Afin de rendre la leçon plus efficace, le Sauveur ne nous a pas raconté la réprobation d’un de ces grands scélérats dont les crimes font horreur, et que les mondains eux-mêmes regardent comme la proie de l’enfer ; il nous représente un de ces hommes tranquilles, d’un commerce aimable, faisant honneur à leur position. Ici, point de forfaits, point d’atrocités ; le Sauveur nous dit simplement qu’il était vêtu avec luxe, qu’il faisait tous les jours bonne chère. Il y avait bien un pauvre mendiant à sa porte ; mais il ne le maltraitait pas ; il eût pu le chasser plus loin ; il le souffrait sans insulter à sa misère. Pourquoi donc ce riche sera-t-il dévoré éternellement par les ardeurs de ce feu que Dieu a allumé dans sa colère ? C’est parce que l’homme qui vit dans le luxe et la bonne chère, s’il ne tremble pas à la pensée de l’éternité, s’il ne comprend pas qu’il doit « user de ce monde comme n’en usant pas », s’il est étranger à la croix de Jésus-Christ, est déjà vaincu par la triple concupiscence. L’orgueil , l’avarice, la luxure, se disputent son cœur, et finissent par y dominer d’autant plus qu’il ne songe pas même à rien faire pour les abattre. Cet homme ne lutte pas : c’est qu’il est vaincu ; et la mort s’est établie dans son âme. Il ne maltraite pas le pauvre ; mais il se souviendra trop tard que le pauvre est plus que lui, et qu’il fallait l’honorer et le soulager. Ses chiens ont eu plus d’humanité que lui ; et voilà pourquoi Dieu l’a laissé s’endormir jusqu’au bord de l’abîme où il doit tomber. Dira-t-il qu’il n’a pas été averti ? Il avait Moïse et les Prophètes ; plus que cela, il avait Jésus et son Église. Il a en ce moment la sainte Quarantaine qui a été annoncée pour lui ; mais se donne-t-il la peine de savoir même ce que c’est que ce temps de grâce et de pardon ? Il l’aura traversé sans s’en être douté ; mais il aura en même temps fait un pas de plus vers l’éternel malheur.
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Jeudi de la deuxième semaine de Carême
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Mercredi de la deuxième semaine de Carême
Le privilège que Jésus accorde à ses plus intimes est celui de boire à son propre calice. Il est amer, mais fortifiant pour l’âme. L’amour a besoin de sacrifice et de douleur et s’en nourrit. Plus on aime Jésus, et plus on souffre pour Jésus. On souffre parce que l’on aime, et l’on aime, justement parce que la douleur alimente la chaste flamme de l’amour. Aussi le Séraphin d’Assise, stigmatisé aux mains, aux pieds et au côté, prêchait-il au peuple l’amour et la souffrance dans ces vers : « Si grand est le bien que j’attends, Que toute peine m’est délice. »
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Mardi de la deuxième semaine de Carême
C’est une tendance morbide d’esprits mélancoliques et peu pénétrés par le divin amour, que celle de s’approcher de Jésus en tremblant, comme d’un Juge inexorable et sans pitié. Son Cœur cache au contraire un tel trésor de miséricorde pour nos faiblesses, que personne n’arrivera jamais à le sonder ; plus en effet le péché nous rend misérables, plus Il se sent attiré vers nous par la miséricorde. L’Apôtre disait que le Pontife de notre confession n’est pas de telle nature qu’il ne puisse avoir pitié de nous ; tout différent, pour cette raison, des pharisiens de l’Évangile, qui imposaient au pauvre peuple des charges arbitraires et insupportables, lesquelles, au lieu de pousser les âmes en avant, les écrasaient le long de la route. L’expérience démontre que les méchants, que les plus imparfaits, sont toujours aussi les plus exigeants envers autrui, tandis que les âmes vraiment remplies d’amour de Dieu se montrent pleines de douceur envers le pauvre prochain.
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Lundi de la deuxième semaine de Carême
« En ce temps-là, Jésus dit à la foule des Juifs : Je m’en vais, et vous me chercherez, et vous mourrez dans votre péché. Là où je vais, vous ne pouvez venir. (…) Je Suis le Principe, moi qui vous parle. (…) Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous saurez que Je Suis, et je ne fais rien de moi-même, mais comme le Père me l’a enseigné je dis tout cela. »
La journée d’aujourd’hui nous permet de signaler une petite évolution dans la liturgie du Carême. Assurément, on ne peut pas parler d’une construction systématique des messes du Carême, car elles ne datent pas de la même époque. Nous découvrons cependant, dans les grandes lignes, un mouvement en avant. Les quatre premiers jours forment une unité ; ils veulent nous conduire à une pratique du jeûne agréable à Dieu. La première semaine, elle aussi, peut être considérée comme formant un tout. La pensée directrice est celle-ci : Le Christ, Moïse, Élie nous enseignent à voir, dans le jeûne de quarante jours, une arme contre le diable et le chemin qui nous mènera à la transfiguration pascale. Aujourd’hui, nous voyons apparaître au premier plan le thème de la Passion. Le Seigneur se dispose à mourir.
Dom Pius Parsch
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Deuxième dimanche de Carême
Jésus apparaît transfiguré, sur la montagne, entre Moïse et Elie, devant Pierre, Jacques et Jean. Moïse et Elie ont tous deux jeûné 40 jours avant de rencontrer Dieu, ou plutôt une manifestation de Dieu. Jésus lui-même a jeûné 40 jours avant d’entamer sa mission parmi les hommes (premier dimanche de Carême), sa marche vers la Croix.
La Transfiguration est symétrique de cette autre apparition de Jésus, défiguré par l’angoisse, sur une autre montagne (des oliviers), devant les mêmes apôtres, de même atterrés mais pour une autre raison. Le Vendredi Saint, il n’y a plus Moïse et Elie, puisque Jésus accomplit la Loi et les Prophètes en son propre corps.
La Transfiguration est la face glorieuse, l’Agonie la face ténébreuse d’une même manifestation. Mais le paradoxe est que la vraie face glorieuse est celle de Gethsémani, car c’est par la Passion que nous avons accès à la Lumière.
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Saint Joseph
Te, Joseph, celebrent agmina cælitum,
Te cuncti resonent Christiadum chori,
Qui, clarus meritis, junctus es inclitæ,
Casto fœdere Virgini.Almo cum tumidam germine coniugem
Admirans, dubio tangeris anxius,
Afflatu superi Flaminis angelus
Conceptum puerum docet.Tu natum Dominum stringis, ad exteras
Ægypti profugum tu sequeris plagas;
Amissum Solymis quæris et invenis,
Miscens gaudia fletibus.Post mortem reliquos sors pia consecrat
Palmamque emeritos gloria suscipit;
Tu vivens, superis par, frueris Deo,
Mira sorte beatior.Nobis, summa Trias, parce precantibus;
Da Joseph meritis sidera scandere,
Ut tandem liceat nos tibi perpetim
Gratum promere canticum. Amen.Que les chœurs célestes chantent ta gloire, ô Joseph ! Que l'assemblée des chrétiens fasse résonner tes louanges ; tout rayonnant de mérites, une chaste alliance t'unit à l'auguste Vierge.
Ton Epouse porte les traces d'une prochaine maternité; l'étonnement et l'inquiétude ont saisi ton âme incertaine ; un Ange vient t'apprendre que le fruit qu’elle porte est l'œuvre de l’Esprit divin.
Le Seigneur est né; tu l'enlèves, et tu l'accompagnes dans sa fuite jusqu'aux lointaines plages de l'Egypte; dans Jérusalem, tu le perds et le retrouves: ainsi tes joies sont mêlées d'alarmes.
Une mort sainte fixe le sort des autres hommes, et la palme glorieuse vient couronner leurs mérites: plus heureux, tu vis encore, et tu jouis d'un Dieu, égal dans ton bonheur aux bienheureux.
Trinité souveraine, exaucez nos prières, donnez-nous le pardon ; que les mérites de Joseph nous aident à monter dans les cieux, et qu'il nous soit donné de chanter à jamais le cantique de la félicité. Amen.
(Hymne des vêpres. Traduction dom Guéranger. Les trois hymnes de la fête de saint Joseph sont du XVIe siècle. Celle des matines est ici.)
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Vendredi des quatre temps de Carême
Toi qui par tes souffrances as délivré l’homme des mauvaises passions, fais, Seigneur, que ta divine croix éloigne les penchants de ma chair, et que je contemple ta sainte Résurrection.
Source de pureté, Seigneur miséricordieux, conserve-nous par le mérite de ce jeûne ; vois-nous prosternés à tes pieds, vois nos mains élevées vers toi qui as étendu les tiennes sur le bois pour tous les mortels, unique Seigneur des Anges.
Les illusions de l’ennemi m’ont jeté dans les ténèbres ; éclaire-moi, ô mon Christ ! Toi qui, suspendu à la croix, as obscurci la lumière du soleil et fait luire sur tes fidèles la lumière du pardon. Que je marche à la lueur de tes préceptes, et que j’arrive purifié aux splendeurs salutaires de ta Résurrection.
O Sauveur ! ô Christ ! Semblable à une vigne attachée au bois, tu as arrosé toute la terre du vin de l’immortalité. Je m’écrie : Déjà tu m’as versé, à moi aveuglé par mes péchés, le suc de la douce componction ; maintenant donne-moi la force de jeûner des plaisirs coupables, toi qui es bon et miséricordieux.
O puissance de ta croix ! c’est elle qui a fait fleurir dans l’Église le germe de l’abstinence, en arrachant l’ancienne intempérance qui, dans Éden, fit tomber Adam ; celle-ci a été une source de mort pour les hommes ; celle-là est pour le monde un fleuve d’immortalité toujours pur, qui coule comme d’un autre paradis dans ton sang vivifiant uni avec l’eau ; c’est de là que tout a repris la vie ; par ce fleuve , fais-nous goûter des délices dans le jeûne, ô Dieu d’Israël ! Toi dont la miséricorde est si grande.
Prière du vendredi de la première semaine de Carême, liturgie byzantine, citée par Dom Guéranger.
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Jam Christe, sol justitiæ
Jam Christe, sol justitiæ,
Mentis diescant tenebræ,
Virtutum ut lux redeat,
Terris diem cum reparas.Dans tempus acceptabile,
Et pœnitens cor tribue,
Convertat ut benignitas
Quos longa suffert pietas.Quiddamque pænitentiæ
Da ferre, quamvis gravium,
Majore tuo munere,
Quo demptio fit criminum.Dies venit, dies tua,
In qua reflorent omnia :
Lætemur in hac ut tuam
Per hanc reducti gratiam.Te rerum universitas,
Clemens adoret Trinitas ;
Et nos novi per veniam
Novum canamus canticum. Amen.Jésus, vrai soleil de justice,
De l’âme ténébreuse éclaire enfin les yeux,
Et fais que des vertus la lumière propice
Y rentre en même temps que le jour en ces lieux.Nous donnant ces jours favorables,
Imprime au fond des cœurs un sacré repentir :
Ta pitié trop longtemps les a soufferts coupables ;
Par ta bénignité daigne les convertir.Fais-nous par quelque pénitence
Obtenir le pardon des plus affreux péchés :
Plus elle sera rude, et plus de ta clémence
Nous bénirons la force et les trésors cachés.Ce jour vient, ce jour salutaire
Où par tout l’univers tu fais tout refleurir :
Ramène en ce grand jour au chemin de te plaire
Ceux qu’à toi ce grand jour oblige à recourir.Qu’en tous lieux t’adore un vrai zèle,
Grand Dieu, dont la bonté nous tire du tombeau ;
Tandis que renaissants par ta grâce nouvelle,
Nous chantons à ta gloire un cantique nouveau.(Hymne des laudes du Carême, traduction-adaptation Pierre Corneille.)
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Mercredi des Quatre-Temps de Carême
Moïse et Elie jeûnent quarante jours et quarante nuits, parce qu’ils vont s’approcher de Dieu. Il faut que l’homme s’épure, qu’il se dégage du poids du corps, s’il veut se mettre en rapport avec celui qui est l’Esprit. Néanmoins, la vision de Dieu dont furent favorisés ces deux saints hommes fut très imparfaite : ils sentirent que le Seigneur était près d’eux, mais ils ne virent pas sa gloire. Depuis, le Seigneur s’est manifesté dans la chair, et l’homme l’a vu, il l’a entendu, il l’a touché de ses mains. Nous ne sommes pas du nombre de ces heureux mortels qui conversèrent avec le Verbe de vie ; mais, dans la divine Eucharistie, il fait plus que de se laisser voir : il entre en nous, il devient notre substance. Le plus humble fidèle dans l’Église possède Dieu plus pleinement que Moise sur le Sinaï, et Elie sur Horeb. Ne soyons donc pas étonnés si l’Église, pour nous préparer à cette faveur, dans la fête de Pâques, veut que nous traversions auparavant une épreuve de quarante jours, mais beaucoup moins rigoureuse que celle qui fut pour Moïse et Elie la condition de la grâce que Jéhovah daigna leur faire.
Dom Guéranger
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Paradisi portæ aperuit nobis jejunii tempus
R. Paradisi portæ aperuit nobis jejunii tempus: suscipiamus illud orantes, et deprecantes: * Ut in die resurrectionis cum Domino gloriemur.
V. In omnibus exhibeamus nosmetipsos sicut Dei ministros in multa patientia.
R. Ut in die resurrectionis cum Domino gloriemur.Le temps du jeûne nous ouvre les porte du paradis : entreprenons-le en priant et suppliant, afin qu’au jour de la résurrection nous participions à la gloire du Seigneur. Montrons-nous en toutes choses comme des ministres de Dieu, avec une grande persévérance, afin qu’au jour de la résurrection nous participions à la gloire du Seigneur.