L’inflation du nombre de « docteurs de l’Eglise » à partir du siècle dernier fait que saint Laurent de Brindes, grand saint assurément, personnage extraordinaire qui paraît avoir vécu plusieurs vies, a été fait docteur par Jean XXIII en 1960 sans qu’on sache pourquoi. A priori un docteur de l’Eglise est un auteur que le catholique doit lire de préférence à d’autres. Mais, 60 ans après, il n’y a toujours aucun texte de saint Laurent de Brindes en français. Ni même d’ailleurs de texte vraiment disponible en latin…
Quoi qu’il en soit, l’actualité de saint Laurent de Brindes est son action contre les musulmans (aujourd’hui soigneusement passée sous silence, -y compris par Benoît XVI dans sa catéchèse - parce que politiquement incorrecte). Je l’ai déjà évoquée plusieurs fois, cette fois ce sera sous la plume anonyme d’« un Académicien des Arcades de Rome » qui publia « La vie du bienheureux Laurent de Brindes, général des capucins » en 1784. (Il s’agit en fait d’un livre de l'abbé Giuseppe Loreto Marconi traduit par l'abbé Joseph-Marie Roubaud.)
Cependant Mahomet III, fils d'Amurath, venait de monter sur le trône de Constantinople. Pour s'y maintenir paisiblement, il fit étrangler ses frères au nombre de vingt-un, et fit jeter dans la mer dix femmes de son père qui étaient grosses, et qui périrent toutes avec leurs fruits. Après avoir ainsi affermi sa couronne par ces horribles assassinats, il voulut signaler sa fureur contre le nom chrétien, qu'il aurait volontiers exterminé si ses forces eussent secondé ses désirs. Il mit sur pied une armée formidable pour venir fondre sur la Hongrie, dont il voulait se rendre maître. L'Empereur Rodolphe, instruit de ces desseins, leva de son côté des troupes pour s'opposer au Prince Ottoman, et crut qu'il devait implorer le secours des Electeurs de l’Empire pour la cause commune.
Le Père Laurent, dont Rodolphe connaissait le génie et le zèle, fut choisi pour cette Ambassade. Ce choix fut d'autant plus applaudi, que s'agissant des intérêts de la Religion, dont le saint homme était continuellement occupé, on était persuadé qu'il engagerait sûrement tous ces Princes à unir leurs forces, pour combattre l'ennemi du nom Chrétien. Sa commission eut en effet tout le succès qu'on s'était promis ; les Electeurs s'empressèrent de se confédérer pour une aussi bonne cause, et chacun fournit les troupes que le Père Laurent demandait. Ce fut à l'occasion de cette Ambassade, que Maximilien, Duc de Bavière, conçut pour ce saint Religieux cette profonde vénération et cette tendre amitié qui ne firent qu'augmenter dans la suite.
L'Archiduc Mathias, frère de l'Empereur, fut déclaré Généralissime de l'armée Impériale; et persuadé que le Ciel ne manquerait pas de lui accorder une victoire complète sur l'armée Infidèle, s'il avait auprès de lui le grand Serviteur de Dieu, il n'oublia rien pour engager le Père Laurent à le suivre.
Tous les Officiers Généraux applaudirent à l'idée de l'Archiduc et firent les mêmes instances. Mgr Spinelli, Nonce Apostolique, y joignit les siennes, et croyant qu'il était de son devoir d'en prévenir le Pape, il en écrivit à Sa Sainteté. Le Saint-Père goûta fort ce projet, et il fit tout de suite expédier un Bref qui enjoignait au Père Laurent de se rendre en Hongrie avec l'armée Impériale, et lui donnait en même temps la faculté de mener avec lui les Religieux de son Ordre qu'il jugerait à propos.
Le Père Laurent, soumis à la voix du Saint-Père comme à celle de Jésus-Christ, n'hésita point de se rendre en Hongrie avec trois de ses confrères. En le voyant, l'armée Catholique sentit ranimer son courage. Les Chefs & les soldats, qui ne faisaient en tout qu'un Corps de dix-huit mille hommes, avoient été d'abord si effrayés de la multitude des Infidèles, qu'ils avoient pris le parti de préférer la fuite à une défaite qui leur paraissait inévitable, et d'abandonner la Hongrie au triste fort qui la menaçait.
Le saint Religieux, animé d'un zèle ardent pour les intérêts de l'Empire et de la Religion, harangua l'armée avec tant de force et d'éloquence ; il lui promit avec tant d'assurance une victoire certaine, que malgré la férocité et l'énorme supériorité des ennemis, il fut unanimement résolu de les combattre.
Pour intéresser le Dieu des armées dans sa propre cause, et le rendre propice et favorable aux Chrétiens armés pour sa gloire, le Père Laurent fit précéder la bataille par la prière, le jeûne et la Confession. Il savoir que la paix de la conscience inspire une valeur, bien plus sûre et plus soutenue que celle qui ne porte que sur le point d'honneur et sur les principes d'une chétive Philosophie. Ce qui faisait dire à un ancien Militaire plein de religion, que dans un jour de combat il ne remplissait jamais mieux son devoir que quand il sentait intérieurement qu'il était bien avec Dieu.
Le Père Laurent qui avait donné l'exemple d'une préparation chrétienne au combat, que la plupart imitèrent, voulut encore donner des exemples de bravoure dans le combat même. La goutte dont il était affligé depuis quelque temps, lui causait alors des douleurs si aiguës, qu'il lui aurait été impossible de marcher. L'Archiduc le fit monter à cheval, et le plaça à la tête de ses troupes, n'ayant pour toutes armes qu'une Croix à la main, dont il bénit toute l'armée Chrétienne.
Un avantage que le Duc de Mercœur venait de remporter sur les Turcs en s'emparant d'Albe Royale, avait encore plus irrité la fureur de ces Infidèles, qui n'avaient pu la secourir. Ils vinrent au-devant des dix-huit mille Impériaux avec une armée de quatre-vingt mille hommes. L'Archiduc se voyant si inférieur en forces, chercha à se mettre à couvert en faisant camper son armée au pied de quelques collines. Cet expédient ne lui réussit pas. Les Turcs ayant fait, à la faveur de la nuit une marche forcée, parvinrent à occuper, avant le jour, le sommet de ces collines.
Les Impériaux ayant aperçu le matin le camp ennemi se crurent perdus, regardant comme également dangereux le combat et la retraite. L'Archiduc assembla tout de fuite un conseil de guerre, et voulut que le Père Laurent y assistât. Les Chefs de l'armée ne furent pas pour l'attaque ; le Duc de Mercœur lui-même, quoiqu'il fut bien aise de trouver quelque occasion brillante de signaler de nouveau son courage, ne savait que conseiller à l'Archiduc, et paraissait indécis sur le parti qu'il convenait de prendre dans cette crise fâcheuse. Le pieux Commissaire ranima leur courage abattu, leur promit une victoire complète, et protesta qu'il voulait lui-même être à la tête des troupes. La sécurité que lui inspirait sa foi, il la communiqua à toute l'armée des Impériaux. Ils attaquèrent vivement l'ennemi, qui se défendit d'abord avec vigueur ; mais la prédiction du Serviteur de Dieu ne tarda pas de s'accomplir ; bientôt on vit la victoire pencher du côté de l'armée Chrétienne. Les Infidèles ne portaient que des coups inutiles, et les Catholiques n'en portaient aucun à faux. Les Turcs dans cette occasion sanglante perdirent trente mille hommes ; et les débris de leur nombreuse et redoutable armée chercha son salut dans la fuite. Les Impériaux s'emparèrent du champ de bataille où ils firent un butin considérable, et restèrent maîtres d'Albe Royale, que les ennemis avoient voulu tenter de reprendre.
On vit dans cette première action, qui eut lieu le 11 Octobre 1601, et surtout dans celle du 14 du même mois, une grêle de balles tomber sur le Père Laurent, sans lui faire la moindre blessure, ni la plus légère contusion. Les Turcs étonnés le prenaient pour un Négromant qui venait opérer leur ruine totale.
Ayant été entraîné par son cheval au milieu d'un corps de Musulmans, un d'entre eux leva le sabre pour le mettre en pièces ; il atteignit en effet le pieux et valeureux Laurent ; mais il en fut quitte pour une égratignure presque imperceptible.
Les deux Colonels Rosbourg et Altain frémirent à la vue du danger auquel avait été exposé leur saint Aumônier ; ils volèrent à son secours, et lui criaient chemin faisant de se retirer, que ce n'était pas là sa place. Vous vous trompez., leur répondit-il à haute voix : c'est ici où je dois être ; avançons, avançons, et la victoire est à nous.
Ces paroles furent un coup de foudre pour les Infidèles ; une fuite précipitée fut leur unique ressource ; mais elle n'empêcha pas que la plus grande partie de l'armée ne fût taillée en pièces par les Impériaux, qui les poursuivirent. Cette victoire fut vraiment miraculeuse dans toutes ses circonstances : c'était le sentiment unanime dans toute l'armée ; et le Duc de Mercœur lui-même publia hautement à Vienne, que le Père Laurent avait plus fait lui seul dans cette guerre que tous les soldats ensemble ; et qu'après Dieu et la Sainte Vierge, c'était à ce Saint Religieux qu'il fallait attribuer les deux victoires remportées sur les ennemis du nom Chrétien. Ce trait véritablement admirable de sa vie n'échappa pas à ceux qui furent chargés de diriger la décoration de la Basilique du Vatican pour la fête de sa Béatification. On avait placé au-dessus de la principale porte un tableau oblong, peint avec autant de génie que de goût par le F. Felix de la Sambucca, qui représentait, avec la plus grande vérité, tout ce que nous venons de rapporter. Les Romains et les étrangers furent également satisfaits, et de la peinture et de l'inscription suivante, qui en donnait l'explication.
BEATUS. LAURENTIUS. A. BRUNDUSIO. ANGUSTIS. GENTIS. AUSTRIACÆ. REBUS. HOSTES. CHRISTIANI. NOMINIS. ERECTA. CRUCE. DETERRET.
(L’Autriche se trouvant dans la plus grande détresse, le Bienheureux Laurent de Brindes, la Croix à la main, épouvante et met en déroute les ennemis du nom Chrétien.)