On devrait aujourd’hui célébrer saint Charles Borromée, mort un 3 novembre. Je suppose que sa fête a été décalée au lendemain parce que lorsque le 3 novembre est un lundi c’est ce jour qu’on commémore les fidèles défunts. Parmi les saints du martyrologe du 3 novembre il y a saint Malachie d’Armagh, évêque de Connor, fondateur de l’abbaye cistercienne de Mellifont, mort à Clairvaux dans les bras de son ami saint Bernard. Voici la préface de saint Bernard à son livre sur la vie de saint Malachie.
Il a toujours été d'une grande utilité d'écrire les vies des saints illustres pour qu'elles servent de miroir est d'exemple aux autres hommes et qu'elles soient comme l'assaisonnement de leur vie sur la terre. Par le moyen de ces histoires, ils semblent en quelque sorte vivre encore au milieu de nous, même après que la mort les a moissonnés, et ramènent dans les sentiers de la véritable vie beaucoup de ceux qui sont de véritables morts quoique vivants en apparence. Mais la rareté des saints rend ce travail plus nécessaire de nos jours que jamais, car nous vivons dans un temps stérile en hommes. La disette en est telle de nos jours que je ne doute pas que c'est de notre siècle qu'il a été dit : « L'iniquité des hommes sera arrivée alors au comble et la charité de beaucoup sera refroidie (Matth., XXIV, 12). » Je crois même que nous touchons à l'époque dont il est dit : « La disette — d'hommes — marchera devant sa face (Job., XLI, 13). » Si je ne me trompe, c'est de l'Antechrist qu'il est parlé ici et que la pénurie et la disette de tout bien doit précéder et accompagner. Mais qu'elle annonce que ce temps est venu ou seulement qu'il ne peut tarder à paraître, toujours est-il qu'il y a pénurie, disette évidente. Sans parler de la foule, de la vile multitude des enfants du siècle, jetons les yeux sur les colonnes mêmes de l'Église. Montrez-moi donc parmi ceux qu'on peut regarder comme destinés à éclairer les nations un seul homme qui ne soit pas plutôt, dans le lieu élevé où il est placé, une mèche fumeuse qu'une lampe qui éclaire. Or « si votre lumière n'est que ténèbres, que sera-ce des ténèbres mêmes (Matth. VI, 23) ? » A moins peut-être, mais je ne puis le croire, que vous ne trouviez que ceux qui n'estiment la piété qu'à ses avantages et ne recherchent que leur intérêt personnel plutôt que celui du Seigneur dans son propre héritage, répandent en effet de la lumière. Mais, que dis-je, ne recherchent que leur intérêt personnel ? Je tiendrais presque pour un homme irréprochable, pour un saint, celui qui se contenterait de ne rechercher que ses intérêts et de ne retenir que ce qui lui appartient s'il gardait son cœur et ses mains purs du bien d'autrui ; mais je lui rappellerais qu'il est en cela juste aussi saint qu'on demande à un païen de l'être. Est-ce qu'il n'est pas recommandé aux soldats de se contenter de leur paie (Luc III, 14), s'ils veulent être sauvés ? Comment donc trouver que c'est beaucoup demander à un docteur de l'Eglise que de lui demander de n'être pas plus exigeant qu'un soldat, et comme le Prophète le disait aux prêtres du Seigneur, mais d'un ton de reproche, « que le prêtre égale au moins l'homme du peuple (Isa., XXIV, 2). » O honte ! Est-il permis de réputer au premier rang des hommes qui, déchus de ce rang élevé, sont tombés si bas que c'est à peine s'ils ne sont point au fond même de l'abîme ? Et pourtant ceux qui se sont arrêtés au dernier degré sont bien rares dans le clergé même. Qui me donnera un clerc content du nécessaire et n'ayant que du mépris pour le superflu ? Et cependant c'est la règle que les apôtres ont laissée à leurs successeurs, en leur disant : « Si nous avons le vivre et le couvert, sachons nous en contenter (I Tim. VI, 8). » Où trouve-t-on cela maintenant ? Dans les livres, mais non point dans les hommes. Or, en parlant du juste, le Psalmiste a dit : « C'est dans leur cœur qu'est la loi de Dieu (Psalm. XXXVI, 31) », non pas dans ses livres. Encore le Psalmiste ne parle-t-il point là de celui qui est arrivé à la perfection ; pour celui-ci il faudrait qu'il fût prêt à se passer même du nécessaire. Aussi n'en faut-il point parler. Plût au Ciel seulement qu'on sût mettre une borne au superflu, et que nos désirs ne s'étendissent point à l'infini. Mais quoi, peut-être cela du moins n'est-il pas impossible à trouver ; si ce n'est point impossible c'est au moins fort difficile. Mais que fais-je ? Je me demandais où on pourrait trouver un homme parfait, capable d'en sauver plusieurs autres avec lui, et voilà que c'est à peine si, en cherchant bien, nous en trouvons qui se sauvent au moins eux-mêmes. On tient pour très-bon aujourd'hui quiconque n'est pas trop mauvais. Mais puisqu'il n'y a plus de saints sur la terre, il me semble que je n'ai rien de mieux à faire que de rappeler parmi nous quelqu'un des saints personnages qui nous ont été enlevés, un Malachie, cet évêque, cet homme vraiment saint, qui a brillé de nos jours de l'éclat d'une sagesse et d'une vertu singulières. C'était bien la lampe qui brûle et qui éclaire ; mais si on ne peut dire qu'elle est éteinte maintenant, du moins elle nous a été enlevée, Qui donc pourrait trouver mauvais que je la fisse de nouveau briller à nos yeux ? Mais que dis-je, il n'est pas de reconnaissance que ne me doivent les hommes d'à présent et que ne me devront plus tard les générations à venir, si je fais revivre sous ma plume celui que le trépas a frappé, si je rends au monde un homme dont le monde n'était pas digne, si je conserve aux souvenirs des mortels un des leurs, dont la mémoire sera bénie de tous ceux qui daigneront lire ces lignes, si enfin, à ma voix amie tirant un ami de son lourd sommeil, on entend sur notre terre la voix de la tourterelle prononcer ces paroles : « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des siècles (Matth., XXVIII, 20) » ? D'ailleurs comme il repose au milieu de nous, c'est à nous plus particulièrement qu'il convient d'entreprendre cette œuvre. Et puis ce saint homme ne m'honorait-il point d'une amitié toute particulière ? Je crois même que personne ne l'emportait sur moi dans son cœur. J'ai déjà recueilli les fruits de cette grande et sainte affection, elle n'a point été stérile pour moi. Il était à l'extrémité ou plutôt il était à l'entrée de sa nouvelle carrière, selon cette expression du Sage : « Quand l'homme est arrivé à la fin, il trouvera qu'il débute à peine (Eccli. XVIII, 6) », j'accourus auprès de lui pour recevoir sa bénédiction avant qu'il mourût. Et lui, qui avait déjà perdu l'usage de tous ses membres, recouvra toute sa force pour me bénir, et levant ses saintes mains sur ma tête, il me bénit en effet et sa bénédiction est l'héritage qu'il m'a laissé ; comment donc pourrai-je aujourd'hui ne plus parler de lui ? Enfin après toutes ces raisons, cher abbé Congan, mon frère vénéré et mon doux ami, vous venez d'Irlande avec toute l'assemblée des saints qui est sous votre direction, ainsi que vous me l'écrivez, m'enjoindre de vous parler de lui. Je le fais d'autant plus volontiers que ce que vous me demandez est moins un panégyrique qu'un simple récit de sa vie. Je mettrai tous mes soins à le faire simple et lumineux, propre à nourrir la piété sans fatiguer trop les tièdes. Vous pouvez bien croire que la vérité n'a rien à craindre de ma part dans cette histoire, d'autant plus que vous ne me demandez point de vous raconter autre chose que ce que vous connaissez parfaitement vous-même.
Eglise Saint-Malachie de Kinkora, Île du Prince Edward, Canada.