Le premier tour des législatives marque une défaite de la démocratie. Une large majorité de citoyens ne seront pas représentés à l’Assemblée nationale : les presque 40 % qui se sont abstenus, les millions d’électeurs de la droite nationale, de l’extrême gauche, de divers autres mouvements, et la plupart des presque deux millions d’électeurs du Mouvement démocrate.
La défaite, réelle et sévère, du Front national, s’inscrit dans ce contexte. C’est tout un ensemble institutionnel, politique et médiatique qui a conduit à cette situation, dont personne ne devrait pouvoir se réjouir.
Le quinquennat, et les élections législatives qui suivent la présidentielle, ont profondément modifié le système. Les législatives deviennent un vote de confirmation de l’élection présidentielle. Le scrutin majoritaire amplifie le phénomène et rend encore plus impossible l’élection de députés qui ne soient pas affiliés à la majorité présidentielle ou au principal parti de l’opposition parlementaire. Mais ceux qui ont un parrain sauvent les meubles. La caricature va atteindre un niveau particulièrement délirant avec le « Nouveau Centre » (dit « parti social libéral européen » sur les bulletins de vote), qui avec 2 % des voix va obtenir une vingtaine de députés...
Il était pathétique, hier soir, de voir certains socialistes, comme Harlem Désir, suggérer que l’absence de proportionnelle posait un vrai problème. Mais les socialistes n’avaient-ils pas tout loisir de rétablir la proportionnelle du temps de Lionel Jospin ?
Le phénomène a été encore amplifié par le mode de gouvernement de Nicolas Sarkozy. Chacun a pu voir que toutes les décisions étaient prises à l’Elysée. Que nombre de textes « législatifs » étaient déjà « prêts ». Dans cette configuration, le Parlement n’est plus qu’une chambre d’enregistrement. Il ne sert qu’à ratifier les décisions prises à l’Elysée, quand il ne sert pas (c’est la majorité des cas) à ratifier les décisions prises à Bruxelles. Alors, à quoi bon voter...
Les campagnes électorales n’ont pas porté sur les véritables questions politiques. Cette dérive a été imposée dès le début de la campagne présidentielle, par les candidats vedettes et les médias qui en faisaient la promotion. On a vu des candidats à la présidence de la République qui détaillaient des mesures relevant dans le meilleur des cas d’un sous-secrétariat d’Etat, quand ce n’était pas de l’assistante sociale du quartier. Le débat de l’entre deux tours lui-même en resta là, sauf dans les toutes dernières minutes.
Cela fut désastreux pour Jean-Marie Le Pen, qui était le seul à définir les véritables enjeux et dont la voix paraissait de ce fait extravagante.
En outre, dans la dernière partie de la campagne, comme Ségolène Royal s’était mise à déployer un rideau de fumée tricolore, Nicolas Sarkozy en fit encore plus, noyant les derniers jours dans des accents identitaires et nationaux. Ce fut la grande tromperie finale, et la victoire de l’illusionniste.
De nombreux électeurs du FN, sensibles aux thèmes de l’insécurité, de l’immigration, de l’identité nationale, oubliant le triste bilan de Nicolas Sarkozy ministre d’Etat ministre de l’Intérieur, oubliant ses projets de discrimination positive, d’immigration choisie, de communautarisme, faisant l’impasse sur son projet très clair de nouvelle Constitution européenne détruisant ce qui reste de la souveraineté française, ont voté pour le chef de l’UMP dès le premier tour. L’idée qu’ils s’étaient faite était que, finalement, Sarkozy appliquerait une partie du programme du FN, et qu’il fallait donc voter pour lui, car on a vu en 2002 que Le Pen ne pouvait pas être élu. Tel a été le deuxième effet pervers de la délirante mobilisation anti-Le Pen de l’entre deux tours de 2002.
Ce phénomène a été amplifié au second tour. A ceux qui avaient déjà voté Sarkozy au premier tour se sont ajoutés nombre de ceux qui avaient voté Le Pen, pour éviter le retour de la gauche. Les législatives ayant lieu dans la foulée, ces électeurs du second tour se sont dits, comme ceux du premier tour, qu’il fallait « laisser sa chance » à Sarkozy. Sic. Je le dis comme je l’ai entendu.
Rien n’y a fait. Ni l’ouverture à gauche. Ni la nomination de Kouchner. Ni le retour de Juppé. Ni l’activisme de Sarkozy pour faire avancer son projet d’un traité européen généralisant le vote à la majorité qualifiée.
Et beaucoup d’autres, comme on le voit dans le record d’abstentions, sont restés chez eux, en se disant que les jeux étaient faits et que de toute façon, comme le disaient les sondages, le Front national n’aurait aucune chance d’avoir de députés, ni même de peser sur le second tour.
Le score du Front national et donc très bas : 1 116 005 voix, 4,29 % des suffrages exprimés. Ceux qui annoncent, une fois de plus, la mort du Front national, sont néanmoins une fois de plus dans l’erreur. N’oublions pas qu’en 1999, aux européennes, le Front national avait lourdement chuté à 5 %. C’était la fin du Front national, bien sûr. Trois ans plus tard, Jean-Marie Le Pen était au second tour de la présidentielle.