Extrait du sermon sur l’amour de Dieu.
Saint Justin nous dit que l'amour a ordinairement trois effets. Quand nous aimons quelqu'un, nous pensons souvent, et volontiers à lui ; nous donnons volontiers pour lui et nous souffrons volontiers pour lui : voilà, mes frères, ce que nous devons faire pour le bon Dieu, si nous l'aimons véritablement. Je dis
1. que nous devons souvent penser à Jésus-Christ. Rien n'est plus naturel que de penser à ceux qu'on aime. Voyez un avare : il n'est occupé que de ses biens ou du moyen de les augmenter ; seul ou en compagnie, rien n'est capable de le distraire de cette pensée. Voyez un libertin : la personne qui fait tout l'objet de son amour, ne le quitte guère plus que la respiration ; il y pense tellement que, souvent, son corps en est si accablé qu'il en est malade. Oh ! si nous avions le bonheur d'aimer autant Jésus-Christ qu'un avare aime son argent ou ses terres, qu'un ivrogne, son vin, qu'un libertin, l'objet de sa passion, ne serions-nous pas continuellement occupés de l'amour et des grandeurs de Jésus-Christ ? Hélas ! mes frères, nous nous occupons de mille choses qui, presque toutes, n'aboutissent à rien ; tandis que, pour Jésus-Christ, nous passons des heures et même des jours entiers sans nous souvenir de lui, ou d'une manière si faible, que nous croyons à peine ce que nous pensons. O mon Dieu, comment ne vous aime-t-on pas ! Cependant, mes frères, de tous nos amis y en a-t-il un plus généreux, plus bienfaisant ? Dites-moi, si nous avions bien pensé qu'en écoutant le démon qui nous portait au mal, nous avons grandement affligé Jésus-Christ, que nous l'avons fait mourir une seconde fois, aurions-nous eu ce courage ?... n'aurions-nous pas dit : Comment, mon Dieu, pourrais-je vous offenser, vous qui nous avez tant aimés ! Oui, mon Dieu, le jour et la nuit mon esprit et mon cœur ne seront occupés que de vous.
2. Je dis que si nous aimons véritablement le bon Dieu, nous lui donnerons tout ce qu'il est en notre pouvoir de lui donner, et cela, avec un grand plaisir. Si nous avons du bien, faisons-en part aux pauvres, c'est comme si nous le donnions à Jésus-Christ lui-même ; c'est lui qui nous dit dans l'évangile : « Tout ce que vous donnerez au moindre des miens, c'est-à-dire aux pauvres, c'est comme si vous le donniez à moi-même. » Quel bonheur, mes frères, pour une créature, de pouvoir être libérale envers son créateur, son Dieu et son Sauveur ! Ce ne sont pas seulement les riches qui peuvent donner ; mais tous les chrétiens, même les plus pauvres. Nous n'avons pas tous des biens pour les donner à Jésus-Christ dans la personne des pauvres ; mais nous avons tous un cœur, et c'est précisément de ce présent qu'il est le plus jaloux ; c'est celui-là qu'il demande avec tant d'empressement. Dites-moi, mes frères, pourrions-nous lui refuser ce qu'il nous demande avec tant d'instances, lui qui ne nous a créés que pour lui ? Ah ! si nous y pensions bien, ne dirions-nous pas au divin Sauveur : « Seigneur, je ne suis qu'un pécheur, ayez pitié de moi ; me voilà tout à vous. » Que nous serions heureux si nous faisions cette offrande universelle au bon Dieu ! que notre récompense serait grande !...
3. Mais cependant la meilleure marque d'amour que nous puissions donner au bon Dieu, c'est de souffrir pour lui ; car, si nous voulions bien considérer ce qu'il a souffert pour nous, nous ne pourrions pas nous empêcher de souffrir toutes les misères de la vie, les persécutions, les maladies, les infirmités et la pauvreté : Qui ne se laisserait pas attendrir à la vue de tout ce que Jésus-Christ a souffert pendant sa vie mortelle ? Que d'outrages ne lui font pas souffrir les hommes, par la profanation de ses sacrements, par le mépris de sa religion sainte, dont l'établissement lui a tant coûté ? Quel aveuglement, mes frères, de ne pas aimer un Dieu si aimable et qui ne cherche, en tout, que notre bonheur ! Nous avons un bel exemple dans la personne de sainte Magdeleine, devenue célèbre dans toute l'Église par ce grand amour qu'elle a eu pour Jésus-Christ. Une fois qu'elle fut à lui, elle ne le quitta plus ; non seulement de cœur, mais encore réellement : le suivant dans ses voyages, l'assistant de ses biens, et l'accompagnant jusqu'au calvaire : Elle fut présente à sa mort, elle prépara les parfums pour embaumer son corps et se rendit de grand matin au sépulcre. N'y trouvant plus le corps de Jésus-Christ, elle s'en prend au ciel, à la terre ; elle supplie les anges et les hommes de lui dire où ils ont mis son Sauveur ; parce qu'elle veut le trouver à quel prix que ce soit. Son amour était si ardent que nous pouvons dire qu'il fut impossible à Jésus-Christ de se cacher à elle ; car, elle n'a pensé qu'à lui, elle n'a désiré et n'a voulu que lui ; toutes choses ne lui sont rien ; elle n'a eu ni respect humain, ni crainte d'être méprisée ou raillée ; elle a abandonné tous ses biens, elle a foulé aux pieds les parures et les plaisirs pour courir à la suite de son bien-aimé ; tout le reste ne lui est plus rien.