J’apprends par le Forum catholique que Grégory Solari (avec qui j’avais déjeuné il y a très longtemps, manifestement dans une autre vie) a un blog hébergé par La Croix. J’apprends par la même occasion qu’il est un thuriféraire du nouveau pape. Pourquoi pas. Chacun a le droit de retourner sa veste à chaque élection puisqu’il s’agit d’une même Eglise.
Mais ce qu’il écrit dans son billet « François et François » est véritablement indigne. Il s’agit pour lui de justifier l’injustifiable, odieuse, illégale et tyrannique interdiction faite par le pape aux Franciscains de l’Immaculée d’appliquer paisiblement la loi de l’Eglise, à savoir le motu proprio Summorum Pontificum du pape précédent.
Et voici que tout à coup il découvre l’effet pervers du motu proprio (que n’avait pas vu non plus ce grand naïf de Benoît XVI, bien sûr) : « Réintroduire le missel tridentin, c’était aussi réintroduire quelque chose de l’ecclésiologie qui l’a façonné. (…) Or avec ce missel, étant donné que tous les autres livres liturgiques antéconciliaires ont été autorisés, y compris le Pontifical qui est utilisé pour l’ordination des prêtres, c’est toute l’ecclésiologie d’avant Lumen gentium (et des autres documents à portée ecclésiologique) qui a ressurgi avec le Motu proprio. Comme un fantôme. »
C’est une invention totale. C’est historiquement grotesque.
Prétendre que le missel de saint Pie V dépend de l’ecclésiologie du concile de Trente, c’est aussi absurde que de prétendre que le bréviaire de saint Pie X (qui était révolutionnaire, lui, contrairement à la messe de saint Pie V) serait tributaire de Vatican I.
Saint Pie V a voulu (conformément à ce que demandait le concile de Trente) publier un missel type, le missel latin tel que le léguait la tradition, élagué d’une grande partie des ajouts qui avaient été faits au cours des derniers siècles, mais conservant certains de ses ajouts (notamment pour l’offertoire). Rien d’autre. De ce fait, parmi les nombreux missels qui existaient, il y en avait un qui, cent ans avant le missel de saint Pie V, était le même…
Il n’y a donc rien de « tridentin » là-dedans (sinon le fait que cet élagage et cette uniformisation du missel latin avaient été voulus par le concile de Trente).
Quant à l’ecclésiologie du concile de Trente, elle est moins éloignée de celle de Vatican II que celle de Vatican I. Il ne faut pas confondre Trente et Vatican I.
En outre, l’ecclésiologie de Vatican II avait été préparée par Pie XII, notamment par son encyclique Mystici Corporis, citée 12 fois dans Lumen gentium. Et en ce qui concerne le rituel de l’ordination des prêtres, c’est encore Pie XII, donc avant Vatican II, et donc avec la messe de saint Pie V, qui avait corrigé la forme « tridentine » (en fait du concile de Florence) du sacrement, en décrétant que le sacrement était conféré par l’appel au Saint-Esprit, dans la Préface, et non par la porrection du calice et de la patène.
Bref il n’y a strictement aucune incompatibilité entre le missel de saint Pie V et l’ecclésiologie de Vatican II. Pas l’ombre d’un fantôme. Comme le savait parfaitement Joseph Ratzinger, puis le pape Benoît XVI. Comme le savent de nombreuses communautés, dont celle des Franciscains de l’Immaculée avant la persécution, comme je le sais moi-même qui assiste quotidiennement à la messe de saint Pie V tout en étant en phase avec l’ecclésiologie de Vatican II comme je crois l’avoir montré dans mes Notules sur un concile.
Continuant sur sa lancée, Grégory Solari ose écrire que la décision de François contre les Franciscains de l’Immaculée « a le mérite de confirmer l’intention de son prédécesseur (…) : la forme extraordinaire ne doit pas être un “réduit” ecclésial – la traduction liturgique d’un “donatisme” ecclésiologique. »
Mais le motu proprio avait pour but de permettre la célébration de la messe de saint Pie V dans toutes les paroisses. Ce qui est exactement le contraire de ce qu’écrit Grégory Solari.
En outre, on ne voit pas en quoi ce « réduit ecclésial » (que Benoît XVI voulait justement rendre obsolète en permettant partout la messe du « réduit ») serait « donatiste », alors que bien évidemment les fidèles attachés à la messe de saint Pie V sont tout à fait étrangers au donatisme.
Un peu plus loin, Grégory Solari poursuit : « Voilà pourquoi le pape François fustige les retours sur soi, les retours en arrière, les replis identitaires (…) ce que le Pape a appelé la tentation “pélagienne”. »
On n’a toujours pas compris en quoi le fait d’être attaché à la messe de saint Pie V est pélagien. Mais on sait maintenant que, selon Grégory Solari, c’est en outre donatiste.
Bref, ceux qui souhaitent l’application du motu proprio Summorum Pontificum sont des multi-hérétiques…
Ce que je constate quant à moi, sans affubler l’autre de sobriquets infamants, c’est que c’est la messe de Paul VI, telle qu’elle est quasiment partout célébrée, qui est contraire à l’ecclésiologie de Vatican II. Car on y voit une « autocélébration de l’assemblée », comme le disait Joseph Ratzinger dans un livre publié par Grégory Solari, et non le peuple de Dieu tourné vers le Christ Lumen gentium. Messe qui, en outre, est le plus souvent en contradiction flagrante avec les principes et directives de la constitution de Vatican II sur la liturgie.