Extraits d’un texte intéressant de l’Ivoirien Kock Obushu, docteur en économie (de l’université de Lille…) et chroniqueur :
Au Niger, ce qui explique le coup d’état militaire que la population accueille naturellement comme un coup d’éclat salvateur est bien plus simple qu’on ne veut le faire croire. Il faut dire simplement les choses pour éclairer l’opinion internationale et les opinions nationales africaines.
Il ne s’agit pas de relation compliquée entre des personnes à savoir un général et un chef d’Etat. Mais d’une vision et d’une gestion des problèmes posés par le djihadisme à la population et à l’Etat nigérien.
L’ancien Président Mohamed Bazoum, d’origine libyenne, n’a jamais eu de positionnement clair vis-à-vis du djihadisme.
Ce qui a progressivement rendu sa relation avec la hiérarchie militaire du Niger, son pays d’adoption, très difficile.
L’élément déclencheur du coup d’Etat a été sa décision récente de libérer des jihadistes faits prisonniers dont une très grande majorité est de nationalité Libyenne après le massacre de soldats et de populations civiles. Cette décision ne pouvait pas passer auprès de l’armée sous quelque prétexte. La hiérarchie militaire a donc entrepris des démarches pour l’en dissuader. Devant sa détermination voire son obstination à aller au bout de sa décision, l’armée nigérienne a pris ses responsabilités. Le rôle d’une armée, c’est aussi cela à savoir prendre ses responsabilités quand ça ne va pas. Quand tout va mal et qu’aucune perspective ne se dessine, il revient à l’armée de prendre ses responsabilités.
Extrait de propos de Rahmane Idrissa, chercheur nigérien à l'Université de Leiden :
L'influence de Paris et de Washington, qui insistent sur une restauration totale de Bazoum, est néfaste. Une réintégration est politiquement inconcevable, surtout si elle rétablit aussi l'emprise du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya), le parti du président. La réalité a certes changé, par la force, mais la force ne peut pas la ramener. L'idéal serait de revenir à une tradition nigérienne : le putsch participe à la réinvention et au renouvellement du processus politique, comme un ordinateur que l'on redémarre. Le PNDS ne serait pas exclu d'un tel processus, mais sans conserver la position dominante dont il a abusé jusqu'à présent.
Extraits de l’analyse de Leslie Varenne, directrice de l’Iveris :
Avant toute chose, pour comprendre la situation actuelle, il faut en finir avec la fable du « Niger, exemple pour la démocratie ». Non l’élection présidentielle de 2021 n’a pas été libre, crédible et transparente. Ce fut une passation de pouvoir entre l’ancien Président Mahamadou Issoufou qui ne pouvait pas se représenter à un troisième mandat et son allié et ami de 30 ans, Mohamed Bazoum. Condamner le coup d’Etat est une chose, répéter comme un mantra : il faut remettre dans ses fonctions « le président démocratiquement élu » en est une autre. Non seulement cette formule a le don d’agacer les Nigériens, qui considèrent ce scrutin comme le plus frauduleux de l’histoire du pays, mais elle ne permet pas de trouver des solutions à la crise.
Américains et Français ont, sous couvert de la CEDEAO, poussé pour que les sanctions les plus dures jamais mises en place depuis celles de 2010 en Côte d’Ivoire soient imposées à ce pays. Que cet Etat soit l’un des plus pauvres du monde et que la population soit la première victime importe peu. Que, comme au Mali, ces mesures aient un effet contreproductif donnant ainsi aux militaires un argument victimaire appelant à l’unité nationale n’a pas fait réfléchir non plus.
Comment ne pas mesurer l’absurdité de la situation ? La CEDEAO et ses alliés vont ouvrir le feu sur un pays déjà en guerre sur deux fronts, Boko Haram au sud-est et l’Etat Islamique dans les Trois frontières. Ils vont donc faire la guerre à leurs frères d’armes qu’ils soutiennent dans la lutte contre le terrorisme. Par ailleurs, Nigériens et Nigérians luttent ensemble contre Boko Haram. En prime, au premier coup de feu, la vie de Mohamed Bazoum sera menacée, il n’y aura donc plus de « Président démocratiquement élu » à remettre sur le trône.
Si l’intervention militaire voyait véritablement le jour - le pire n’est jamais certain - la déflagration serait majeure. Les opinions publiques africaines n’accepteront pas une nouvelle guerre menée par les Occidentaux, fût-ce derrière le paravent de la CEDEAO. Pour rappel, celles de 2011 en Côte d’Ivoire et en Libye, ont marqué le début du rejet massif de la politique française. Une nouvelle éjecterait Paris du Continent pour des décennies. En outre, dans le contexte actuel de l’Afrique de l’Ouest ce serait un séisme, un embrasement de toute la sous-région avec des conséquences terribles pour les civils. Sans compter le risque que cette déstabilisation ne profite aux djihadistes ou encore… que la Russie soit appelée en renfort ! La boucle serait alors bouclée...