Chez saint Matthieu et saint Luc, la scène se passe à Capharnaüm. Chez saint Jean, elle se passe à Cana (avec effet à Capharnaüm).
Chez saint Matthieu et saint Luc, l’homme est un centurion. Chez saint Jean, c’est un « basilikos », dit le texte grec : ce mot est un adjectif qui veut dire « royal ». Il peut être employé comme nom, et ici il voudrait donc dire « officier royal » (d’Hérode Antipas). Mais la Vulgate a traduit par « regulus », littéralement « petit roi », « roitelet » (c’est aussi le nom de l’oiseau).
Chez saint Matthieu et saint Jean, le centurion (ou basilikos) va en personne voir Jésus. Chez saint Luc, il envoie une ambassade.
Chez saint Matthieu, la personne « près de mourir » est en grec un « pais » : un serviteur, ou un enfant. Chez saint Luc, c’est aussi un « pais », quand le centurion s’adresse à Jésus, mais au début et à la fin de l’histoire il est qualifié de « doulos » : esclave. Chez saint Jean, c’est clairement le « fils » du « basilikos ».
Chez saint Matthieu et saint Luc, Jésus s’émerveille de la « grande foi » de ce païen de centurion. Chez saint Jean, il reproche un manque général de foi, chez le basilikos comme chez les autres : « Si vous ne voyez pas des signes et des prodiges, vous ne croyez pas. »
Il s’agit pourtant d’un seul et même épisode, raconté de façon différente selon le projet de chaque évangéliste. Saint Jean reconstruit l’histoire pour faire un parallèle avec le miracle de Cana : les deux épisodes montrent la progression de la foi, depuis l’incrédulité jusqu’à l’épanouissement dans la vie éternelle. Ici, quand Jésus dit : « Ton enfant vit », saint Jean emploie le verbe « vivre » habituel, mais c’est le mot qui partout ailleurs dans son évangile désigne explicitement la vie éternelle. La vie de l’enfant est ici l’équivalent du vin de Cana.
Ce qui montre indiscutablement qu’il s’agit d’un seul et même épisode, c’est l’emploi des mêmes mots au même moment crucial où le centurion-roitelet croit à la parole de Jésus. « Cet homme crut en la parole que Jésus lui avait dite », lit-on chez saint Jean. « Dis, par (ta) parole », et mon serviteur (ou mon enfant) sera guéri, lit-on dans saint Matthieu et saint Luc. Avec cette construction étrange qui attire l’attention : non pas « dis une parole », mais « dis, par (ta) parole » : par le Verbe, car il n’y a pas d’adjectif possessif dans le texte. Et c’est bien le mot Logos qui est utilisé, les trois fois au datif dans les trois évangiles, et c’est aussi le même mot qui est utilisé pour « dire » (alors qu’il y a plusieurs autres mots en grec pour dire « parole » ou « dire ») : « eipe logo » (Matthieu), « eipe logo » (Luc) « to logo ho eipen » (Jean).
Au centre du récit était le Verbe. La foi dans le Verbe qui est dit. La foi qui est ex auditu, par l’audition de la Parole. La Parole qui a guéri l’enfant (ou serviteur) du centurion, et qui me guérit, comme je l’affirme en reprenant à mon compte le mot du centurion avant de communier au Verbe fait chair : « Domine, non sum dignus (…) sed tantum dic verbo et sanabitur anima mea »…
N.B. Histoire de poursuivre une discussion récurrente sur ce blog, on remarquera que le dialogue de cet évangile ne peut être qu’en grec. Qu’il s’agisse d’un officier de l’armée romaine qui parle grec pour se faire comprendre partout dans l’empire, ou d’un officier royal de la cour d’Hérode Antipas, souverain hellénisé jusqu’à l’os régnant dans sa toute nouvelle capitale Tibériade entièrement gréco-latine.