"Bible historiale" de Jean de Vaudetar, 1372, La Haye.
Lors donc qu’il fut descendu de la montagne, une grande foule de peuple le suivit. Et un lépreux venant à lui l’adorait en lui disant : Seigneur, si vous le voulez, vous pouvez me guérir. Et Jésus "étendant la main le toucha en lui disant : Je le veux, soyez guéri. Et aussitôt sa lèpre fut guérie." Cet homme fait preuve de beaucoup de sagesse et de foi en approchant de Jésus-Christ. Il ne va point inconsidérément interrompre son discours. Il ne fend point la foule pour venir avec précipitation jusqu’au Sauveur. Il attend paisiblement une occasion favorable, et lorsqu’il le voit descendre, il s’approche de lui, non d’une manière indifférente, mais avec une humilité profonde. Il se prosterne à ses pieds, comme le marque un autre évangéliste, avec un respect qui montrait quelle foi sincère il avait, et quelle grande idée il se faisait de Jésus-Christ. Il ne lui dit point : Si vous priez Dieu pour moi ; mais : "Si vous le voulez, vous pouvez me guérir." Il ne dit pas non plus : "Seigneur, guérissez-moi" : mais il lui laisse tout entre les mains ; il le rend maître absolu de sa guérison, et il rend témoignage à sa toute-puissance.
Mais, dira-t-on, si l’opinion du lépreux était une opinion erronée ?... Alors il eût fallu détruire l’opinion, et reprendre et redresser celui qui l’avait. Or est-ce que Jésus-Christ l’a fait ? Point du tout ; au contraire il confirme et corrobore ce qu’a dit cet homme, C’est pourquoi il ne dit pas simplement : Soyez guéri, mais : Je le veux, soyez guéri, de sorte que le dogme de la toute-puissance et de la divinité de Jésus-Christ ne repose plus seulement sur l’opinion d’un homme quelconque, mais sur l’affirmation même de Jésus-Christ. Les apôtres ne parlaient pas de la sorte, et ne s’attribuaient pas ainsi cette puissance dans les miracles qu’ils faisaient. Car voyant les hommes surpris et étonnés des prodiges qu’ils faisaient en leur présence, ils leur disaient : "Pourquoi nous regardez-vous avec admiration, comme si c’était nous qui par notre propre puissance eussions fait marcher cet homme ?" (Act. III, 12.) Mais le Seigneur, lui, que dit-il, lui qui parlait d’ordinaire si humblement de lui-même, et dont le langage était infiniment au-dessous de sa gloire ; que dit-il, pour établir le dogme de sa divinité, devant toute cette multitude qui le regarde avec stupéfaction ? "Je le veux, soyez guéri."
Quoique le Sauveur ait opéré une infinité d’autres miracles très éclatants, on ne voit pas qu’il fasse usage de ce mot ailleurs qu’ici; il en use ici à dessein pour appuyer la pensée que ce lépreux et tout le peuple avait de sa puissance. Il dit sans hésiter : "Je le veux" et il le dit efficacement, et ce qu’il veut, s’exécute au moment qu’il le commande. Que si cette parole eût été une parole de blasphème, elle n’aurait pas été autorisée par un miracle. Mais voici que la nature obéit à l’ordre que Jésus lui donne, elle se hâte d’obéir, elle obéit plus vite encore que l’évangéliste ne le marque. Car ce mot, "aussitôt", est encore trop lent pour marquer la promptitude de l’opération.
Jésus-Christ ne se contente pas de dire "Je le veux : soyez guéri" mais "il étend sa main et le touche". Cette circonstance mérite d’être examinée. Car pourquoi, guérissant le lépreux par sa volonté et par la force de sa parole, veut-il encore le toucher de la main ? Il me semble qu’il le fait pour montrer qu’il n’était point sujet à la loi qui défendait de toucher un lépreux; mais qu’il était au-dessus d’elle, et qu’il n’y a rien d’impur pour un homme qui est pur. Le prophète Elisée n’osa pas agir avec cette autorité dans une occasion semblable. Il ne voulut point voir Naaman qui le vint trouver pour être guéri de sa lèpre ; et quoiqu’il sût que cet eunuque se scandalisait de ce qu’il ne le voyait pas pour le toucher, il voulut néanmoins observer la loi à la rigueur, et sans sortir de chez lui : il se contenta de l’envoyer au Jourdain pour s’y laver. Jésus-Christ fait donc voir en touchant ce lépreux qu’il n’agit pas en serviteur mais en maître. Cette lèpre ne rendit point impure la main de Celui qui la touchait ; et le lépreux au contraire fut purifié par cet attouchement divin. Car Jésus-Christ n’est pas venu seulement pour guérir les corps, mais pour instruire les âmes de ses vérités saintes, et pour les porter à la vertu. Comme il ne défendit point de se mettre à table sans laver ses mains, lorsqu’il établit cette loi si excellente de manger indifféremment de toute sorte de viandes ; il fait voir ici de même que c’est le cœur qu’il faut purifier et non le corps ; et que, sans se mettre en peine de ces purifications extérieures et judaïques, il ne fallait plus penser qu’à guérir la lèpre intérieure et spirituelle. Car la lèpre du corps n’empêche point la vertu de l’âme. Jésus-Christ donc est le premier qui ose toucher un lépreux, et personne de tout ce peuple ne lui en fait un crime ; c’est qu’il n’avait pas affaire à des juges corrompus, ni à des témoins rongés par l’envie. Ainsi, bien loin de tirer de ce miracle un sujet de médire, ils le considèrent avec admiration et avec respect ; ils reconnaissent et ils adorent dans les paroles et dans les actions de Jésus-Christ une puissance souveraine à qui rien ne peut résister.
Saint Jean Chrysostome, homélie 25 sur saint Matthieu.