La conversion de saint Paul sur le chemin de Damas, ou plutôt Saul terrassé par Jésus sur la route : cet épisode est raconté trois fois dans les Actes des apôtres (chapitres 9, 22, 26). La première fois par le narrateur, saint Luc, la deuxième fois par saint Paul lui-même dans son discours de Jérusalem, la troisième fois par saint Paul dans sa défense devant le roi Agrippa (dernier roi hérodien et dernier roi des juifs) et sa sœur Bérénice (qui séduira Titus).
Les trois récits sont très proches. Le premier est centrée sur Saul, qui est entouré d’une vive lumière, tombe par terre et entend le Christ. Ceux qui accompagnent Saul sont restés debout, ils sont stupéfaits d’entendre une voix sans voir le locuteur.
Dans le deuxième récit, saint Paul, en « langue hébraïque », raconte aux juifs de Jérusalem (qui l’ont fait prisonnier et veulent en découdre) la même histoire. Avec une différence : ceux qui l’accompagnaient, dit-il, voyaient la lumière, mais n’entendaient pas la voix de celui qui lui parlait.
Dans le troisième récit, où saint Paul s’exprime en grec, tout le monde tombe par terre quand la lumière enveloppe le groupe. La suite, c’est uniquement le dialogue entre Jésus, qui s’exprime en « langue hébraïque », et Saul. Le discours de Jésus est ici beaucoup plus long, et résume toute la mission de saint Paul.
C’est dans ce troisième récit que Jésus dit à Saul : « Il t’est dur de regimber contre l’aiguillon [littéralement : les aiguillons]. »
Dans la Vulgate sixto-clémentine, cette phrase se trouve aussi dans le premier récit : elle se trouvait dans un certain nombre de manuscrits latins, mais seulement dans deux manuscrits grecs, dont un du XIIe siècle.
Ce qui est fort curieux est que sa seule place indiscutablement authentique est dans le troisième récit, là où saint Paul précise que le Christ lui parle en « langue hébraïque ». Or « regimber contre l’aiguillon » est une locution proverbiale grecque, passée en latin, dont on ne trouve aucun exemple en « langue hébraïque » (araméen ou hébreu).
Le père Spicq, d’esprit pourtant plutôt traditionnel, n’hésite pas à affirmer qu’il n’est « guère vraisemblable que le Christ ait cité littéralement Euripide ou quelque auteur classique » (alors qu’il a montré auparavant que c’était une locution proverbiale très répandue), et donc que c’est « saint Luc qui s’est servi d’une métaphore traditionnelle pour exprimer l’ordre du Seigneur coupant court à toute velléité de résistance du pharisien Saul, celle-ci serait à la fois douloureuse et vaine ». Et il cite même en note le P. Jacques Dupont, qui, auréolé de sa réputation de grand spécialiste des Actes des apôtres, n’hésite pas à affirmer qu’il s’agit d’un « enjolivement littéraire (sic) exprimant d’ailleurs très heureusement le genre de violence que Paul a subi à cette heure décisive pour lui ».
Vous, je ne sais pas, mais moi, je trouve qu’il y a comme une désagréable impiété à parler de façon si désinvolte d’un propos dont saint Paul affirme qu’il est du Seigneur, et que saint Luc rapporte en sachant que les "notables" qui ont assisté à l'audience pourraient l'accuser d'affabuler.