, il ne m'a pas plu de les écrire. Mais puissé-je même ne pas me souvenir d'eux, jusqu'à ce qu'ils se repentent pour croire à la passion, qui est notre résurrection.
Que personne ne se trompe : même les êtres célestes, et la gloire des anges, et les archontes visibles et invisibles, s'ils ne croient pas au sang du Christ, pour eux aussi il y a un jugement : « Que celui qui peut comprendre, comprenne » (Mt 19, 12). Que personne ne s'enorgueillisse de son rang, car l'essentiel, c'est la foi et la charité, auxquelles rien n'est préférable. Considérez ceux qui ont une autre opinion sur la grâce de Jésus-Christ qui est venue sur nous : comme ils sont opposés à la pensée de Dieu ! De la charité, ils n'ont aucun souci, ni de la veuve, ni de l'orphelin, ni de l'opprimé, ni des prisonniers ou des libérés, ni de l'affamé ou de l'assoiffé.
Ils s'abstiennent de l'eucharistie et de la prière, parce qu'ils ne confessent pas que l'eucharistie est la chair de notre Sauveur Jésus-Christ, chair qui a souffert pour nos péchés, et que dans sa bonté le Père a ressuscitée. Ainsi ceux qui refusent le don de Dieu meurent dans leurs disputes. Il leur serait utile de pratiquer la charité pour ressusciter eux aussi. Il convient de vous tenir à l'écart de ces gens-là, et de ne parler d'eux ni en privé ni en public, mais de vous attacher aux prophètes, et spécialement à l'Évangile, dans lequel la passion nous est montrée et la résurrection accomplie. Et les divisions, fuyez-les comme le principe de tous les maux.
Lettre d’Ignace aux Smyrniotes, I-VII