L’évangile est l’épisode des pèlerins d’Emmaüs. Il y a dans cet épisode une phrase qui est aujourd’hui plus frappante qu’elle ne l’a jamais été :
Et incípiens a Móyse et ómnibus Prophétis, interpretabátur illis in ómnibus Scriptúris, quæ de ipso erant.
Et, commençant par Moïse et tous les prophètes, il leur expliquait dans toutes les Ecritures ce qui le concernait.
On a là l’un des propos évangéliques les plus nets sur l’importance de la tradition. Il y a les Ecritures, et il y a tout ce que le Christ a expliqué à ses disciples en leur interprétant l’Ecriture, et qu’ils devaient transmettre dans et par l’Eglise. Le verbe grec veut dire interpréter, exposer, c’est le mot celui qui a donné « herméneutique », le verbe latin, interpretare, veut dire expliquer, interpréter, donner la signification, donc l’herméneutique.
Et les deux hommes font écho ensuite au propos de Jésus : Est-ce que notre cœur n’était pas ardent en nous pendant qu’il nous parlait sur le chemin, et nous ouvrait les Ecritures ?
En grec comme en latin, c’est bien le verbe « ouvrir » qui est utilisé, comme dans la phrase précédente, quand leurs yeux s’étaient « ouverts » à la fraction du pain.
L’ouverture des Ecritures dépasse de loin la seule explication de texte. C’est une lumière spirituelle qui leur est donnée, qui leur fait voir la réalisation des Ecritures en un instant. Un peu comme lorsque saint Grégoire dit à propos de la vision de saint Benoît : « Le monde entier, comme rassemblé sous un seul rayon de soleil, fut offert à ses yeux. »
C’est ce qui ressort même du propos de saint Luc sur ce que fait le Christ : il commence par Moïse, c’est-à-dire qu’il « commence » par… le Pentateuque, les cinq premiers livres de la Bible, rédigés par Moïse selon la tradition, et par les Prophètes, par « TOUS les prophètes », il leur faisait l’herméneutique de « TOUTES les Ecritures » pour ce qui le concernait.
Quelle que soit la longueur du trajet, Jésus n’a pu expliquer par la parole humaine qu’une infime partie de cela. Mais il leur a donné l’intelligence des Ecritures, de façon générale, intelligence qui sera vivifiée et rendue pleinement opérationnelle par la Pentecôte.
Il est remarquable que ce verset, qui est d’une importance capitale depuis la réforme protestante, est négligé par les Pères de l’Eglise. Car pour eux, qui sont des témoins tout particuliers de cette tradition, c’est une évidence, et il n’y a donc pas à épiloguer, il n’y a rien à expliquer…
Toutefois la liturgie l’a retenu. Cette phrase est devenue une antienne de l’office du lundi de Pâques, et parfois aussi le premier répons des matines. L’office de la semaine pascale étant, depuis saint Pie V, celui du jour de Pâques, l’antienne a disparu. De l’office de ce jour. Car elle existe toujours : c’est l’antienne de Benedictus du mardi de la troisième semaine après l’octave de Pâques.