La révision constitutionnelle de 2008 avait institué la possibilité pour les citoyens d’une pétition demandant l’avis du Conseil économique et social (et environnemental, ajouta-t-on alors). Cela sentait bon la « démocratie citoyenne », sans risque, puisqu’on mettait la barre à 500.000 signatures, ce qui n’arriverait sans doute jamais.
Or voici que 700.000 citoyens ont signé une pétition au CESE.
Diable. Que faire ?
Dans un premier temps, le président du CESE, Jean-Pierre Delevoye faisait savoir que la pétition allait être rejetée parce qu’elle « demande que le Cese se prononce pour ou contre la loi », ce qui est « constitutionnellement impossible » et « donc irrecevable sur le fond »
L’argument était absurde : la pétition se contentait de demander « l’avis » du CESE sur le contenu d’un projet de loi, ce pour quoi il est fait : donner des avis à ceux qui le lui demandent. Avant, c’était seulement le gouvernement ; maintenant, ce sont aussi les citoyens…
L’argument était tellement absurde qu’il a fallu trouver autre chose. Il n’y avait rien à trouver ? Non. Alors on a inventé.
Le CESE n’hésite pas à affirmer que la saisine du Conseil sur un projet de loi « relève exclusivement du Premier ministre », « en vertu de l’article 69 de la Constitution et de l’article 2 de l’ordonnance du 29 décembre 1958 ».
On peut lire et relire ces articles : ils ne disent rien de tel.
Pour les interpréter ainsi, il faut y ajouter des précisions qui n’y figurent pas. Il s’agit donc d’une interprétation parfaitement arbitraire, qui n’a pu qu’être imposée au CESE par le gouvernement.
C’est ainsi que nous entrons en dictature.
Le Conseil n’est pas dupe, évidemment, de ce qu’on lui fait dire. C’est pourquoi il ajoute que, puisqu’on lui interdit d’examiner ce que demandent les citoyens, il « s’autosaisit » de la question :
« Par ailleurs, le bureau du CESE estime que les évolutions contemporaines de la famille et ses conséquences en matière de politiques publiques justifient une autosaisine de la part de notre Assemblée. Le Bureau examinera avec les formations de travail concernées les conditions d’examen et le calendrier de cette autosaisine. »
On ne parle pas explicitement du projet de loi, puisque le Premier ministre a arbitrairement décidé que seul le Premier ministre peut saisir, selon son exclusif bon plaisir, le CESE, mais c’est bien de cela qu’il s’agit…
Addendum
Jean-François Bernardin démissionne du CESE et déclare : « On se ridiculise et on insulte les 700 000 pétitionnaires que l’on balaie d’un trait de plume, alors que l’on aurait pu au moins recevoir les représentants en séance plénière. Au-delà des opinions de chacun, il s’agit de la première pétition qui rassemble autant de monde dans notre pays ». Il dénonce un « choix purement politique » et la propension « au politiquement correct » des membres de cette institution, « tellement contents d’être là au point de refuser de prendre des décisions qui peuvent déplaire ».
Il y aura eu au moins un honnête homme, debout.