Ma très-chère fille, vous voulez que je vous dise ce que vous devez faire en votre retraite ; hélas ! ma fille, vous savez que je ne suis pas capable de vous beaucoup dire là-dessus : toutefois, pour contenter votre bon cœur et condescendre à votre humilité, je vous dirai que le premier jour que l'on entre en solitude, il ne faut pas promptement se mettre à faire sa confession, il le faut employer à bien tout ramasser et calmer son âme devant Dieu, afin que, par après, comme une eau bien rassise opposée à ce beau soleil, l'on en voie clairement le fond Le lendemain, il faut faire son examen général tout doucement sans empressement, effort, ni curiosité.
Je n'aime pas beaucoup que l'on s'accoutume à écrire tout au long sa confession annuelle, bien que cela soit en liberté à celles qui ne pourraient faire autrement. Puisque les trois ou quatre premiers jours se doivent employer à la vie purgative vous pourrez prendre les premières ou dernières méditations de Philothée, ou telle autre conforme à celles-là. Les jours suivants, il faudra s'entretenir doucement à ce que notre doux Sauveur a fait pour notre amour, et a ce qu'il fait pour nous [78] racheter. Les derniers jours vous prendrez quelque livre qui traite de l'amour infini, et des richesses éternelles de ce grand Dieu ; car sur la fin de la solitude il faut s'essayer de dépouiller son cœur de tout ce que nous connaissons qui le revêt, et mettre aux pieds de Notre-Seigneur tous ses vêtements, l'un après l'autre, le suppliant de les garder et nous revêtir de lui-même ; et ainsi toute dénuée et dépouillée devant cette divine honte, il faut derechef nous jeter entre les bras de sa Providence, lui laissant le soin et le gouvernement de tout notre être, et croyez-moi, ma fille, rien ne nous manquera. Ne nous chargeons ni revêtons jamais d'aucun soin, désir, affection ni contrainte, car puisque nous avons tout remis à Notre-Seigneur, laissons-le gouverner, et pensons seulement à lui complaire, soit en souffrant, soit en agissant.
Quant à ce qui est de gagner l'indulgence concédée aux âmes religieuses qui font la solitude, vous ne devez avoir aucune crainte de ne la pas gagner pour ne pouvoir pas méditer en détail, ni discourir avec l'entendement au temps de l'oraison, Dieu vous donnant une occupation plus simple et intime avec sa bonté. Mais, ma fille, voici ce que vous devez faire : vous devez lire très-attentivement les points que vous méditeriez si vous en aviez la liberté, et en les lisant retirer dévotement votre âme en Dieu, ainsi cette lecture vous tiendra lieu de méditation ; et si lisant de la façon, votre esprit recevra toujours de bonnes impressions de cette lecture, et jaçoit que le profit nous soit inconnu, il n'en est pas moindre pourtant. Et après avoir fait votre devoir par celle lecture, vous trouvant par après en l'oraison, en votre manière simple et amoureuse, je vous dis que vous satisfaites plus que très-entièrement à la méditation ; et voici la raison : c'est que Dieu, infini en grandeur, comprend tous les mystères, si que possédant Dieu, vous êtes excellemment dans l'essence du mystère que vous vous étiez proposé pour votre méditation. Un Père de religion [80] fort spirituel, docte et vertueux, m'a encore reconfirmé en cet avis.
Certes, ma très-chère fille, c'est un exercice très-important que celui de nos solitudes annuelles ; il faut tâcher de les faire avec le plus de dévotion et fidélité qu'il se pourra. J'estime qu'il sera très-utile à vos filles que vous fassiez lire à table le livre des Exercices du père dom Sens de Sainte-Catherine ; car, comme m'a dit Monseigneur, c'est-à-dire notre Bienheureux Père qui vivait alors, il est ample et d'un style mouvant, mais c'est un style des saints, fuyant l'immortification, et détestant les recherches de l'amour-propre. Pour la méditation, il faut donner aux filles des points moelleux, doux, solides et affectifs. Je suis en l'amour divin,
Ma très-chère fille,
Votre très-humble et indigne sœur et servante en Notre-Seigneur,
Sœur Jeanne-Françoise Fremyot,
de la Visitation Sainte-Marie.