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liturgie

  • Misérables

    Des évêques, farouchement opposés à la libéralisation de la messe de saint Pie V semble-t-il décidée par Benoît XVI, cherchent tous les moyens de contrecarrer cette décision. Leur dernière trouvaille est que, s’il n’y a pas moyen d’empêcher cette catastrophe, qu’au moins on limite les dégâts en obligeant les prêtres qui célébreront selon l’ancien missel à utiliser le nouveau calendrier et le nouveau « lectionnaire », afin de préserver « l’unité » liturgique de l’Eglise.

    Les misérables. S’ils arrivaient à leurs fins, ce n’est pas une « unité » qui serait construite, mais de nouvelles divisions qui pourraient se faire jour, dans le cas où certains prêtres accepteraient ce « marché », qui serait évidemment refusé par le plus grand nombre.

    Le calendrier et les lectures font partie intégrante de l’ancien missel. Comme le nouveau calendrier et les nouvelles lectures pour le nouveau missel : ce calendrier et ces lectures sont des illustrations de la « fabrication » (dixit le cardinal Ratzinger) de la nouvelle liturgie par des experts tournant le dos à l’esprit authentique de la liturgie pour concocter un ensemble qui se veut rationnel et pédagogique. Non selon la pédagogie divine, mais selon les théories humaines du XXe siècle.

    L’un des aspects les plus déplorables du nouveau missel est la façon dont on a sélectionné les « lectures » de la messe dominicale. On a choisi des textes sur un même thème, comme si la messe consistait à réfléchir sur les concordances entre les textes de la Bible. Alors que les textes de toutes les liturgies traditionnelles sont (sauf cas particulier des grandes fêtes qui imposent leur thème) un bouquet de fleurs multicolores, cueillies comme au hasard dans l’Ecriture. Car il ne s’agit pas de raisonner, mais d’adorer, d’entrer en contact avec Dieu : on n’entre pas en contact avec Dieu par la raison, mais par le cœur et par la chair. Dieu le Verbe ne se donne pas à raisonner, il se donne à manger.

    On prétend que le nouveau « lectionnaire » est beaucoup plus riche que l’ancien. C’est matériellement vrai. Mais cette façon de le fabriquer aboutit en réalité à un appauvrissement considérable. Le fidèle est enfermé dans une problématique rationnelle. On lui donne clef en main l’explication de tel texte par un autre. Il croit avoir tout compris, alors qu’il est resté à la surface.Dans la sainte Ecriture, il n’y a jamais un texte unique qui donnerait la clef de compréhension d’un autre texte. Ce n’est pas un chant à deux (ou trois) voix qui se complètent, c’est une gigantesque polyphonie, aux résonances infinies, dont on ne peut jamais épuiser les potentialités. Et cela pour une raison très simple, c’est que c’est la parole de Dieu, qui nous parle, à nous, mais nous dépasse infiniment.

    C’est pourquoi il n’y a rien de « rationnel » dans les liturgies traditionnelles. Dans la liturgie byzantine, il y a même, à partir de la fête de la Sainte Croix, un double calendrier, celui des évangiles qui continue d’égrener les dimanches après la Pentecôte, et celui des épîtres qui en est déconnecté. Ainsi est-on sûr qu’il n’y ait pas de rapport rationnel entre l’un et l’autre texte. On retrouve un peu de cela dans les matines du bréviaire traditionnel (monastique, en tout cas, c’est le seul que je connaisse) : à partir du premier dimanche d’août, les lectures des premier et deuxième nocturnes sont déconnectés de celles du troisième nocturne, celui-ci (qui comporte l’évangile) étant le seul à suivre l’ordonnancement des dimanches après la Pentecôte.

    Enfin, pour présenter un plus grand nombre de lectures, on les étale sur trois ans. Ce qui est psychologiquement, donc ici spirituellement, déstabilisant. Dans la vie de tous les jours, on ne change pas sans arrêt de repères et d’horaires. Si on le fait, on perd beaucoup de temps et d’énergie. Et si on élève un enfant ainsi, on l’empêche de se structurer. De même, il est important que l’année liturgique soit toujours rythmée par les mêmes occurrences, ce qui permet d’approfondir année après année la perception de l’épître et de l’évangile. Comme en une spirale dont le cercle est toujours le même, et jamais le même, conduisant peu à peu vers son centre, qui est Dieu. La liturgie est toujours la même, mais chaque année notre rapport à la liturgie se modifie, s’approfondit, se densifie.

    L’année liturgique est un tout. Elle symbolise l’histoire de l’humanité, l’histoire du salut, notre histoire personnelle. Il n’y a pas trois histoires de l’humanité, trois histoires du salut, et nous n’avons pas trois vies.

    Le mot essentiel de la liturgie est « canon ». Un canon est immuable. La liturgie doit être immuable. Dieu est immuable. Stat crux dum volvitur orbis.

    Quant au souci de l’unité liturgique, c’est une blague de très mauvais goût. Il n’y a aucune unité liturgique dans les messes de Paul VI, qui sont livrées à la créativité la plus débridée des clercs et des « animateurs ».

    En outre, l’unité liturgique n’est pas un objectif légitime. Il y a eu, certes, en Occident, un mouvement historique d’unification liturgique, correspondant à une centralisation romaine de plus en plus étroite (et dont le point culminant fut le missel de saint Pie V). Dom Guéranger, pour qui j’ai une immense admiration mais que je suis pas sur ce point-là, se montrait un partisan résolu de cette unification. Mais on voit bien qu’il s’agit chez lui d’une position tactique (sinon il ne citerait pas de façon si prolixe les liturgies byzantine, mozarabe ou gallicane dans son Année liturgique) : il s’agit pour lui de lutter contre les déviations liturgiques qui renaissent sans cesse, et auxquelles seule l’autorité romaine peut mettre le holà. Et dom Guéranger a été magnifiquement entendu par saint Pie X (qui fut un grand et authentique réformateur liturgique). Mais dom Guéranger ne pouvait pas imaginer qu’un jour les déviations liturgiques (celles-là même qu'il dénonçait) viendraient de Rome, et qu’alors la centralisation romaine conduirait à une destruction de la liturgie latine.

    Malgré cette unification, il n’y a jamais eu un seul rite latin. Avant le tsunami de la réforme dite liturgique, il y avait à côté du rite romain le rite ambrosien (Milan), le rite mozarabe (Tolède), le rite de Braga, le rite lyonnais (vénérable témoin de l’ancien rite gallican), le rite des chartreux, le rite des carmes, le rite dominicain…

    Face au dessèchement de la liturgie ex-latine à géométrie variable, imposée de façon totalitaire (saint Pie V n’avait absolument pas procédé ainsi), il est non seulement possible et légitime, mais nécessaire, de briser le diktat et de redonner aux fidèles la possibilité de connaître une liturgie bien plus évidemment spirituelle et surnaturelle. Dans toute son ampleur et dans toutes ses dimensions, calendrier et « lectionnaire » compris.

  • L’art du raccomodage

    L’agence Zenit publie chaque semaine l’homélie dominicale du père Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale. Elles sont généralement tout à fait remarquables, tant sur le plan spirituel que « pratique ». Voici par exemple quelques extraits de ce qu’il dit du mariage, qui est le thème de la liturgie de demain selon le nouveau calendrier. Je n’en garde que le côté « pratique », qui l’est d’autant plus que le P. Cantalamessa (quel joli nom) en traite toujours avec un langage familier qui le rend compréhensible par tous. Pour le côté plus proprement spirituel, on se reportera à l’intégralité de son texte (qui est toujours bref et concis, ce qui est une autre qualité).

    « Le mariage souffre des conséquences de la mentalité actuelle du « jetable ». Si un appareil ou un outil est endommagé ou légèrement éraflé, on ne pense pas à le réparer (ceux qui faisaient ces métiers n’existent plus désormais), on ne pense qu’à le remplacer. Appliquée au mariage, cette mentalité fait des ravages.

    « Que peut-on faire pour endiguer cette dérive, cause de tant de mal pour la société et de tant de tristesse pour les enfants ? J’aurais bien une suggestion à faire : redécouvrir l’art du raccommodage ! Remplacer la mentalité du « jetable » par celle du « raccommodage ». Désormais presque plus personne ne pratique le raccommodage. Mais même s’il ne se pratique plus sur les vêtements, il faut pratiquer cet art du raccommodage sur le mariage. Repriser les accrocs, et les repriser tout de suite. »

    « Ce qu’il est important de comprendre, c’est qu’à travers ce processus d’accrocs et de raccommodages, de crises et de dépassements de crise, le mariage ne se fane pas mais s’affine et s’améliore. »

    « Si avec de la bonne volonté, et l’aide d’une autre personne, on arrive à surmonter ces crises, on se rend compte que l’élan, l’enthousiasme des premiers jours étaient vraiment peu de chose comparé à l’amour stable et la communion qui ont mûri au fil des années. Si au début les époux s’aimaient pour la satisfaction que cela leur procurait, aujourd’hui ils s’aiment peut-être un peu plus d’un amour de tendresse, libéré de l’égoïsme et capable de compassion ; ils s’aiment pour ce qu’ils ont réalisé et souffert ensemble. »

  • La dernière place

    L’évangile de ce dimanche est en deux parties. La seconde partie est le commandement de l’humilité : « Lorsque quelqu’un t’invite à un repas de noces, ne va pas te mettre à la première place, de peur qu’un plus digne que toi ne se trouve aussi invité, et que celui qui vous a invités ne vienne te dire : Cède-lui la place. Tu devrais alors, plein de confusion, aller occuper la dernière place. Mais quand tu es invité, va te mettre à la dernière place, de façon qu’à ton arrivée celui qui t’a invité te dise : Mon ami, monte plus haut. Alors tu te trouveras honoré devant tous les convives. Car quiconque s’élève sera abaissé, et quiconque s’abaisse sera élevé. »

    Nous avons ici un exemple de la façon dont le Christ reprend l’enseignement de l’Ancien Testament et lui donne une signification plus haute.

    En effet, ce qu’il dit se trouve presque mot pour mot dans le livre des Proverbes (25, 6-7) : « Ne prends pas la place des grands, car mieux vaut qu’on te dise : Monte ici ! que si l’on t’abaisse devant le prince. » Il s’agit ici d’abord d’un conseil de prudence humaine, dans laquelle on peut voir éventuellement une signification plus profonde. Mais le Christ explicite cette signification et lui donne toute son ampleur spirituelle. Et il la donne en prenant lui-même la dernière des dernières places, lui qui est Dieu, en se faisant homme et en mourant sur la Croix.

    Ce fut un aspect important de la spiritualité du bienheureux Charles de Foucauld : « J’ai une répugnance extrême pour tout ce qui tendrait à m’éloigner de cette dernière place que je suis venu chercher », disait-il en parlant de la Trappe. Ou encore : « Descendons le plus possible, comme le Verbe, comme Jésus ; établissons définitivement, sur la terre, notre place parmi les plus petits ; à la dernière place. »

  • Saint Matthieu

    Matthieu, qui en fait s'appelait Lévi (comme tout le monde) tenait le bureau de douane et d’octroi à Capharnaum (Kfar Nahum), ville située sur le lac de Tibériade et d’où Jésus rayonnait, par terre ou par « mer », dans toute la Galilée. Auteur du premier évangile et l’un des douze apôtres, il évangélisa l’Ethiopie selon une ancienne tradition. Ses reliques sont à Salerne, sur la côte amalfitaine, l’un des plus beaux endroits du monde.

    Capharnaum est l’un des innombrables exemples des confirmations historiques et topologiques de l’Ecriture sainte par l’archéologie. La ville a complètement disparu. Ce n’est qu’en 1838 qu’on détermina le site. Et à partir de la fin du XIXe siècle eurent lieu des fouilles, qui permirent de mettre au jour une basilique octogonale du Ve siècle, enserrant une maison qui avait elle-même été transformée en lieu de culte, et sur les murs de cette maison on a trouvé des graffitis en araméen, grec, syriaque et latin, avec les mots Jésus, Seigneur, Christ et Pierre.

    Cette maison était manifestement celle de saint Pierre. D’autant que nous avons le témoignage d’une Espagnole qui, dans le récit de son pèlerinage en terre sainte effectué entre 381 et 384, explique qu’elle a vu comment la maison de saint Pierre (où logeait aussi Jésus) a été transformée en église.

  • Quatre-Temps

    Aujourd’hui c’est le mercredi des Quatre-Temps de septembre.

    Le Quatre-Temps ont été rayés du nouveau calendrier. Pourquoi ? Parce que ce sont des jours de jeûne et que l’on ne doit plus insister sur la pénitence ? « Si vous ne faites pas pénitence, vous périrez tous », a pourtant prévenu le Seigneur.  Parce que les réformateurs de la liturgie étaient des enfants de la société industrielle et que les Quatre-Temps sont liés aux travaux de la terre ? Parce qu’ils n’avaient plus aucune notion des symboles ?

    Les Quatre-Temps sont la sanctification des quatre saisons, des solstices et des équinoxes. Sanctification du cosmos. Les quatre temps de septembre sont aussi une action de grâce pour les récoltes. C’est la version chrétienne de la fête des tentes. Aujourd’hui on prétend exalter les racines juives de la liturgie chrétienne. Mais on a supprimé les Quatre-Temps qui en étaient un authentique héritage liturgique.

    L’évangile de ce jour est le passage de saint Marc où le Christ guérit un démoniaque que les apôtres n’ont pas pu guérir. Pourquoi n’avons-nous pas pu expulser ce démon ? demandent les apôtres au Seigneur. « Cette espèce-là ne peut sortir que par la prière et le jeûne », leur répond-il.

  • Saint Joseph de Cupertino

    medium_image004.gifLa vie de saint Joseph de Copertino (1603-1663) est un gag divin, qui ne le fit pas vraiment rire. Tout petit déjà, on l’appelait « bouche-bée », parce que tout lui était l’occasion de tomber en extase. De ce fait il était incapable de faire quoi que ce soit, puisque lorsqu’il tombait en extase tout lui tombait des mains, et en outre il était quasiment analphabète et avait un air parfaitement ahuri.

    Après plusieurs tentatives infructueuses, sa famille réussit à le faire admettre dans un couvent de capucins, comme simple oblat, avec pour tâche de s’occuper de la mule. Mais il voulait devenir frère franciscain, et prêtre. Et il y réussit. Il passa par miracle l’examen du sacerdoce. L’évêque commença par interroger les premiers candidats, qui étaient si forts en théologie qu’il décida d’admettre tout le groupe, dont Joseph. Du coup, saint Joseph de Copertino est le patron des étudiants qui passent des examens…

    A partir de ce moment-là, il se mit à léviter, et de façon très impressionnante. Avec décollage vertical et atterrissage, accompagné d’un cri rauque, au pied de l’image ou de la statue qui avait provoqué son extase. Un jour il se prit dans les branches d’un olivier et il fallut une échelle pour le faire redescendre. On voulut le présenter au pape, et il lévita aussitôt, ce qui fit peur au souverain pontife. Ses lévitations finirent par le faire soupçonner de diablerie ou d’imposture par l’Inquisition, qui le convoqua. Dès qu’il entra dans la salle d’audience, il se colla au plafond. On l’envoya vivre en reclus dans un couvent. On le dit saint patron des aviateurs. Je ne sais pas si cela est officiel dans l’Eglise, ou provient seulement de la blague de Blaise Cendrars (dans Le lotissement du ciel).

    Joseph de Copertino n’est pas saint parce qu’il lévitait mais parce qu’il fut d’une patience et d’une obéissance héroïques, d’une charité sans bornes et d’une piété exceptionnelle. Lors de son procès en béatification, un témoin dira qu’il en avait davantage appris dans ses quelques conversations avec Joseph que dans tous les livres de théologie.

    Néanmoins l’Eglise n’a pas laissé passer l’occasion de se servir de ce don intempestif pour en donner, cum grano salis, la signification spirituelle, dans la collecte de sa messe : « Dieu, qui avez voulu que votre Fils unique, élevé de terre, attirât tout à lui, faites, dans votre bonté, qu’à l’exemple et par les mérites de votre séraphique confesseur Joseph, nous élevant au-dessus de tous les désirs terrestres, nous méritions de parvenir jusqu’à celui qui, étant Dieu, vit et règne dans les siècles des siècles. Amen. »

  • Piétisme et contemplation

    Les textes des cantates composées par Bach pour le dimanche qui correspond au XVe dimanche après la Pentecôte (les N° 8, 27, 95 et 161, pour le 16e dimanche après la Trinité) sont assez caractéristiques de la différence fondamentale qu’il y a entre le piétisme luthérien et la spiritualité catholique.

    L’évangile de ce jour est celui de la résurrection du fils de la veuve de Naïm (Luc 7, 11-16). Les textes des cantates sont centrés sur la mort de celui qui chante, donc sur la mort de celui qui écoute et participe par son audition à ce chant. Sur ma mort. Sur ce qu’implique la mort pour mon corps et pour mon âme.

    Le commentaire que propose l’Eglise catholique, tiré de saint Augustin, est exactement en sens inverse. Il ne s’agit pas de contempler mon nombril promis au tombeau, mais le Christ et son action dans son Eglise.

    Tout miracle du Christ est un signe, une parabole en acte. Par la résurrection corporelle du fils de la veuve de Naïm, le Christ veut attirer notre attention sur la résurrection des âmes, qui est sa mission terrestre, et qui sera la mission de l’Eglise jusqu’à ce qu’il revienne et ressuscite tous les corps dans l’éternité. Les évangiles rapportent trois résurrections corporelles effectuées par le Christ. Mais dans le même temps il a ressuscité des milliers d’âmes. Nous ne devons pas être devant l’Evangile comme devant un grimoire dont nous admirons la calligraphie sans comprendre le texte, dit saint Augustin. On peut admirer le fait si étonnant de la résurrection d’un corps, mais l’important est de discerner ce que le fait signifie. C’est toujours l’annonce du Royaume, dont l’Eglise est sur terre la messagère et la porte d’entrée. La résurrection du fils de la veuve de Naïm et admirable, mais la résurrection d’innombrables âmes dans l’Eglise, par le baptême et la pénitence, est infiniment plus admirable.

    Ce n’est donc pas moi qui importe, mais le Christ qui me ressuscite dans son Eglise. Ce n’est pas ma mort que je dois regarder, mais le Christ, car il est la voie, la vérité et la vie. Dès ici-bas, le chrétien a pour vocation de dire comme saint Paul : ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi.

  • Sainte Euphémie

    medium_24_euphemie.jpgSainte Euphémie n’est plus qu’un nom enfoui dans le martyrologe romain. Avant la réforme liturgique, elle était commémorée dans le calendrier monastique bénédictin. En Orient, elle a pourtant reçu le titre rare de « mégalomartyre » (grande martyre), et elle a deux fêtes dans l’année : le jour de son martyre, le 16 septembre, et le 11 juillet. Dans La légende dorée, Jacques de Voragine raconte par le menu comment elle fut martyrisée sous Dioclétien. Mais son destin posthume mérite de ne pas être oublié, particulièrement en France.
    Sainte Euphémie était de Chalcédoine, et sur son tombeau on édifia une grande basilique. C’est cette basilique qui fut choisie pour accueillir le IVe concile œcuménique. Ainsi, comme le dit Dom Guéranger dans L’Année liturgique, « c'est sur sa tombe que fut promulguée la condamnation de l'impie Eutychès, et vengée l'intégralité de la double nature de l'Epoux, homme et Dieu ».
    Selon l’historien Nicéphore, les pères du concile, après des jours de discussions sans fin, décidèrent de demander à Dieu de trancher sur la question de la personne du Christ. Chacun des deux camps déposa dans la tombe d’Euphémie l’exposé de sa doctrine, et les pères se mirent en prière. Quand ils ouvrirent le tombeau, la thèse orthodoxe se trouvait sur la poitrine de la sainte (ou dans sa main droite selon les sources), et la thèse hérétique à ses pieds. C’était le 11 juillet 451, et la deuxième fête de sainte Euphémie commémore donc ce miracle.
    « La grande martyre sembla conserver d'un si auguste souvenir une prédilection pour les hautes études concernant la doctrine sacrée », dit Dom Guéranger. La mégalomartyre était devenue, post mortem, une grande théologienne. Et la faculté de théologie de l’Université de Paris l’honorait comme sa patronne principale. En 1617, le grand maître de l’Ordre de Malte, Aloph de Vignacourt, apporta à la Sorbonne des reliques de la sainte, dont le corps avait été transféré à Rhodes, puis à Malte dans l'église Saint-Jean.
    Que sont devenues les reliques de sainte Euphémie ? La Révolution est passée par là, effaçant le souvenir des anciens martyrs et en faisant de nouveaux.

  • Notre Dame des sept douleurs

    Ferrum lanceae militaris, latus quidem Salvatoris, animam vero transivit Viriginis.

    (Si le fer de la lance du soldat transperça, certes, le côté du Sauveur, c’est l’âme de la Vierge qu’il transperça vraiment.)

    La fête (?) de ce jour est moderne, et typique d’une certaine religiosité.  Apparue en 1668 dans la liturgie des Servites de Marie (au troisième dimanche de septembre), elle est ensuite insérée au calendrier universel, et fixée au 15 septembre, donc au lendemain de l’Exaltation de la Sainte Croix, par saint Pie X.

    Le contraste entre les deux fêtes est saisissant, et rude.

    La première est, comme son nom l’indique, et comme il l’indique encore davantage dans le nouveau calendrier, une glorification de la Croix, une célébration de la Croix de gloire. L’instrument du supplice le plus misérable est devenu la porte de la résurrection éternelle. La liturgie insiste sur le parallèle entre l’arbre du paradis terrestre, le bois qui a apporté la mort au monde, et l’arbre de la Croix, le bois par lequel la vraie vie est donnée aux hommes. Cette glorification de la Croix, après la Résurrection du Christ, est le pendant de la liturgie du Vendredi Saint, où le fidèle est invité à contempler la souffrance et la mort du Sauveur.

    La seconde est tout entière centrée sur les douleurs de Marie, au point que tous les psaumes des matines (je parle de la liturgie d’avant la réforme, la seule que je connaisse) sont des psaumes de persécution (alors que normalement, dans les fêtes, les psaumes du deuxième nocturne sont des psaumes de gloire). La liturgie échappe au dolorisme parce qu’il s’agit d’une liturgie catholique et que le dolorisme n’est pas catholique, et elle permet de savourer les sublimes versets du Cantique des cantiques, mais elle fait parfaitement double emploi avec la célébration de… Notre Dame des sept douleurs, le vendredi après le dimanche de la Passion. Et cela est encore souligné par le fait que la messe est la même.

    Ce qui est proprement incompréhensible est le fait, pour un saint pape, d’avoir élevé la fête de Notre Dame des sept douleurs au rang de fête de deuxième classe, alors que l’Exaltation de la Sainte Croix n’était que « double majeure » : cela impliquait que les deuxièmes vêpres de l’Exaltation de la Sainte Croix disparaissent au profit des premières vêpres de Notre Dame des sept douleurs, et que si l’une ou l’autre tombe un dimanche, la liturgie du dimanche prime celle de l’Exaltation de la Sainte Croix, alors que celle de Notre Dame des sept douleurs prime le dimanche. (Aujourd’hui ce n’est plus le cas, parce qu’il n’y a quasiment plus de fêtes qui puissent primer le dimanche, ce qui est un excès inverse.)

    Addendum. Dans le "missel de 1962", les deux fêtes sont de deuxième classe. Celle des sept douleurs ne peut donc pas primer le dimanche, tandis que celle de l'Exatation de la Sainte Croix le peut, car il s'agit d'une fête du Seigneur.

  • Vivifiante Croix

    La fête de ce jour est dans le calendrier romain d’avant la réforme liturgique celle de l’Exaltation de la sainte Croix. On dit aujourd’hui fête de la Croix glorieuse, ce qui est légitime et précise son sens : célébrant le triomphe de la Croix qui est le triomphe de la Vie sur la mort, elle fait le pendant du Vendredi Saint, où l’on médite les souffrances du Christ sur la Croix.

    Dans le calendrier byzantin, elle est celle de l’Exaltation universelle de la vénérable et vivifiante Croix. C’est une fête très importante, au point qu’elle est dotée non seulement d’une vigile, mais que le dimanche précédent est le dimanche « avant la Croix », et le dimanche suivant est le dimanche « après la Croix ».

    Faisant allusion à la victoire d’Héraclius sur les Perses, qui permit de récupérer la sainte Croix qu’ils avaient prise à Jérusalem (c’est l’origine de cette fête), mais lui donnant une portée universelle, le tropaire de la fête chante ceci : « Sauve, Seigneur, ton peuple, bénis ton héritage. Accorde à nos chefs victoire sur les ennemis. Garde par ta Croix ce pays qui est tien. »

    La divine liturgie de la sainte et vivifiante Croix sera célébrée ce jour en l’église Saint-Julien-le-Pauvre, à Paris, exceptionnellement à 18 h 30, en raison de la présence exceptionnelle du patriarche grec-catholique S.B. Grégoire III et de l’archevêque grec-catholique de Tyr, qui font une tournée pour attirer l’attention sur le sort du Liban et des chrétiens du Sud Liban.

    Pourquoi est-ce que j’évoque la liturgie byzantine et Saint-Julien-le-Pauvre ? Parce que c’est ma « paroisse » (d’élection) depuis plus de vingt ans. Puisque de nombreuses Eglises orientales ont un lieu de culte à Paris, j’avais décidé de faire un peu de « tourisme liturgique ». La première église que je visitai fut Saint-Julien-le-Pauvre, parce que c’est une des plus anciennes de Paris et qu’elle est spécialement chargée d’histoire (elle fut la chapelle de la Sorbonne, et l’on y vit saint Thomas d’Aquin, saint Bonaventure, saint Yves, Dante, etc.) Je découvris là une liturgie d’une si intense beauté que j’y suis resté. C’est mon paradis de chaque dimanche, et un peu plus si possible (notamment la semaine sainte). Le chantre, qui a une voix superbe et a constitué une remarquable chorale, est un des meilleurs spécialistes du chant byzantin, et le curé actuel fait des homélies d’une grande profondeur spirituelle, truffées de citations de pères de l’Eglise. A Saint-Julien-le-Pauvre, on est porté tout naturellement à la contemplation, en se laissant porter dans le grand fleuve de la tradition orientale. C’était aussi une façon d’échapper aux tensions, polémiques, crispations qui à tort ou à raison secouaient le mouvement « traditionaliste » (et ça ne s’est pas arrangé par la suite).