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  • Il y a 50 ans

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    Il y a 50 ans, le dimanche 3 septembre 1967, Mgr Pierre Boussard, évêque de Vannes, consacrait l’autel et bénissait la chapelle de Notre Dame de Joie, accolée au château de Pontcalec.

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    (Notre Dame de Joie, correspondance de l'abbé Berto, Nouvelles Editions Latines)

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  • Il y a 50 ans (13) : la Purification

    La destruction des matines a conduit, comme dans toute l’année liturgique, à la disparition de la majorité des répons, puisqu’il n’en reste plus que deux dans le soi-disant « office des lectures ». Pour comprendre la perte, voici le dernier répons des matines traditionnelles :

    ℟. Senex Puerum portábat, Puer autem senem regébat : * Quem virgo concépit, virgo péperit, virgo post partum, quem génuit, adorávit.
    . Accípiens Símeon Puerum in mánibus, grátias agens benedíxit Dóminum.
    ℟. Quem virgo concépit, virgo péperit, virgo post partum, quem génuit, adorávit.
    V. Glória Patri, et Fílio, * et Spirítui Sancto.
    ℟. Quem virgo concépit, virgo péperit, virgo post partum, quem génuit, adorávit.

    Le vieillard portait l’enfant, mais l’enfant dirigeait le vieillard. Celui que vierge elle a conçu, que vierge elle a mis au monde, vierge après avoir enfanté, celui qu’elle a engendré, elle l’a adoré. Siméon, prenant l’enfant entre ses mains, bénit Dieu en rendant grâces. Celui que vierge elle a conçu, que vierge elle a mis au monde, vierge après avoir enfanté, celui qu’elle a engendré, elle l’a adoré. Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Celui que vierge elle a conçu, que vierge elle a mis au monde, vierge après avoir enfanté, celui qu’elle a engendré, elle l’a adoré.

    Ce répons a fait l’objet de nombreuses mises en musique par les polyphonistes de la Renaissance, mais il a été jeté à la poubelle par les « rénovateurs ». Même l’antienne Senex Puerum portábat, Puer autem senem regébat, si caractéristique du grand style patristique, a été supprimée, non seulement de l’office, mais aussi de l’Alléluia de la messe.

    La particularité de la fête de la Purification de la Sainte Vierge, qu’ils appellent (mais qu’on pouvait appeler aussi) la Présentation du Seigneur, c’est la bénédiction et la procession des cierges, d’où son nom populaire de chandeleur. Il était difficile de la supprimer complètement. Mais on l’a réduite à sa plus simple expression. Ainsi, il n’y a plus qu’une seule prière de bénédiction des cierges, selon deux formules au choix, dont une… qui ne parle pas de bénédiction. La messe traditionnelle a quatre prières de bénédiction (qui donnent lieu à 7 signes de croix sur les cierges, ce n’est pas par hasard) et une autre oraison avant la distribution des cierges.

    Je ne citerai que la première, véritablement magnifique, mais qui déplaisait aux fabricants de la néo-« liturgie » parce qu’elle est pour eux un de ces exemples de la superstition qu’il fallait extirper (les cierges comme sacramentaux pour la santé du corps et de l’âme), et sans doute aussi parce qu’elle ne loue pas « le travail des hommes » mais celui… des abeilles qui selon l’ordre de Dieu ont fait la cire… Voici donc ce qu’ils ont aussi mis à la poubelle :

    Orémus. Domine sancte, Pater omnípotens, ætérne Deus, qui ómnia ex níhilo creásti, et jussu tuo per ópera apum hunc liquorem ad perfectionem cérei veníre fecísti: et qui hodiérna die petitiónem iusti Simeónis implésti: te humíliter deprecámur; ut has candélas ad usus hóminum et sanitátem córporum et animárum, sive in terra sive in aquis, per invocatiónem tui sanctíssimi nóminis et per intercessiónem beátæ Maríæ semper Vírginis, cuius hódie festa devóte celebrántur, et per preces ómnium Sanctórum tuórum, bene ✠ dícere et sancti ✠ ficáre dignéris: et huius plebis tuæ, quæ illas honorífice in mánibus desíderat portare teque cantando laudare, exáudias voces de cœlo sancto tuo et de sede maiestátis tuæ: et propítius sis ómnibus clamántibus ad te, quos redemísti pretióso Sánguine Fílii tui: Qui tecum vivit et regnat in unitáte Spíritus Sancti Deus per ómnia sǽcula sæculórum.

    Seigneur saint, Père tout-puissant, Dieu éternel, qui de rien avez créé toutes choses, et qui par un ordre donné et au moyen du travail des abeilles, avez fait que cette pâte servit à former ce cierge, c’est vous aussi qui, à pareil jour, avez exaucé la demande du juste Siméon ; nous vous en prions humblement, en invoquant votre saint nom, et par l’intercession de la bienheureuse Marie toujours Vierge, dont nous célébrons aujourd’hui la fête avec dévotion, et par les prières de tous vos Saints, daignez bénir, et rendre saints ces Cierges, pour l’usage des hommes, et pour la santé des corps et des âmes, soit sur la terre, soit sur les eaux ; du ciel, votre sanctuaire, et du trône de votre majesté, exaucez les prières de votre peuple ici présent, lequel désire les porter avec honneur dans ses mains et vous louer par ses chants ; soyez enfin propice à tous ceux qui élèvent leurs voix vers vous, et que vous avez rachetés par le sang précieux de votre Fils, qui étant Dieu vit et règne en l’unité du Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Amen.

    Et la somptueuse antienne Adorna thalamum tuum, Sion, qui est la traduction du début des apostiches des vêpres byzantines, et qui est donc, outre sa beauté intrinsèque, un émouvant témoignage d’unité liturgique, a été supprimé de la procession. Jusque-là a été la fureur des iconoclastes.

    Adórna thálamum tuum, Sion, et súscipe Regem Christum: ampléctere Maríam, quæ est cœléstis porta: ipsa enim portat Regem glóriæ novi lúminis: subsístit Virgo, addúcens mánibus Fílium ante lucíferum génitum: quem accípiens Símeon in ulnas suas, prædicávit pópulis, Dóminum eum esse vitæ et mortis et Salvatórem mundi.

    Orne, ô Sion, ta demeure, et accueille le Christ Roi ; embrasse Marie, qui est la porte du ciel ; car elle tient entre ses bras le Roi de gloire à qui nous devons une lumière nouvelle. La Vierge s’arrête, offrant de ses mains un Fils engendré avant que fût l’astre du jour. Siméon le prenant entre ses bras, annonce aux peuples qu’il est le Maître de la vie et de la mort, et le Sauveur du monde.

    Et bien entendu le répons d’entrée dans l’église (Obtulerunt) a également été supprimé…

  • Il y a 50 ans (2) : le bréviaire

    « Bien que la Liturgia Horarum soit, juridiquement parlant, l’Office autorisé de l’Eglise romaine, elle n’appartient pas à l’Office romain en ce qui concerne son contenu » Laszlo Dobszay, La liturgie Bugnini et la réforme de la réforme, livre dédié au cardinal Ratzinger avec son accord.

    La destruction de la liturgie impliquait la destruction non seulement de la messe, mais aussi de l’office divin.

    Plusieurs innovations venaient directement du texte du concile, hélas : la suppression de l’heure de prime, la « permission » de supprimer deux des trois petites heures, l’« adaptation » des matines afin qu’elles puissent être récitées « à n’importe quelle heure du jour », la répartition du psautier « sur un laps de temps plus long ». Bugnini et sa clique avaient glissé cela dans leur « schéma », et personne n’avait bronché… Au contraire, même, ce sont les pères conciliaires qui ajoutèrent, à propos des matines, qu’elles devaient comporter « un moins grand nombre de psaumes et des lectures plus étendues ».

    C’était la porte ouverte à une destruction de tout l’édifice. Comme disait Bugnini : « Un principe d’évolution progressive s’imposa immédiatement dans la mise en pratique du document conciliaire. »

    Supprimer l’heure de prime, et deux des petites heures, c’était casser la tradition qui s’appuyait sur le psaume : « Sept fois le jour je te dis la louange ». Il n’y avait plus que quatre fois. Et l’on supprimait aussi les matines, qui s’appuyaient sur le psaume : « Au milieu de la nuit je me lève pour te confesser. »

    On avait décrété que l’heure de prime faisait double emploi avec les laudes. Il est ahurissant que des prêtres, des moines, aient osé proférer une telle contre-vérité, aient inventé un tel mensonge pour « justifier » leur démolition. Les deux offices n’ont pas le même objet, n’ont pas la même fonction. La différence est déjà dans leur titres : les laudes, c’est la louange de Dieu. Il est vrai que les laudes avaient été profondément défigurées par saint Pie X. Avant lui, ou toujours dans l’office monastique traditionnel, l’essentiel des laudes c’est la reconnaissance de notre péché (psaume 50) et la louange (psaumes 148-150 et Benedictus), louange « gratuite » de Dieu parce qu’il est Dieu et qu’il est mon univers en ce nouveau matin.

    Prime, c’est la première heure de cette nouvelle journée, prière « utilitaire », en ce que je confie à Dieu tous les actes que j’accomplirai, mon travail de la journée, et que je lui demande de m’aider à agir en lui et pour lui tout au long de cette journée. Ce n’est pas mon interprétation, c’est explicite dans les textes. C’est donc une grave mutilation de l’office que de supprimer Prime. On ne peut pas s’empêcher d’y voir un indice important de l’atmosphère subtilement pélagienne dans laquelle baigne la néo-liturgie : je n’ai pas besoin de Prime parce que je n’ai pas besoin d’un office spécial pour demander à Dieu qu’il m’aide au long de la journée…

    Habilement, Bugnini et sa clique n’avaient pas indiqué sur combien de temps on étalerait le psautier, pour ne pas effrayer les derniers évêques qui éventuellement tenaient encore au bréviaire traditionnel. Après le concile, on décida de l’étaler sur quatre semaines. Il était impossible de l’étaler davantage, car déjà en procédant ainsi on n’a que deux psaumes ou tranches de psaume aux laudes et aux vêpres : quand le psaume est un peu long il n’y en a qu’un, il serait difficile de faire moins…

    Les matines sont devenues un « office des lectures », qui n’a que trois tranches de psaume (au lieu de 9 psaumes depuis saint Pie X, 12 auparavant). L’important ce sont les « lectures ». On confond prière et lectio divina. Surtout, on supprime les matines, c’est-à-dire la prière de la nuit, avec tout ce que cela comportait de grâces spéciales de contemplation, puisque le nouvel office peut être dit n’importe quand dans la journée : quand on trouve le temps, ce qui est assurément un principe liturgique nouveau…

    Pour laudes et vêpres, la réduction drastique des psaumes a conduit, pour meubler, à ajouter des « preces », des prières totalement inventées, dans un latin hasardeux, mais qui était conçu pour être traduit dans les langues vulgaires et non pas récitées telles quelles… (alors que le concile spécifiait que l’office divin devait se dire en latin).

    L’essentiel de l’office divin avait toujours et (presque) partout été le chant des 150 psaumes dans la semaine. Parce que le cycle de sept jours est idéal, et permet de retrouver semaine après semaine les psaumes toujours au même endroit, et de s’appuyer sur la psalmodie pour faire de ce cycle une spirale vers le ciel, de même que le cycle annuel (également cassé par la néo-liturgie) est idéal, permettant de s’appuyer sur l’année liturgique toujours identique pour faire de ce cycle une spirale vers le ciel.

    Non seulement on a mis en miettes les 150 psaumes, mais on en a supprimé trois qui ne plaisaient pas (55, 82, 108, ce dernier étant pourtant cité par saint Pierre en personne dans les Actes des apôtres). Le Saint-Esprit s’était trompé en nous donnant ces textes pour la prière. Et il s’était trompé aussi dans nombre d’autres versets, qui ne correspondent plus à la délicate sensibilité de nos contemporains, et qu’on a donc également supprimés : 123 versets en tout. Telle est l’une des grandes nouveautés de la néo-liturgie : la censure du Saint-Esprit. Sous prétexte que ces « versets imprécatoires » sont irrecevables en notre temps de droits de l’homme, parce qu’ils demandent à Dieu d’exterminer nos ennemis, de les déshonorer, de les anéantir, de massacrer leurs enfants, etc. Alors que toute la tradition a toujours enseigné que c’était le diable qui était visé, et nos démons intérieurs. Mais peut-être est-ce précisément un combat dont on ne veut plus…

    En outre, les longs psaumes 77, 104 et 105, qu’ils appellent « historiques » parce qu’ils n’en comprennent plus le sens mystique, ne sont plus dits que saucissonnés dans l’office des lectures de l’Avent, de Noël, du Carême et de Pâques.

    Quant au sublime psaume 118, il est dispersé façon puzzle de façon à ce qu’il soit impossible d’en reconnaître l’unité.

    Les psaumes sont ainsi répartis sur 112 heures en 28 jours : l’esprit n’a plus aucun repère.

    Il y avait eu un précédent partiel, lorsque saint Pie X avait bouleversé le psautier de fond en comble, tout en gardant les 150 psaumes dans la semaine. Mais il avait cassé l’unité des psaumes 148-149-150. Ces psaumes avaient toujours et partout, en orient comme en occident, constitué une unité insécable, un seul psaume, cela même qui avait donné son nom aux « laudes », mot qui désigne précisément ces trois psaumes dans la liturgie byzantine, et aussi dans la Règle de saint Benoît. Saint Pie X opérait une grave rupture de la tradition liturgique. Or personne ne protesta. Parce qu’il y avait très longtemps que les prêtres n’aimaient plus l’office divin. Il y avait très longtemps qu’ils considéraient comme une corvée, un pensum, ce qu’ils auraient dû considérer, ce qui est, le lieu de la conversation intime avec Dieu. Les heures de plongée dans la vie mystique par l’intermédiaire des psaumes étaient devenues une obligation qu’on remplit par devoir et obéissance. Alors, quand l’autorité a décidé de tout démanteler et de donner un ersatz, on a obéi avec enthousiasme.

     

    Appendice 1

    Ce que dit Bugnini des antiennes est caractéristique de toute la destruction liturgique, et du cynisme avec lequel elle a été menée :

    1) on a utilisé le répertoire existant ou recouru aux sources manuscrites (…). Les antiennes de ce genre ont l’avantage d’être munies de mélodies grégoriennes. Ainsi un double service est rendu, à la liturgie et au chant.

    2) de nouveaux textes ont été composés, quand les textes existants ne correspondaient pas aux critères établis par le Consilium. (..) On a également jugé bon de présenter un autre critère : la possibilité de bien traduire l’antienne en langue vernaculaire.

    Autrement dit :

    1. On a pris soin de prendre de nouvelles antiennes pourvues d’une mélodie grégorienne. 2. Et de composer de nouvelles antiennes qu’on puisse bien traduire. De nouvelles antiennes en langue vulgaire et sans mélodie. Dont l’utilisation implique forcément qu’on traduise aussi les autres et qu’on abandonne donc leur mélodie grégorienne. Et qu’on abandonne par conséquent tout l’office en latin, contrairement à ce qui était stipulé par le texte conciliaire… concocté par la clique de Bugnini.

    En outre, le fait de dire l’office en langue vulgaire (et non plus en latin comme le stipulait expressément le concile) implique que l’on utilise les traductions officielles. Et la traduction française est particulièrement mauvaise. Un seul exemple : il y a plus de 120 fois le mot misericordia dans le psautier latin, et deux fois le mot miséricorde dans le psautier en français (uniquement pour éviter deux répétitions de l’omniprésent « amour »…).

     

    Appendice 2

    Voici ce qu’ils ont fait du psaume 34 :

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  • Il y a 50 ans (3) : Le lectionnaire

    « C’est destiné, à long terme mais inévitablement, à changer la mentalité théologique et la spiritualité même du peuple catholique. » Dom Adrien Nocent, l’un des principaux auteurs de la nouvelle liturgie, et particulièrement du nouveau lectionnaire.

     

    Parmi ceux qui critiquent la nouvelle « liturgie », un certain nombre concèdent que le nouveau lectionnaire est une réussite, parce qu’il permet de faire connaître aux fidèles une beaucoup plus grande quantité de textes de la Sainte Ecriture : le nouveau missel est ainsi beaucoup plus riche que celui de la liturgie traditionnelle.

    C’est une grave erreur. La liturgie n’est pas un office de lectures, mais un sacrifice de louange. Multiplier les lectures dans la liturgie, c’est confondre la liturgie et la lectio divina. Deux choses qui ont toujours été soigneusement distinguées.

    Or le nouveau lectionnaire a une fonction quasi indépendante de l’offrande du sacrifice. D’où les expressions « liturgie de la parole » et « liturgie eucharistique » : deux liturgies mises bout à bout.

    Et pour multiplier les lectures on a inventé un système d’une complication inouïe. La plupart des fidèles ne connaissent que les lectures des dimanches, qui sont sur trois ans – ce qui affaiblit considérablement la notion d’année liturgique, une année qui doit recommencer toujours avec la même liturgie, donc les mêmes textes, comme la nature reprend le rythme immuable des saisons.

    Mais en semaine il y a deux cycles : la première lecture sur deux ans, l’évangile sur un an. Et pour la « liturgie des heures » il y a un cycle sur un an et, en complément, un cycle sur deux ans…

    Cet amoncellement et cette complication ne peuvent cacher que, s’il y a effectivement beaucoup plus de lectures que dans la liturgie traditionnelle, il manque un certain nombre de textes, et que ces absences sont très significatives de la nouvelle orientation qu’on veut donner. De même, de nombreux textes sont au choix en version complète ou en version abrégée, et naturellement tout le monde choisit la version abrégée, celle qui omet des versets gênants…

    Un exemple manifeste est l’évangile du 17e dimanche ordinaire, année A. C’est la triple parabole du trésor dans un champ, de la perle fine, et du filet qui ramène toutes sortes de poissons (Matthieu 13,44-52). Ces trois paraboles forment un tout. Mais la lecture brève ne retient que les deux premières. Parce qu’il faut éviter la fin de la péricope, qui est traumatisante pour nos contemporains, n’est-ce pas : à la fin du monde les anges sépareront les justes des méchants et jetteront ceux-ci dans fournaise, où seront les pleurs et les grincements de dents… Il faut laisser de côté la perspective de l’enfer et le fâcheux refrain évangélique des pleurs et des grincements de dents, puisque nous savons que tout le monde va au paradis…

    Un évangile aussi important que celui où Jésus proclame à la face des juifs : « avant qu’Abraham advînt, Je Suis » (Jean 8,58), qui dans la liturgie traditionnelle est bien à sa place au premier dimanche de la Passion, a été relégué à un jour de semaine.

    Il est ahurissant de constater que la description des quatre Vivants, au premier chapitre d’Ezéchiel, est absente de la nouvelle « liturgie », alors qu’elle est l’une des pages les plus saisissantes de toute la Bible, qu’elle a été l’objet de nombreux commentaires des pères, et qu’elle a inspiré une gigantesque iconographie au long des siècles, particulièrement pour représenter les quatre évangélistes, et qu’elle a toujours fait partie de la liturgie des évangélistes.

    Mais il est carrément stupéfiant que nulle part il n’y ait l’avertissement de saint Paul à ceux qui communient indignement (1 Corinthiens 11,29). L’épître du jeudi saint s’arrête juste avant… Depuis 50 ans, les fidèles qui bénéficient d’une tellement plus grande richesse de l’Ecriture n’ont jamais entendu ceci : « C'est pourquoi quiconque mangera ce pain ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable envers le corps et le sang du Seigneur. Que l'homme s'éprouve donc lui-même, et qu'ainsi il mange de ce pain et boive de ce calice. Car celui qui mange et boit indignement, mange et boit sa condamnation, ne discernant pas le corps du Seigneur. » D’un seul coup on diminue la conscience du péché, la foi en l’eucharistie et le respect dû envers le Corps du Seigneur. Et c’est hélas ce que l’on constate un peu partout…

    L’abondance permet de donner une bien moindre importance aux miracles, alors que le paganisme ambiant demanderait le contraire, comme à l’époque du Christ et des apôtres – mais nombre de clercs (dont les fabricants de la néo-« litrugie ») ne croient plus aux miracles. La proportion de paroles par rapport aux miracles (dimanches A-B-C) est de 81% contre 19%, alors que dans la liturgie traditionnelle elle est de 59% contre 41%.

    La première lecture de la messe est toujours un passage de l’Ancien Testament qui a un rapport avec l’évangile du jour. Cela a été fait de façon très primaire. On souligne un lien de façon univoque, laissant croire aux fidèles que c’est le seul lien qu’on puisse établir - c’est en tout cas celui qu’on leur martèle tous les trois ans – ce qui est un attentat contre l’Ecriture, qui est un réseau inépuisable d’échos, de résonances. Et l’on aggrave encore le phénomène en choisissant pour ce qui remplace le graduel des versets de psaumes qui ont eux aussi un lien, ou dont on fait croire qu’ils ont un lien, car ce lien est souvent artificiel, avec la première lecture. Inutile d’insister sur le fait qu’il s’agit là d’une invention de ceux qui osent se dire les « restaurateurs » de la liturgie et qui n’étaient que de petits professeurs pénétrés du rationalisme contemporain.

    La nécessité de trouver systématiquement des lectures différentes sur trois ans aboutit à des choix aberrants. Ainsi l’évangile de l’Ascension pour l’année A… n’évoque pas l’Ascension. Pour la Pentecôte, année A, c’est pire. L’évangile est celui où Jésus apparaît aux apôtres le soir de Pâques et souffle sur eux en leur disant : « Recevez l’Esprit Saint ». Proclamer cette péricope à la messe de la Pentecôte ne peut qu’engendre de la confusion chez les fidèles. Car à quoi bon la Pentecôte si les apôtres ont déjà reçu le Saint-Esprit ? Dans le missel traditionnel, c’est l’évangile du premier dimanche après Pâques, avec la suite qui est ce qui se passe le dimanche suivant, donc ce dimanche après Pâques (saint Thomas). Et là il est clair que ce don du Saint-Esprit est distinct de celui de la Pentecôte.

    Le fait de remplacer le graduel par de nombreux versets de psaumes fait croire aux fidèles qu’ils ont une vision très large du psautier. Or la censure qui sévit dans la liturgie des heures se retrouve aggravée dans le missel. Ainsi le psaume 34, dont des versets sont chantés huit fois dans la liturgie traditionnelle de la messe, ne se retrouve qu’une fois, dans l’introït du lundi saint (là où l’on dit encore l’introït, c’est-à-dire à peu près nulle part)…

    Les si beaux textes des chapitres 5 et 10 de la Sagesse que la liturgie traditionnelle utilise dans la liturgie des martyrs sont absents du nouveau missel (les versets du chapitre 10 se trouvent comme « cantique » dans deux communs de la liturgie des heures).

    La liturgie traditionnelle fait peu appel aux Actes des apôtres, alors que le nouveau lectionnaire en fait une lecture presque intégrale. Il est intéressant de voir ce qui a été coupé. En l’occurrence ce qui a été censuré. Par exemple les 11 premiers versets du chapitre 5. Alors qu’on lit la fin du chapitre 4 au 2e dimanche de Pâques année B, on lit le chapitre 5 à partir du verset 12 au 2e dimanche de Pâques année C. Ce qui est subtilisé : l’histoire d’Ananie et Saphire, qui tombent raide morts quand saint Pierre leur fait remarquer qu’ils ont subtilisé une partie de l’argent qu’a rapporté la vente d’un champ…

    On remarque aussi une étrange coupure dans l’évangile de la fête de saint Matthias : on lit « Actes des apôtres 1 15-17 20a 20c-26 ». Sic. On a coupé les deux versets 18-19 où saint Pierre raconte le suicide de Judas (c’est trop affreux pour la sensibilité d’aujourd’hui, sans doute), puis on a coupé « 20b », à savoir la citation que fait saint Pierre du psaume 68 : c’est l’un des versets de ce psaume qui ont été censurés dans la liturgie des heures, donc on censure saint Pierre aussi… On le censure deux fois dans ce bref discours de 7 versets.

    On vante le nouveau lectionnaire de faire entendre de nombreux textes de l’Ancien Testament. Mais il y a aussi de nombreux passages de l’Ancien Testament qui sont lus dans la liturgie traditionnelle et qui ont été expurgés dans le nouveau lectionnaire. La plupart parce qu’ils ne correspondent pas au nouveau paradigme tout le monde il est beau tout le monde il est gentil et nous irons tous au paradis. Le Dieu de l’Ancien Testament doit être sévèrement censuré. Ses serviteurs aussi, y compris Jacob (Gen. 27,30-39 ; 49,2-27 sauf la bénédiction de Juda le 17 décembre) et Moïse (Dt 31,24-30). Le livre de Judith est presque entièrement censuré : on trouve seulement la description de Judith veuve pour la « mémoire » de sainte Elisabeth de Hongrie, et un morceau de l’éloge de Judith pour celle de sainte Geneviève (propre de France). Pas question de célébrer ce qu’elle a fait d’Holopherne, c’est trop affreux… Même traitement pour Esther : c’est trop méchant pour les païens… Et c’est autant de prophéties mariales et christiques - autant de beautés aussi - qui passent à la trappe.

    C’est au point que le « jugement de Salomon » (1 Rois 3,16-28) a été supprimé. Dès 1966 un « schéma » déclarait que ce texte « non pertinet ad catechesim quadragesimalem » : n’est pas pertinent pour la catéchèse du carême. La liturgie confondue avec la catéchèse... Mais finalement il ne sera pertinent pour aucune partie de la liturgie… La sensiblerie moderne serait sans doute trop choquée par cet effroyable roi qui demande de couper un bébé en deux… Et voilà comment une des plus belles et plus célèbres pages de la Bible est passée sous silence dans la néo-« liturgie ».

    Le Cantique des cantiques, dont la liturgie traditionnelle fait un abondant usage (d’abord pour la Sainte Vierge, mais pas seulement), a été quasiment expulsé de la néo-« liturgie » (on ne le trouve plus que dans la « mémoire » de sainte Marie Madeleine et l’office des lectures de la Visitation, plus deux fois en option). C’est un exemple tout particulier du mépris des novateurs pour la poésie sacrée, pour l’allégorie qui a nourri toutes les générations de mystiques, mais pas seulement, jusqu’au XXe siècle. Il en est de même des passages de l’Ecclésiastique qui sont en quelque sorte parallèles à ceux du Cantique des cantique.

    Voici les références d’autres textes qui figurent dans la liturgie traditionnelle mais qu’on ne trouve nulle part dans le nouveau misse du dimanche, ni dans les 2.200 pages du nouveau missel de semaine, ni dans les plus de 7.000 pages (sic) de la Liturgia horarum. Il vaut la peine d’y aller voir de près, car les versets censurés illustrent le propos de dom Nocent mis en exergue. Il y a des choses qu’il ne faut pas présenter aux fidèles parce que ce n’est pas conforme à la nouvelle religion.

    Matthieu 21,14-16.

    Jean 7,3-9 ; Jean 11-24, 31-36 ; Jean 8,46-48 ; Jean 12,17-19.

    Romains 12,17-21 ; I Corinthiens 10,7-9 ; II Corinthiens 8,16-24 ;Galates 4,25, 28-30 ; Galates 3,16-21 ; Galates 6,1-10   Ephésiens 4,25-28 ; Philippiens 4,3 ; I Thessaloniciens 2,15-17 ; I Pierre 2,6-8 ; I Pierre 2,11-19 ; I Pierre 4,17-19 ; 2 Thessaloniciens 2,3-8 ; Hébreux 1,7-12 ; Apocalypse 7,5-8.

    Et de la magnifique allégorie de la « femme forte », qui termine le livre des Proverbes, et qu’on lit sans doute un peu trop souvent dans la liturgie traditionnelle, il ne reste que trois pauvres petits lambeaux.

    Sans parler des textes qui ne figurent que dans des choix optionnels. Et il conviendrait de compléter le tableau avec des textes qui ne figuraient pas dans la liturgie traditionnelle mais qui ont été insérés dans le nouveau lectionnaire avec des coupures…

    • Ce texte doit beaucoup aux études de Peter Kwasniewski parues sur les sites Rorate Caeli et New Liturgical Movement, et dans le recueil « Liturgy in the twenty-first century ».
  • Il y a 50 ans (14) : la Septuagésime

    Delenda est Carthago, disait Caton. Abolendum est tempus Septuagesimae, décidèrent les experts. Dès le 15 mars 1965 ils édictèrent :

    « Abolendum est tempus Septuagesimae. Non ad vanam archeologiam, sed ut fideles bene videant progressionem anni liturgici et non disturbantur per diversas “anticipationes. »

    « Le temps de la Septuagésime doit être aboli. Non par vain archéologisme (sic), mais pour que les fidèles voient bien la progression de l’année liturgique et ne soient pas troublés par diverses “anticipations”. »

    Le chef Bugnini écrira ensuite : « L’opinion prévalut qu’il devait y avoir une simplification. Il n’était pas possible de restaurer (sic) le Carême dans toute son importance sans sacrifier la Septuagésime, qui est une extension du Carême. »

    Il y avait eu une hésitation, cependant : parce que nos « frères séparés » (en l’occurrence les luthériens, anglicans, épiscopaliens…) n’avaient pas l’intention d’abolir la Septuagésime… Mais au diable l’œcuménisme quand il s’agit de détruire ce temps qui, disait dom Guéranger, « forme une des divisions principales de l'Année liturgique ».

    La véritable raison de l’impérieuse nécessité de supprimer la Septuagésime (qui existait déjà au temps de saint Grégoire le Grand) était que ce temps était un temps de pénitence. Et qu’il fallait supprimer l’idée même de pénitence, d’ascèse, de mortification. On ne pouvait quand même pas supprimer le Carême : on supprima néanmoins tout ce qui pouvait faire référence au jeûne. C’était l’essentiel. Et de ce fait la Septuagésime faisait double emploi.

    Car la raison d’être de la Septuagésime est de préparer le fidèle à l’épreuve du Carême. Une préparation psychologique, et même physique, est nécessaire, pour affronter les 40 jours de jeûne. Certains critiques de la néo-« liturgie » ont dit que les réformateurs avaient fait fi des mécanismes et des ressorts de la psychologie humaine, que l’Eglise en sa tradition avait su respecter et mettre en œuvre. Mais ce n’est pas le cas. Puisqu’on supprimait la réalité physique et psychologique du Carême, sa préparation n’avait plus aucune raison d’être.

    Sur le plan liturgique, c’est le violet de pénitence des ornements, la suppression du Gloria à la messe, et de tous les alléluias. Et à l’épître saint Paul nous prévient que nous allons entreprendre une course de fond, et les coureurs du stade, pour emporter le prix, « se privent de tout ».

    Les oraisons de ces dimanches visent également à préparer le fidèle à la pénitence quadragésimale. La collecte de la Septuagésime dit :

    Preces populi tui, quaesumus, Domine, clementer exaudi : ut qui
    juste pro peccatis nostris affligimur pro tui nominis gloria misericorditer
    liberemur.

    Les prières de ton peuple, nous te le demandons, Seigneur, exauce-les avec clémence ; afin que, nous qui
    très justement pour nos péchés
    sommes affligés, pour la gloire de ton nom miséricordieusement
    nous soyons  libérés.

    Cette traduction littérale permet au non-latiniste de voir la construction en chiasme de la demande, autour du mot central : affligimur : nous sommes affligés. « Pour la gloire de ton nom » répond à « pour nos péchés », et « miséricordieusement », à la fin, répond à « justement », placé au début. La justice veut que nos péchés nous affligent, la miséricorde veut que, pour ta gloire, nous en soyons délivrés.

    C’est à l’évidence un chef-d’œuvre de la liturgie latine. Mais il fallait le mettre à la poubelle, parce qu’il n’est pas du tout adapté à la « mentalité contemporaine ». On remarque à cette occasion que dans le néo-missel il n’y a aucune oraison où l’on reconnaisse être affligé par le péché ou par la pénitence.

    La suppression de la Septuagésime supprime aussi tout un pan du symbolisme de l’année liturgique.

    Le nom exact du dimanche de la Septuagésime est dominica in septuagesima : c’est le dimanche dans la semaine des 70 jours avant Pâques. Il y aura ensuite le dimanche dans les 60 jours, puis le dimanche dans les 50 jours, et le dimanche suivant sera le premier dimanche dans les 40 jours : le premier dimanche de Carême (quadragesima).

    Le chiffre 70 fait référence aux 70 ans de la captivité du peuple juif à Babylone. Babylone symbolise le monde dans lequel nous vivons, marqué par le péché, et dans lequel nous sommes en exil. Par opposition à Jérusalem, qui symbolise le monde de la grâce, dans lequel nous introduira le mystère de Pâques. Et le chiffre 7, qui était multiplié par 10 pour indiquer la durée de la malédiction, sera multiplié par lui-même (7 au carré, ce qui indique un changement de plan), après Pâques, pour aboutir à la Pentecôte (mot grec qui signifie cinquantième). Ce sont les 7 semaines entre la sortie d’Egypte et la révélation du Sinaï : 7 x 7 = 49, à quoi s’ajoute le 1 de l’éternité divine du lendemain des 7 semaines.

    Les 70 ans de la captivité symbolisent toute l’histoire humaine, les 7 âges de l’humanité selon l’Ecriture : d'Adam à Noé ; de Noé à Abraham ; d’Abraham à Moïse ; de Moïse à David ; de David à la captivité de Babylone ; du retour de la captivité à Jésus-Christ ; de la Résurrection à la fin du temps.

    C’est pourquoi à la Septuagésime la liturgie traditionnelle commence à lire la Genèse : la création et la chute. A la Sexagésime le récit en arrive au Déluge. A la Quinquagésime au sacrifice d’Abraham. Toute l’histoire de l’humanité va se dérouler liturgiquement, depuis la fondation du monde jusqu’à l’événement refondateur, le centre de l’histoire, la Résurrection.

    Alors les 40 jours de peine vont par retournement devenir 40 jours de joie, jusqu’à l’Ascension.

  • Il y a 50 ans (10) : Noël

    Naguère tout le monde savait, même les incroyants, qu’à Noël il y a une messe de minuit. Cela aussi a été supprimé. Pas officiellement, mais dans les faits, comme tant d’autres choses. On a gardé la même dénomination, « missa in nocte », messe de la nuit, mais avant la révolution liturgique les textes précisaient que cette messe commençait « in media nocte », à minuit, parce que c’était traditionnellement l’heure de la naissance du Sauveur. Il suffit de ne plus le préciser, et « in nocte », c’est n’importe quand. Comme il fait nuit très tôt le 24 décembre, on voit des « messes de la nuit » célébrées à 18h, voire 17h. Ce qui permet bien sûr de réveillonner à une heure bourgeoise, et de ne pas subir les affres de dom Balaguère… Ce que les soi-disant restaurateurs de la liturgie ne vous disent pas, c’est que si l’on voulait restaurer l’heure de la première messe de Noël comme aux premiers siècles il aurait fallu la programmer dans la deuxième partie de la nuit, puisqu’on l’appelait « in galli cantu », au chant du coq, mais bien avant la fin de la nuit puisque la messe suivante était célébrée « in primo mane », à la première lueur du jour. Alors adieu le réveillon…

    La messe continua de s’appeler « in galli cantu » dans les missels alors qu’elle avait été depuis longtemps fixée à minuit, pour des raisons symboliques évidentes : c’est au milieu de la plus profonde nuit de l’année que surgit la lumière divine.

    La liturgie attend le dimanche dans l’octave pour le souligner, par l’introït de la messe, avec une autre image : celle du Verbe de Dieu qui descend au milieu du plus grand silence :

    Dum médium siléntium tenérent ómnia, et nox in suo cursu médium iter háberet, omnípotens Sermo tuus, Dómine, de cælis a regálibus sédibus venit.

    Tandis que tout se tenait au milieu du silence, et que la nuit, dans sa course, était au milieu de son chemin, ta parole toute-puissante, Seigneur, vint des cieux, du trône royal.

    Ce texte est d’autant plus saisissant que dans le livre de la Sagesse il évoque… l’ange exterminateur qui vient tuer tous les premiers nés de l’Egypte…

    Ce stupéfiant introït a été renvoyé par les destructeurs de la liturgie au deuxième dimanche après Noël. Pour ceux qui par hasard continueraient à chanter un « chant d’entrée » qui soit celui des livres officiels. Mais en faisant cela ils savaient qu’en fait même là où ce serait le cas il disparaitrait : le deuxième dimanche après Noël est, dans leur calendrier, celui de la célébration de l’Epiphanie partout où elle n’est pas un jour férié. Ainsi les missels en français ne le donnent même pas.

    La parole dont parle cet introït est le Verbe qui se fait homme. A la messe de minuit il nous dit : « Le Seigneur m’a dit : tu es mon fils, aujourd’hui je t’ai engendré ». Dóminus dixit ad me: Fílius meus es tu, ego hódie génui te. L’engendrement du Fils dans le jour éternel devient l’engendrement dans la chair. Telle est la descente du Verbe tout-puissant qui se fait enfant dans la crèche. Ce verset extraordinaire du psaume 2, rendu plus extraordinaire encore par sa sublime mélodie grégorienne, est devenu facultatif dans la néo-« liturgie », c’est-à-dire qu’il a disparu. On l’a remplacé par un chant qui commence par « Tous ensemble ». Sic. Il semble que ce soit la « traduction » de Gaudeamus omnes in Domino… (Chant d’entrée lui-même facultatif, d’ailleurs, puisqu’en fait on chante ce que décide l’« équipe d’animation liturgique ».) Et en prime on supprime la saisissante prophétie christique que constitue ce verset. (On l’a aussi supprimé de ce qui était l’office des matines, où il était la première antienne. On l’a remplacé par « Le Christ nous est né »…)

    *

    Messe de minuit traditionnelle :

    Deus, qui hanc sacratíssimam noctem veri lúminis fecísti illustratióne claréscere : da, quǽsumus ; ut, cujus lucis mystéria in terra cognóvimus, ejus quoque gáudiis in cælo perfruámur.

    Néo-messe de la nuit :

    Deus, qui hanc sacratissimam noctem veri luminis fecisti illustratione clarescere, da, quaesumus, ut cuius in terra mysteria lucis agnovimus, eius quoque gaudiis perfruamur in caelo.

    La collecte de la messe de minuit a subi trois modifications. Deux sont des interversions de mots dont on ne voit pas l’utilité, sinon de montrer qu’il faut tout changer et qu’on connaît mieux l’ordre des mots latins que les Romains. La troisième est un changement qui paraît anodin mais qui ne l’est pas. Le verbe cognovimus est devenu agnovimus. Seul le préfixe change. Mais il y a plus qu’une nuance.

    D’abord il convient de souligner qu’on ne trouve « agnovimus » dans aucun ancien manuscrit liturgique (alors que les « restaurateurs » prétendent rétablir la pureté originelle des oraisons).

    Mais surtout, agnosco est un verbe plus faible que cognosco. Agnosco, c’est ad-gnosco, c’est percevoir, reconnaître, de l’extérieur. Alors que cognosco, c’est con-gnosco, connaître, par une connaissance intime, intérieure. La nouvelle collecte dit que nous appréhendons le mystère de la lumière, l’ancienne dit qu’en cette très sainte nuit nous le connaissons. Contrairement au monde qui ne l’a pas connu, comme dit le prologue de saint Jean : l’allusion disparaît si l’on utilise agnosco.

    Cela dit, pour ce qui est de l’espace francophone, cette analyse est dépourvue de tout intérêt, puisque de toute façon dans la « traduction » française « agnovimus » paraît être rendu par « illuminés ». Sic.

    *

    A la messe du jour de Noël, on a carrément remplacé la collecte traditionnelle : elle était intolérable pour la « mentalité contemporaine », puisqu’elle parlait de l’esclavage du péché :

    Concéde, quǽsumus, omnípotens Deus : ut nos Unigéniti tui nova per carnem Natívitas líberet ; quos sub peccáti iugo vetústa sérvitus tenet. Per eúndem Dóminum.

    Nous vous en prions, Dieu tout puissant, que votre Fils éternel, par sa nouvelle naissance en notre chair, vienne nous délivrer de l’ancien esclavage qui nous maintient sous le joug du péché.

    La « mentalité contemporaine » ne supporte pas ce langage de vérité, qui fait pourtant prendre pleinement conscience de l’authentique réalité de la « bonne nouvelle ».

    On l’a remplacée par la prière d’offertoire du missel traditionnel que dit le prêtre quand il verse une goutte d’eau dans le calice pour la mélanger au vin : « Deus, qui humánae substántiae dignitátem… » (sans la mention de « ce mystère de l’eau et du vin »). C’est assurément une magnifique prière, et ce fut effectivement une collecte de Noël avant saint Grégoire le Grand. Mais quand on célèbre la messe traditionnelle on la dit tous les jours… et même trois fois à Noël… Ce fut un trait de génie (ambrosien, semble-t-il) de lui donner ce rôle à l’offertoire, et une belle décision de saint Pie V de la maintenir (elle ne paraissait pas très répandue dans les missels romains).

    Deus, qui humánæ substántiæ dignitátem mirabíliter condidísti, et mirabílius reformásti : da nobis per hújus aquæ et vini mystérium, eius divinitátis esse consórtes, qui humanitátis nostræ fíeri dignátus est párticeps, jesus Christus Fílius tuus Dóminus noster : Qui tecum vivit et regnat in unitáte Spíritus Sancti Deus : per ómnia sǽcula sæculórum. Amen.

    O Dieu, Toi qui a admirablement fondé la dignité de la nature humaine et l'a restaurée plus admirablement encore, donne-nous par le mystère de l'eau mêlée au vin de prendre part à la divinité de Celui Qui a daigné partager notre humanité, Jésus Christ, Ton Fils, notre Seigneur. Qui vit et règne avec Toi dans l'unité du Saint Esprit, Dieu dans tous les siècles des siècles. Amen.

  • Il y a 50 ans (1) : la messe

    Il y a 50 ans fut commis le plus grave attentat de l’histoire contre l’Eglise catholique. Et cet attentat fut perpétré par un pape.

    Il y a 50 ans, le premier dimanche de l’Avent 1969, Paul VI mettait à la poubelle la liturgie latine multiséculaire, la liturgie immémoriale de l’Eglise de Rome, pour la remplacer par un ersatz concocté par des « experts ». Le but était de rendre la messe plus attrayante et plus accessible, et donc d’enrayer, et d’inverser, l’érosion de la pratique. Le résultat a été très brillant, comme on le sait : il y a aujourd’hui 1,8% des Français qui vont à la messe le dimanche.

    Il y a 50 ans, Paul VI imposait sa néo-« liturgie » de façon dictatoriale et tyrannique au nom de « l’obéissance au Concile », qui se déclinait en « obéissance aux évêques » chargés de veiller à ce que disparaisse la liturgie authentique de l’Eglise de Rome, au prix d’une implacable persécution de ceux qui oseraient résister.

    Or tout cela reposait sur un mensonge. Le Concile n’avait absolument pas demandé un tel bouleversement. Il suffit de lire la Constitution Sacrosanctum Concilium pour le voir très clairement. Ou, pour prendre un exemple précis, la présentation du « nouvel Ordo Missae » par le « R. P. Annibale Bugnini, secrétaire du Conseil pour l’application de la Constitution sur la liturgie ». Le « nouvel ordo missae » dont on parle ici est celui de… 1965, et parmi ses rares nouveautés il y a la suppression du psaume 42 au début de la messe. Mais pas de l’antienne « Introibo ad altare Dei ». Car, dit Bugnini, « il serait vraiment déplaisant que dans la restauration finale cette petite perle ait disparu de l’Ordo Missæ ». Mais la « restauration finale » (sic) fut suivie de la destruction finale et de la suppression de l’antienne, par le même Bugnini (que Paul VI fera archevêque trois ans plus tard), et de tout l’ordonnancement du début de la messe. Et la suppression de tous les chants propres (ceux du « graduel »), puisqu’on pouvait les remplacer par des « chants appropriés », et c’est ce que l’on fit puisque la suppression du latin rendait impossible le chant du propre. Telle est la frénésie de la destruction révolutionnaire, selon un schéma toujours identique.

    Le mensonge de Paul VI éclatait quand dans la suite du même discours du 26 novembre 1969 il soulignait que la « langue courante » devenait « la langue principale » de la messe. Or « le Concile » avait stipulé exactement le contraire : le latin demeurait la langue principale.

    Cette nouveauté-là achevait la destruction de la liturgie. Car si la messe est en « langue courante », tout le patrimoine grégorien, ces centaines de chefs-d’œuvre de l’art occidental, disparaît, alors que « le Concile » soulignait que le chant grégorien devait conserver « la première place ».

    La conjonction de la dispersion façon puzzle, tous azimuts, des diverses pièces des messes et des oraisons charcutées, défigurées, abondamment saupoudrées de pièces nouvelles, et de la disparition du « chant propre de la liturgie romaine » (comme dit « le Concile »), aurait dû susciter une immense réaction de la part des évêques, des prêtres et des fidèles. Surtout des clercs, qui voyaient en même temps détruit leur bréviaire. Ils auraient dû hurler qu’on les écorchait vifs, qu’on leur arrachait le cœur. Mais non. Les réactions furent très limitées. Pour deux raisons.

    La première est que la grande majorité des prêtres étaient indifférents à la liturgie, depuis très longtemps. Une messe qu’on pouvait dire en 11 minutes chrono, c’était très bien (c’était encore trop, puisque la majorité d’entre eux, chez nous, ne la dit pas en semaine). Et peu importe qu’on profite de ce rabougrissement pour estomper le côté sacrificiel de la messe. Et peu importe que la traduction empire cette perte, le sommet étant atteint quand « pour la gloire de Dieu et le salut du monde » est censé traduire : « Suscipiat Dominus sacrificium de manibus tuis ad laudem et gloriam nominis sui, ad utilitatem quoque nostram totiusque Ecclesiae suae sanctae »… Et puis un petit ersatz de bréviaire c’est bien suffisant pour des prêtres qui considéraient ce colloque intime avec le Seigneur comme un pensum…

    La seconde est que depuis Pie IX et Vatican I l’Eglise était une caserne où la principale vertu était d’obéir au pape, lequel était opportunément infaillible (la constitution Pastor æternus décrit l’Eglise comme étant le pape, revêtu de l’infaillibilité, gouvernant des évêques).

    Il était donc certain qu’une impitoyable persécution des quelques réfractaires allait faire disparaître rapidement la liturgie latine. Mais les révolutionnaires ont perdu. Car la liturgie, par décret divin, devait demeurer. Dans de rares oasis, certes, mais elle ne disparaîtrait pas, et peu à peu elle recommencerait à se diffuser. Et même en dehors du ghetto où l’on avait fini par la tolérer. Et il y aurait un pape, en 2007, pour contredire frontalement Paul VI en affirmant qu’elle n’avait jamais été interdite, et en permettant à tout prêtre de célébrer cette messe qui, soulignait-il, était digne de vénération et avait pleinement droit de cité…

    Honneur à tous ceux qui ont résisté à l’arbitraire impie de Paul VI. Honneur à ces prêtres qui ont sauvé la liturgie latine alors qu’ils étaient ultraminoritaires, isolés, méprisés, persécutés. Je pense à mon père spirituel qui était le seul moine de son abbaye à avoir voulu garder la messe authentique, et qui devait la célébrer dans la crypte, sans autre assistance qu’un servant qui répétait à voix basse : « Obéissance ! Obéissance ! »

    Honneur à Benoît XVI qui a mis fin à cette terrible injustice, et qui n’a pas craint d’acquitter purement et simplement tous les coupables de désobéissance envers son prédécesseur, décrétant que tout prêtre avait le droit de célébrer selon l’ancien missel.

  • Il y a 50 ans (22) : la Pentecôte

    Le tripatouillage de la liturgie par les novateurs accapare tellement l’attention sur ce qu’ils ont osé inventer en prétendant la « restaurer » qu’on ne voit pas, du moins dans un premier temps, ce qu’ils ont supprimé dans les textes. La collecte de la Pentecôte, dans le nouveau missel, contient cependant deux mots qui se rappellent à notre bon souvenir : « hodierna die ». Aujourd’hui. La collecte traditionnelle de l’Epiphanie dit : « hodierna die ». La collecte traditionnelle de Pâques dit : « hodierna die ». La collecte traditionnelle de l’Ascension dit : « hodierna die ». La collecte traditionnelle de la Pentecôte dit : « hodierna die ». Ces collectes parlent de ce qui se passe, non pas il y a 2000 ans, mais aujourd’hui. Ce jour même.

    La collecte du nouveau missel attire l’attention aussi parce qu’elle ne nous dit pas ce qui se passe aujourd’hui, en ce jour de la Pentecôte où nous recevons le Saint-Esprit en compagnie des apôtres et de la Mère de Dieu, alors qu’elle a pourtant « hodierna die ». C’est qu’elle parle du mystère « de la fête d’aujourd’hui ». Le sens n’est pas du tout le même. La fête d’aujourd’hui, c’est la fête de la Pentecôte. Mais quand la collecte traditionnelle dit « aujourd’hui », c’est pour souligner que, aujourd’hui, en ce jour du 31 mai 2020, Dieu « enseigne nos cœurs par l’illumination du Saint-Esprit ».

    C’est pourquoi aux grandes fêtes qui sont la célébration des principaux mystères, l’Eglise dit « hodierna die ». La nuit de Noël, c’est même très précisément « cette nuit très sainte ». Ce qui renvoie à l’autre nuit, celle de la Vigile pascale, cette « bienheureuse nuit », « vere beata nox », si longuement chantée à l’Exultet. La liturgie ne rappelle pas seulement des mystères, elle ne chante pas seulement les mystères, elle les fait vivre, elle en est l’actualisation, de même que le saint sacrifice est l’actualisation du mystère de la Croix.

    Et voilà ce que les novateurs ont supprimé de la liturgie, parce qu’ils ne le comprenaient plus. Ou, pire, parce qu’ils pensaient que les fidèles d’aujourd’hui ne pouvaient plus le comprendre…

    (Très curieusement, la traduction française officielle de cette oraison commence par « Aujourd’hui (…) tu sanctifies… ». Est-ce qu’on a voulu « corriger » le texte latin ?)

    La collecte du nouveau missel est une ancienne oraison qui, par on ne sait quel miracle, n’a pas été torturée, mais… elle n’a jamais été assignée au jour de la Pentecôte. C’est pourquoi son « hodierna die » se rapporte à la fête, et non directement au mystère : dans les anciens sacramentaires, elle est assignée à la vigile ou à une messe de l’octave. A la vigile, on anticipe la fête, et les jours de l’octave, on poursuit la fête. On peut continuer de chanter « hodierna die » les jours de l’octave qui sont la continuation du jour de la fête, mais l’oraison qui parle du jour de la fête est insuffisante pour le jour même.

    Certes, alors qu’on prétendait enrichir la liturgie, on ne pouvait pas assigner cette oraison à un jour de l’octave, pour la bonne raison qu’on a supprimé l’octave (et donc les oraisons et antiennes propres de l’octave). C’est une des décisions les plus effarantes des fabricants de la néo-liturgie. Le lundi de Pentecôte, les byzantins célèbrent le Saint-Esprit, puis ils poursuivent toute la semaine dans la lumière du mystère. Dans la néo-liturgie, le lendemain de la Pentecôte est un jour ordinaire. Quand on n’est pas au courant et qu’on croit aller à une messe qui va continuer de célébrer la Pentecôte, c’est un énorme choc : je l’ai vécu personnellement quand je suis revenu à la foi.

    Il paraît que ce fut un choc aussi pour… Paul VI, à en croire le cardinal Jacques Martin, qui raconta plusieurs fois l’anecdote. Le lendemain de la Pentecôte de 1970, Mgr Martin, alors préfet de la Maison pontificale, avait préparé comme chaque matin les ornements pour la messe du pape. Lorsque Paul VI vit les ornements verts il lui dit : « Mais ce sont des ornements rouges, aujourd’hui, c’est le lundi de Pentecôte, c’est l’octave de la Pentecôte ! ». Mgr Martin lui répondit : « Mais, Très Saint Père, il n’y a plus d’octave de la Pentecôte ! » Paul VI : « Comment, il n’y a plus d’octave de la Pentecôte ? Et qui a décidé cela ? » Mgr Martin : « C’est vous, Très Saint Père, qui avez signé sa suppression. »

    Naturellement, quand le gouvernement a décidé que l’on devait travailler le « lundi de Pentecôte », les évêques n’ont rien pu dire : depuis 1970 il n’y avait plus de « lundi de Pentecôte ». L’expression était devenue une exclusivité syndicale de défense d’un jour férié.

    Telle était la situation jusqu’à 2018. Car François a inventé pour le lendemain de la Pentecôte une fête de la Sainte Vierge Mère de l’Eglise. Histoire d’enfoncer le clou, surtout au moment où se répand la messe traditionnelle : on ne reviendra pas sur la suppression de l’octave de la Pentecôte…

    *

    Ils ont du reste supprimé… tout le temps après la Pentecôte. Dans le nouveau calendrier, tout ce qui n’a pas été retenu comme jour de fête ou période particulière (Avent, Noël, Carême, temps pascal) est « temps ordinaire », ce qui commence donc avant la mi-janvier, jusqu’au carême, et reprend après la Pentecôte. La dynamique de l’année liturgique est cassée. Il n’y a plus cette suite numérotée des dimanches après l’Epiphanie, et surtout des dimanches après la Pentecôte qui peu à peu nous amène à la fin du monde, soulignant que l’année liturgique est un cycle complet qui figure toute l’histoire du salut, toute l’histoire de l’humanité. Chez les byzantins aussi, il y a les « semaines après la Pentecôte », chacune avec son numéro, et le cycle se double de « semaines après la Croix », pour les évangiles, à partir de la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix. Au VIIe siècle, à Rome, il y avait d’abord les dimanches avant et après la fête des apôtres (29 juin), numérotés, série interrompue par des dimanches avant et après la grande fête de saint Laurent. En certains lieux, notamment en Allemagne, on comptait les dimanches « après la Trinité ». Mais l’idée était toujours que l’année liturgique était une marche, qu’elle allait toujours de l’avant, ce qui n’existe plus dans le nouveau calendrier.

    J’arrête ici mes aperçus sur la réforme liturgique. Il serait fastidieux de commenter des « dimanches ordinaires » déconnectés du grand cortège de la liturgie traditionnelle. Les « principes » donnés dès le début ont été appliqués partout. Aussi sur ce dont je n’ai pas parlé, bien sûr. Par exemple les préfaces. La néo-liturgie a multiplié les préfaces. En soit cela paraît une bonne initiative, car saint Pie V avait été très chiche… Mais les nouvelles préfaces, soi-disant prises dans d’anciens sacramentaires (et dans les livres gallicans du XVIIIe siècle, qui préfiguraient la réforme du XXe) au motif que c’était dommage de ne pas profiter de tant de merveilles, sont des fabrications modernes à partir de ces anciens textes. Et l’ineffable dom Antoine Dumas, toujours lui, expliquait que, puisque ces textes d’une « vénérable tradition » devaient être « traduits dans les langues modernes et adaptés à la mentalité moderne », très peu d’entre eux pouvaient être retenus tels quels : ils nécessitaient « de nombreuses coupures, et un patient travail de centonisation ». Car, « reproduits dans leur forme originelle, ils auraient été insupportables, sinon fautifs ». Sic.

    Telle est l’impiété générale qui a régné sur la fabrication de la néo-liturgie, et c’est peut-être ce qu’il faut retenir d’abord : la « restauration » de la liturgie par le retour aux sources était un prétexte à l’élaboration d’une liturgie « adaptée à la mentalité moderne ». Donc le contraire d’une liturgie.

    Il faut donc y regarder à deux fois avant d’utiliser les préfaces dont Rome vient de permettre l’utilisation dans la forme extraordinaire…

  • Il y a 50 ans (16) : le carême (2)

    Dès la « prière sur les offrandes » du mercredi des Cendres, apparaît ce qui est une constante de la « réforme liturgique » : la valorisation des actes humains au détriment du rôle de la grâce, jusqu’à un néo-pélagianisme qui pour être implicite n’en est pas moins prégnant, comme on l’a vu dès l’Avent.

    Cette oraison est aussi un exemple de la tambouille des experts : on a pris le début d’une secrète du sacramentaire gélasien, et la fin d’une préface du sacramentaire ambrosien de Bergame. Puis on a dénaturé la secrète gélasienne, en lui donnant une tonalité pélagienne. Et enfin on y a accolé une expression de la préface ambrosienne en prenant soin de supprimer tout ce qui précédait et qui était une forte affirmation de la primauté de la grâce.

    Voici le résultat :

    Sacrificium quadragesimalis initii sollemniter immolamus, te, Domine, deprecantes, ut per paenitentiae caritatisque labores a noxiis voluptatibus temperemus, et a peccatis mundati, ad celebrandam Filii tui passionem mereamur esse devoti.

    Nous immolons solennellement le sacrifice du début du carême, te priant, Seigneur, que par les labeurs de la pénitence et de la charité nous nous abstenions des voluptés coupables et que, purifiés du péché, nous méritions d’être zélés à célébrer la Passion de ton Fils.

    De l’oraison gélasienne on a supprimé « epularum restrictione carnalium », la restriction de viande, afin de gommer ce qui a trait au jeûne corporel. L’abstinence est remplacée par les labeurs de pénitence et de charité, que chacun interprète comme il veut, et qui modifie le sens de la prière. Mais surtout on a supprimé tout ce qui dans la préface ambrosienne reconnaît que c’est la grâce de Dieu qui nous permet de bien agir, qui nous accompagne avant et après l’action, qui confère l’efficacité de notre action, et in fine que c’est Dieu qui nous rendra capables de célébrer avec zèle la Passion, et non nos mérites…

    Voici le texte latin et une traduction littérale.

    Vere dignus . . . aeterne Deus, cuius nos misericordia praevenit ut bene agamus subsequitur ne frustra agamus, accendit intentionem qua ad bona opera peragenda inardescamus tribuit efficaciam qua haec ad perfectum perducere valeamus. Tuam ergo clementiam indefessis vocibus obsecramus, ut nos ieiunii victimis, a peccatis mundatos, ad celebrandam unigeniti filii tui domini nostri passionem facias esse devotos, per quem maiestatem.

    … Dieu éternel, dont la miséricorde vient au-devant de nous afin que nous agissions bien, nous suit afin nous n’agissions pas en vain, embrase notre intention par laquelle nous soyons enflammés à accomplir des œuvres bonnes, confère l’efficacité par laquelle nous puissions être capables de les accomplir. Nous supplions donc ta clémence, inlassablement, que tu fasses que, purifiés de nos péchés par les sacrifices du jeûne, nous soyons zélés à célébrer la Passion de ton Fils notre Seigneur.

    Cette « prière sur les offrandes » du mercredi des Cendres est une de celles dont Antoine Dumas était le plus fier. Une des 11 qu’il cite en exemple dans son opuscule.

    Une autre est la « prière sur les offrandes » du troisième dimanche de Carême, qui est un tripatouillage de la secrète du samedi de la deuxième semaine de Carême (autrement dit, de la veille, dans le missel traditionnel…). L’oraison traditionnelle dit :

    His sacrificiis, Domine, concede placatus, ut, qui propriis oramus absolvi delictis, non gravemur externis.

    Apaisé par ce sacrifice, faites, Seigneur, que, nous qui prions d’être absous de nos propres fautes, nous ne soyons pas chargés de celles d’autrui.

    On remarque la construction de la demande en chiasme, avec au centre le mot delictis, et aux extrémités propriis et externis. Parallélisme en contraste renforcé par les verbes absolvi et gravemur.

    Antoine Dumas et ses complices ont cassé le chiasme, et ont pondu ceci :

    His sacrificiis, Domine, concede placatus, ut, qui propriis oramus absolvi delictis, fraterna dimittere studeamus.

    Apaisé par ce sacrifice, fais, Seigneur, que, nous qui prions d’être absous de nos propres fautes, nous nous efforcions de pardonner celles de nos frères.

    L’oraison, explique Dumas, « change l’expression : non gravemur externis, difficilement compréhensible, en : fraterna dimittere studeamus, décidément plus évangélique ».

    Or l’expression supprimée est une citation du psaume 18, et elle est compréhensible par tous les pécheurs (mes péchés me suffisent amplement, épargne-moi ceux des autres…). Et elle est remplacée par une expression qui sort de nulle part, mais qu’on est censé trouver « décidément plus évangélique »…

    Parmi les 11 oraisons que dom Antoine Dumas donne en exemple dans son opuscule, ces deux-là sont les seules où l’on trouve un mot pouvant indiquer que la vie chrétienne n’est pas toujours facile. C’est labores (les labeurs) dans la première, studeamus (nous nous efforçons) dans la seconde. Le moins qu’on puisse dire est que ces deux mots n’évoquent pas de graves difficultés… Mais ce sont les seuls. Tout le reste est « une présentation de la vie chrétienne dans laquelle rien ne menace le bien-être en Christ ou ne jette une ombre quelconque », souligne Lauren Pristas dans un article de The Thomist sur le nouveau missel. Quand les oraisons reprennent des oraisons traditionnelles, « toutes les difficultés réelles ou potentielles de la vie chrétienne citées dans les textes sources ont été supprimées ». Notamment « les dangers spirituels posés par les péchés des non-chrétiens, les attaques diaboliques, la fragilité humaine, les séductions du monde et les désirs désordonnés ».

    Est-ce vraiment évangélique ?

    Lauren Pristas ajoute : « La suppression de toute mention de ce qui présente des dangers pour le bien-être spirituel inclut la pratique de modifier les textes afin qu'ils présentent les choses de ce monde sous un jour neutre ou tout à fait positif. Dumas, dans sa discussion de “terrena despicere et amare caelestia” [cf. Il y a 50 ans 5], identifie “la mentalité moderne et les directives de Vatican II” comme les deux raisons des révisions de ce genre. Nulle part dans son essai, cependant, il ne mentionne explicitement les directives du Concile ou les aspects de la mentalité moderne qu'il juge devoir exiger de telles révisions. »

    La fabrication de la nouvelle collecte du quatrième dimanche de Carême est également très significative. On a pris la première partie d’une oraison du sacramentaire Gelasianus Vetus pour le mercredi de la deuxième semaine, on y a ajouté une expression d’un sermon de Carême de saint Léon le Grand, et on a inventé la fin.

    Ce qui importe une fois de plus est ce qui a été supprimé. La fin de l’oraison du Gélasien, donc la demande qui était formulée, est que « par le saint jeûne nous soyons soumis de tout notre cœur ». Exit le jeûne, exit la soumission. Que l’on remplace par ceci : « afin que le peuple chrétien par une dévotion empressée et une foi alerte » (puisse se hâter vers les solennités à venir). Les mots sont bien dans saint Léon, et ils sont joliment expressifs, mais voici le texte originel : « puisqu’il convient que le peuple chrétien, en quelque degré d’abstinence qu’il soit établi, souhaite davantage se nourrir de la parole de Dieu que de nourriture corporelle, embrassons par une dévotion empressée et une foi alerte ce jeûne solennel… » En bref le propos de saint Léon est gravement falsifié : l’empressement de la dévotion et de la foi ne concerne plus le jeûne mais la fête pascale…

    Voici les textes.

    GeV 178 :

    Deus qui per Verbum tuum humani generis reconciliationem mirabiliter operaris, praesta, quaesumus, ut sancto ieiunio et tibi toto simus corde subiecti et in tua nobis efficiamu praece concordes.

    Saint Léon :

    … dignumque est ut populus Christianus in quantacumque abstinentia constitutus, magis desideret se Dei verbo quam cibo satiare corporeo, prompta devotione et alacri fide suscipiamus solemne jejunium…

    Néo-« liturgie » :

    Deus, qui per Verbum tuum humani generis reconciliationem mirabiliter operaris, praesta, quaesumus, ut populus christianus prompta devotione et alacri fide ad ventura sollemnia valeat festinare.

    Dieu qui par ton Verbe a merveilleusement opéré la réconciliation du genre humain, fais, nous t’en prions, que le peuple chrétien, par une dévotion empressée et une foi alerte, puisse se hâter vers les solennités à venir.

    Il n’y a rien dans cette oraison qui soit spécifique du Carême, qui exprime quelque chose de la pénitence de l’homme blessé par le péché. Le contraste est saisissant avec la collecte traditionnelle du même dimanche :

    Concede, quaesumus, omnipotens Deus, ut qui ex merito nostrae actionis affligimur, tuae gratiae consolatione respiremus.

    Fais, nous te le demandons, Dieu tout-puissant, que nous qui sommes affligés à juste titre à cause de nos actions, nous reprenions haleine par la consolation de ta grâce.

     

    Rappel

    Quand j’évoque les nouvelles oraisons c’est toujours dans leur texte latin officiel. Il convient de ne jamais oublier que la néo-« liturgie » ne les utilise quasiment partout qu’en traduction, selon la volonté de Paul VI et de ses experts. Or il peut y avoir très loin du texte à sa « traduction ». La postcommunion du mercredi des Cendre est un exemple particulièrement spectaculaire de la trahison de la « traduction », parce qu’on a gardé l’oraison traditionnelle mais qu’on lui fait dire tout autre chose, afin de ne pas évoquer le jeûne :

    Percépta nobis, Dómine, prǽbeant sacraménta subsídium : ut tibi grata sint nostra ieiúnia, et nobis profíciant ad medélam.

    Que les sacrements que nous avons reçus nous donnent, Seigneur, le secours, afin que nos jeûnes vous soient agréables, et servent à notre guérison.

    Voici la « traduction » de la néo-« liturgie » :

    Que cette communion, Seigneur, nous ouvre à la justice et à la charité, pour que nous observions le seul jeûne que tu aimes et qui mène à notre guérison.

    Le « seul » jeûne n’est pas celui de l’oraison latine, mais celui où l’on ne jeûne pas…

  • Il y a 50 ans (17) : l'Annonciation

    Les experts ayant affirmé que la fête s’appelait « Annonciation du Seigneur » lorsqu’elle fut introduite à Rome, la fête s’appela ainsi dans le nouveau calendrier.

    La réalité est que cette fête a eu de nombreuses appellations, et que dans le vénérable sacramentaire de saint Grégoire elle est appelée Annuntiatio angeli ad beatam Mariam : annonciation de l’ange à la bienheureuse Marie. Et dans les non moins vénérables Ordines Romani c’est Annunciatio sanctae Mariae. Dans le martyrologe romain c’est Annuntiatio beatissimae Virginis genitricis Dei Mariae. Au cours de l’histoire on a vu diverses appellations, comme Annunciatio Domini en effet, ou Annuntiatio dominica, Annunciatio Christi, Conceptio Christi… Mais l’appellation correcte ne peut pas être Annuntiatio Domini, d’autant que cette expression désigne le martyrologe du 25 décembre.

    En outre, chez les byzantins, la fête s’est toujours appelée « Annonciation de la très sainte Mère de Dieu et toujours Vierge Marie ».

    Le changement de nom, et donc de classification (la fête mariale devient « fête du Seigneur »), a pour but évident de diminuer le culte marial.

    La comparaison entre la collecte du missel traditionnel et du nouveau missel est instructive. Une fois de plus les experts qui prétendaient « restaurer » la liturgie sont pris en flagrant délit de bricolage. Leur collecte est une de leurs inventions Frankenstein habituelles, faites de morceaux disparates accolés.

    Voici la collecte traditionnelle :

    Deus, qui de beátæ Maríæ Vírginis útero Verbum tuum, Angelo nuntiánte, carnem suscípere voluísti : præsta supplícibus tuis ; ut, qui vere eam Genetrícem Dei crédimus, eius apud te intercessiónibus adiuvémur.

    O Dieu, qui avez voulu que votre Verbe prît un corps humain à la parole de l’Ange dans le sein de la bienheureuse Vierge Marie ; accordez à ceux qui vous en supplient que, nous qui la croyons véritablement Mère de Dieu, nous soyons secourus auprès de vous grâce à son intercession.

    Et la nouvelle :

    Deus, qui Verbum tuum in útero Vírginis Maríæ veritátem carnis humánæ suscípere voluísti, concéde, quæsumus, ut, qui Redemptórem nostrum Deum et hóminem confitémur, ipsíus étiam divínæ natúræ mereámur esse consórtes.

    Dieu, qui as voulu que Ton Verbe prît véritablement une chair humaine dans le sein de la Vierge Marie, accorde-nous, nous T'en prions, puisque nous reconnaissons en lui notre Rédempteur, homme et Dieu, d'être associés à Sa nature divine.

    On a gardé quelques mots de la collecte traditionnelle, on a supprimé l’ange, on a ajouté une expression de saint Léon le Grand, et on a inventé une fin, qui insiste sur « Dieu et homme » et reprend hors contexte une formule (modifiée) d’une prière de l’offertoire qu’on a supprimée dans l’ordinaire de la messe…

    On remarque que cette collecte… n’évoque pas l’Annonciation, mais l’Incarnation, avec insistance sur Jésus Dieu et homme, ce qui est célébré à Noël. D’ailleurs l’invitatoire de la fête est celui de Noël, et les trois cantiques de l’« office des lectures » sont ceux de la Nativité dans le bréviaire monastique. Dans tout cet office il n’y a que l’unique répons qui évoque l’Annonciation.

    Ainsi élimine-t-on de la collecte l’ange, qui est gênant pour une religion adulte dégagée des mythes et des superstitions d’un autre âge. On reprend une formule de saint Léon le Grand condamnant Eutychès : veritátem carnis humánæ : le Christ a pris la « vérité de la chair humaine », comme si la tendance actuelle n’était pas plutôt d’estomper sa divinité. Et pour les francophones on remarque que la traduction officielle a omis « veritatem »… Il n’est plus question de la maternité divine de la Sainte Vierge, remplacée par le Christ en deux natures. Et l’on a supprimé l’appel à l’intercession de Marie… A la place, on demande d’être participants de la nature divine, ce que demande tous les jours la messe traditionnelle dans une superbe oraison dont il ne reste que ce lambeau annuel…