L'homme qui « descend de Jérusalem à Jéricho tombe aux mains des brigands » précisément parce qu'il a lui-même voulu descendre. Les brigands ne peuvent être que ceux dont le Sauveur dit : « Tous ceux qui sont venus avant moi ont été des voleurs et des brigands. » Il ne tombe d’ailleurs pas au milieu de voleurs mais « de brigands » bien plus terribles que de simples voleurs puisqu'ils ont volé et couvert de plaies cet homme qui, « descendant de Jérusalem », était tombé entre leurs mains.
Quelles sont ces plaies ? Quelles sont ces blessures dont l'homme est atteint ? Les vices et les péchés. Puis les brigands, après l'avoir dépouillé de ses vêtements et couvert de blessures, ne le secourent pas dans sa nudité et, après l'avoir roué de coups encore une fois, l'abandonnent ; c'est pourquoi l'Ecriture dit : « L'ayant dépouillé et couvert de blessures, ils s'en allèrent, le laissant » non pas mort, mais « à demi mort ».
Or voici que par le même chemin descendaient « un prêtre » d'abord, puis « un lévite », qui avaient peut-être fait du bien à d'autres personnes mais n’en firent pas à celui « qui était descendu de Jérusalem à Jéricho ». Le prêtre, à mon avis figurant la Loi, voit le Samaritain et de même le lévite qui, selon moi, représente les Prophètes, le voit aussi. Tous deux l’ont vu mais ils passèrent et l'abandonnèrent là.
Mais la Providence laissait cet homme à demi mort aux soins de celui qui était plus fort que la Loi et les Prophètes, c'est-à-dire du Samaritain, dont le nom signifie « gardien ». C'est lui qui « ni ne sommeille ni ne dort en veillant sur Israël » (psaume 120). C'est pour secourir l’homme a demi mort que le Samaritain s'est mis en route ; il ne descend pas « de Jérusalem a Jéricho » comme le prêtre et le lévite, ou plutôt, s'il descend, il descend pour sauver le moribond et veiller sur lui... Aussi, après être venu jusqu'à l'homme a demi mort, l’ayant vu baigner dans son sang, il en eut pitié et s'approcha de lui pour devenir son prochain. « Il banda ses blessures, versa de l’huile mêlée de vin », et ne dit pas ce qu'on lit dans le prophète : « II n'y a ni pansement ni huile ni bande à appliquer (Isaïe 1,6). » Voilà le Samaritain dont les soins et les secours sont nécessaires à tous ceux qui sont malades, et il avait spécialement besoin du secours de ce Samaritain, l’homme qui, « descendant de Jérusalem, était tombé entre les mains de brigands » qui l’avaient blessé et laissé pour mort. Mais afin que vous sachiez que la Providence divine conduisait ce Samaritain, descendu pour soigner un l’homme « tombé aux mains de brigands », il est clairement spécifié qu’il portait avec lui des bandes, de l’huile et du vin ; à mon avis, ces objets, le Samaritain ne les emportait sans doute pas avec lui pour cet unique moribond mais pour d’autres aussi, blessés de diverses façons et qui avaient également besoin de bandes, d’huile et de vin. Il avait de l’huile dont l’Écriture dit : « Que l’huile fasse luire le visage » (psaume 103), le visage sans aucun doute de celui qui avait été soigné. Pour calmer l’inflammation des blessures, il les nettoie avec de l’huile, et avec du vin mêlé de je ne sais quel produit amer. Puis il « chargea le blessé sur sa monture », c’est-à-dire sur son propre corps : il a, en effet, daigné assumer l’humanité. Ce Samaritain « porte nos péchés » (1 Pierre) et souffre pour nous ; il porte le moribond et le conduit dans une auberge, c’est-à-dire dans l’Église qui accueille tous les hommes, ne refuse son secours à personne et où tous sont conviés par Jésus : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui ployez sous le fardeau, et je vous soulagerai. »
Et après avoir conduit le moribond à l’auberge, il ne le quitte pas immédiatement, mais demeure avec lui toute une journée pour soigner ses blessures, non seulement pendant le jour, mais encore durant la nuit, lui consacrant ainsi toute sa sollicitude et son savoir-faire. Lorsque, le matin, il s’apprêtait à partir, il prélève sur son argent, sur ses fonds personnels, « deux deniers » de bon aloi, et il en gratifie l’aubergiste, sans aucun doute l’ange de l’Église, en lui prescrivant de soigner consciencieusement et de mener jusqu’à la guérison cet homme que lui-même avait soigné durant un temps trop bref. Quant aux deux deniers donnés à l’ange comme salaire pour qu’il soigne bien l’homme à lui confié, ils représentent, me semble-t-il, la connaissance du Père et du Fils et la connaissance de ce mystère : le Père est dans le Fils et le Fils dans le Père. Promesse est également faite à l’hôtelier de lui rembourser immédiatement tous les frais que nécessite la guérison du moribond.
Ce gardien des âmes est apparu vraiment plus proche des hommes que la Loi et les Prophètes, « en faisant miséricorde à celui qui était tombé entre les mains de brigands » et il s’est montré son prochain non pas tellement en paroles mais en actes. Il nous est donc possible, suivant ce qui est dit : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ », d’imiter le Christ et d’avoir pitié des hommes « tombés aux mains des brigands », d’aller à eux, de bander leurs plaies, d’y verser de l’huile et du vin, de les charger sur notre propre monture et de porter leurs fardeaux et c’est pour nous y exhorter que le Fils de Dieu ne s’adresse pas seulement au docteur de la Loi mais à nous tous : « Va, toi aussi, et fais de même. » Si nous agissons de la sorte, nous obtiendrons la vie éternelle dans le Christ Jésus, « à qui appartiennent la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Amen ».
Origène, homélie 34 sur saint Luc.