(Monreale)
L’évangile qui relate la résurrection du fils unique de la veuve de Naïm est riche d’un double profit : nous croyons que la divine miséricorde est vite fléchie par les lamentations d’une mère veuve, surtout quand elle est brisée par la souffrance et par la mort d’un fils unique, veuve à qui cependant la foule en deuil restitue les avantages de la maternité ; d’autre part, cette veuve entourée par la foule nous semble plus qu’une femme : elle a mérité d’obtenir par ses larmes la résurrection de l’adolescent, son fils unique. C’est que la sainte Eglise rappelle à la vie, du cortège funèbre et des extrémités du tombeau, le peuple plus jeune, eu égard à ses larmes ; et il lui est interdit de pleurer celui à qui est réservé la résurrection.
Or, ce mort était porté au tombeau, dans un cercueil, par les quatre éléments de la matière ; mais il avait l’espérance de la résurrection puisqu’il était porté sur le bois ; celui-ci, il est vrai, ne nous a pas servi tout d’abord, mais, une fois que Jésus l’eut touché, il commença à nous procurer la vie : c’était un signe que le salut se répandrait sur le peuple par le gibet de la Croix. Ayant donc entendu la Parole de Dieu, les lugubres porteurs de ce deuil s’arrêtèrent, alors qu’ils entraînaient le corps humain dans le courant mortel de sa nature matérielle. N’est-ce pas cela et ne sommes-nous pas étendus sans vie comme dans un cercueil, instrument des derniers devoirs, lorsque le feu d’une convoitise sans mesure nous consume, ou que l’humeur froide nous envahit, ou qu’une certaine indolence habituelle du corps émousse la vigueur de l’âme, ou que notre esprit, vide de la pure lumière, repaît notre intelligence de brouillards épais ? Tels sont les porteurs pour nos obsèques.
Mais bien que les derniers symptômes de la mort aient fait disparaître tout espoir de vie, et que les corps des trépassés gisent auprès du tombeau, pourtant, à la Parole de Dieu, les cadavres prêts à périr se relèvent, la parole revient, le fils est rendu à sa mère, rappelé du tombeau, arraché au sépulcre. Quel est ce tombeau, le vôtre, sinon les mauvaises mœurs ? Votre tombeau est le manque de foi, votre sépulcre est cette gorge – car « leur gorge est un sépulcre béant » (psaume 5) - qui profère des paroles de mort. C’est le sépulcre dont le Christ vous délivre ; de ce tombeau, vous ressusciterez si vous écoutez la Parole de Dieu. Mêmes s’il y a péché grave, que vous ne puissiez laver vous-même par les larmes de votre repentir, que pour vous pleure cette mère, l’Eglise, qui intervient pour chacun de ses fils comme une mère veuve pour des fils uniques ; car elle compatit, par une souffrance spirituelle qui lui est naturelle, lorsqu’elle voit ses enfants poussés vers la mort par des vices funestes. Nous sommes les entrailles de ses entrailles, car il existe aussi des entrailles spirituelles : Paul les avait, lui qui disait : « Oui, frère, donne-moi cette joie dans le Seigneur : rassasie mes entrailles dans le Christ » (Philémon 20). Nous sommes donc les entrailles de l’Eglise, parce que nous sommes membres de son corps, faits de sa chair et de ses os. Qu’elle pleure donc, la tendre mère, et que la foule l’assiste. Alors, vous vous relèverez de la mort, alors vous serez délivrez du sépulcre, les ministres de votre mort s’arrêteront, vous vous mettrez à dire des paroles de vie ; tous craindront, car pas l’exemple d’un seul beaucoup seront redressés ; et, de plus, ils loueront Dieu de nous avoir accordé de tels remèdes pour éviter la mort.
Saint Ambroise, Sur l'Evangile de St Luc (V, 89-92), traduction dom Gabriel Tissot (Sources chrétiennes).