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  • Il y a 50 ans (9) : la vigile de Noël

    En la vigile de Noël a lieu une cérémonie particulière et émouvante, à la fin de l’office de prime : le chant, sur un ton solennel, du martyrologe du jour. Lequel annonce la naissance du Christ à la fin d’un résumé de l’histoire du monde depuis la création.

    La suppression de l’office de prime par les massacreurs de la liturgie a supprimé ipso facto cette antique particularité de la vigile de la Nativité.

    Jugeant à juste titre que c’était une perte dommageable, Jean-Paul II a exhumé cette proclamation en 1980. Comme prime n’existait plus, il l’a assignée au début de la « messe de la nuit ». Malheureusement, il a laissé les saboteurs, toujours actifs, la saboter. Au lieu de garder avec le respect religieux qui s’impose une chronologie qui fait débuter l’histoire du monde « il y a 5.199 ans » (d’autant plus intéressante que c’est le comput d’Eusèbe de Césarée selon la Septante grecque, donc adopté par Rome avant la Vulgate), on a mis le texte au goût du jour en supprimant ce qu’on considérait comme une obsolète naïveté, et en supprimant d’autres dates, non sans remplacer certaines par d’autres naïvetés, celles des historiens rationalistes d’aujourd’hui : la datation de l’Exode est arbitrairement celle de la stèle égyptienne de Mérenptah au lieu de celle de la Bible, alors que cette stèle ne parle pas de l’Exode mais d’une victoire sur Israël qui est « détruit ».

    Et l’on a bêtement supprimé la mention que la Nativité eut lieu au « sixième âge du monde », puisqu’on ne veut plus rien comprendre au symbolisme, même expliqué par les docteurs de l’Eglise…

  • Il y a 50 ans (12) : l'Epiphanie

    Au début, les membres de la commission chargée de « restaurer » le calendrier liturgique jugèrent qu’il fallait donner la permission de célébrer la fête de l’Epiphanie (et non plus la solennité transférée) le dimanche suivant le 6 janvier si le 6 janvier n’est pas un dimanche. Il y eut une voix discordante, en faveur du dimanche avant le 6 janvier. Finalement il fut décidé que l’Epiphanie serait célébrée le « deuxième dimanche de la Nativité » là où le 6 janvier n’est pas férié.

    La commission répondait ainsi à une question qui ne se posait pas, si l’on voulait, comme ils le disaient, « restaurer » la liturgie. Car l’Epiphanie est la plus ancienne fête de la manifestation du Seigneur, antérieure même à Noël. Les experts faisaient semblant de s’inquiéter des gens qui n’allaient plus à la messe en semaine. Mais c’est pour cela qu’il y avait la solennité transférée au dimanche suivant…

    C’est un exemple de cette hypocrisie qui est une des marques de fabrique de la réforme liturgique : l’Epiphanie restait le 6 janvier là où la fête est fériée, et elle était transférée au « deuxième dimanche de la Nativité » là où le 6 janvier n’est pas férié. Comme c’est le cas dans la plupart des pays, l’Epiphanie est, de fait, transférée au « deuxième dimanche de la Nativité », ce qui est une double rupture de la tradition. Pour la première fois dans l’histoire de l’Eglise le 6 janvier n’est plus la date de l’Epiphanie, et pour la première fois une fête peut être transférée… au dimanche qui la précède. En outre disparaît le rapport entre les deux grandes Manifestations, l’Epiphanie, le 6 janvier, et la Transfiguration, le 6 août, sept mois plus tard. Et d'abord le fait que l'Epiphanie se célèbre 12 jours après la Nativité.

    Curieusement, la commission chargée de « restaurer » les textes liturgiques ne changea rien à l’office et à la messe de l’Epiphanie. Du moins à ce qui en restait après la destruction de pans entiers de l’office. Et c’est une occasion parmi d’autres de constater la perte de substance de la liturgie soi-disant restaurée.

    Dans le soi-disant « office des lectures » qui a remplacé les matines (où il y a moins de lectures que dans les matines), il n’y a que deux répons, alors que les matines romaines en ont huit, et les matines monastiques douze. On a gardé le quatrième répons, et le dernier de l’office monastique. Et l’on a mis à la poubelle toute une série d’évocations scripturaires, symboliques, poétiques et musicales du mystère du jour, qui plongeaient dans la plus haute antiquité (dont les répons qui évoquaient les rois…)

    Surtout, on a supprimé les deux premiers répons, ceux qui chantaient le Baptême du Christ. Hodie in Jordane… Aujourd’hui, ce jour d’aujourd’hui, dans le Jourdain, alors que le Seigneur était baptisé, les cieux s’ouvrirent… Tel est le rappel, appuyé, que le mystère de l’Epiphanie est aussi celui du Baptême du Seigneur, qui est le seul objet de la liturgie byzantine du 6 janvier.

    Sans doute répondra-t-on que la « réforme liturgique » a fait précisément du Baptême du Seigneur une fête à part entière, une semaine après l’Epiphanie. Mais le Baptême ce n’est pas une semaine après, c’est le jour même. Hodie. C’est pourquoi la liturgie latine traditionnelle a, au jour octave de l’Epiphanie, une commémoraison du Baptême du Seigneur.

  • Il y a 50 ans (11) : le 1er janvier

    La première question que se posa la commission chargée de la réforme du calendrier liturgique fut de savoir si le jour octave de la Nativité devait être dédié à la mémoire de Marie Mère de Dieu ou à la célébration du Nom de Jésus. La réponse presque unanime des experts (seul Johannes Wagner, responsable de l’Institut liturgique de Trèves, ne vota pas en ce sens) fut que le 1er janvier devait être consacré à Marie parce que la Maternité de Marie était la plus ancienne fête mariale à Rome. Selon le principe des novateurs, qui était de détruire la tradition au nom de ce qui est « le plus ancien ».

    Or, en réalité, il n’y a jamais eu de fête mariale le 1er janvier à Rome.

    Les « experts » avaient pris pour pain bénit ce qui était en fait l’une des deux grandes impostures de dom Bernard Botte, premier directeur de l’Institut supérieur de Liturgie de Paris et (donc) gourou de la réforme liturgique. L’autre imposture de dom Botte, la plus connue, est le soi-disant « canon d’Hippolyte de Rome » (plus exactement anaphore d’Hippolyte), « le plus ancien » puisque datant du IIIe siècle, dont il est prouvé qu’il n’est ni d’Hippolyte, ni du IIIe siècle, ni romain. Mais on continue de le prétendre un peu partout dans l’Eglise, et surtout, comme il est très court, il est devenu la prière eucharistique de très loin la plus utilisée, et même la seule en de nombreux endroits.

    Sans doute dira-t-on une fois de plus que j’exagère, et qu’il ne s’agit pas d’impostures mais d’erreurs. Ce serait le cas si l’on parlait d’un liturgiste amateur dans mon genre. Mais ici on parle d’un des plus éminents liturgistes du XXe siècle. Et quoi qu’il en soit c’est bien une imposture de continuer à parler de l’anaphore d’Hippolyte, comme de continuer de dire que le 1er janvier est la date de la plus ancienne fête mariale à Rome. Il est vrai que Paul VI, sur la foi de ses experts, avait repris l’imposture à son compte dans Marialis cultus : « La solennité de sainte Marie, Mère de Dieu, ainsi placée au 1er janvier selon l’ancienne coutume de la liturgie de Rome ».

    C’est en 1933 que dom Botte avait fait savoir à ses collègues émerveillés qu’il venait de découvrir cette fête mariale. Il en avait même entièrement reconstitué la messe. Dès 1936, le P. Bernhard Opfermann répondait dans la même revue (Ephemerides liturgicae) : « L’hypothèse de B. Botte ne coïncide pas avec les faits. » L’année précédente, le moine de Solesmes dom René-Jean Hesbert avait déjà relevé, de son côté, qu’aucun sacramentaire ni aucun lectionnaire romain ne parle d’une messe mariale le 1er janvier : ils donnent une messe de l’octave de la Nativité. (Pour être précis, comme l’avait signalé dom Hébert, le sacramentaire d’Hadrien a une oraison « mariale »… mais c’est celle du 1er janvier dans la liturgie traditionnelle…, et le sacramentaire indique : « Mense januario in octabas Domii ad sanctam Mariam ad martyres » : au mois de janvier en l’octave du Seigneur, à Sainte-Marie aux martyrs. Car tous les livres indiquent que la messe papale du 1er janvier était célébrée dans cette église consacrée en 609 par Boniface IV. Mais ce n’est pas parce que la première messe de l’année est célébrée dans une église mariale que c’est une messe mariale : l’intitulé le dément clairement. Et l’évangile était déjà – logiquement - celui de la circoncision.)

    Reprenant minutieusement tous les éléments connus du VIIe siècle, dom Jacques-Marie Guilmard, moine de Solesmes, conclut : « La tradition romaine n’a assurément aucun formulaire de chant destiné à une messe mariale pour le 1er janvier. »

    Pour être complet (pour ce qui est de Rome), il faut ajouter que certains manuscrits ajoutent à la messe de l’octave de Noël une messe de sainte Martine, dont le culte a été introduit par le pape Donus (676-678). L’un de ces manuscrits (K, vers 800) a « scae Mariae » au lieu de « natale scae Martinae » : il s’agit évidemment d’une erreur (l’évangile est celui des vierges sages et des vierges folles).

    Mais cette erreur va faire florès de l’autre côté des Alpes : on trouve en Gaule au VIIIe siècle trois antiphonaires « romano-francs » qui donnent pour le 1er janvier un « natale sanctae Mariae », avec un formulaire de messe des vierges, donc effectivement marial.

    On note qu’a été gardé le mot « natale », qui indique a priori  la mort d’un martyr, en l’occurrence de sainte Martine… Mais les sacramentaires grégoriens ont pour le 13 mai « natale sanctae Mariae ad martyres ». Ici « natale » a le sens d’anniversaire de la consécration de l’église (et la messe est celle des martyrs). Ce qui a renforcé la confusion romano-franque.

    Mais, même en Gaule, cette fête ne se trouve que dans trois antiphonaires et dans aucun autre livre liturgique (sacramentaire, évangéliaire), et elle ne franchira pas le siècle suivant…

  • Il y a 50 ans (15) : le carême (1)

    Emmenés par les Français Martimort et Jounel, les membres de la commission chargée de la réforme du calendrier liturgique (coetus 1) votèrent par 14 voix contre 3 et 1 abstention pour la suppression du mercredi des Cendres. La commission chargée des « rites particuliers dans l’année liturgique » (coetus 17) vota à l’unanimité pour la suppression du mercredi des Cendres.

    Et pourtant le mercredi des Cendres figure toujours dans la néo-« liturgie ». Est-ce que Paul VI, déjà mécontent, dit-on, de la suppression de la Septuagésime, mit son veto ? La suppression du mercredi des Cendres entrait pourtant pleinement dans la logique de la « réforme liturgique ». Elle répondait à deux des grands faux principes de cette « réforme » : revenir à la « pureté » primitive des rites liturgiques, et les faire correspondre à la mentalité et au mode de vie de l’homme d’aujourd’hui (deux principes du reste contradictoires, mais on n’était pas à ça près…)

    En effet, le mercredi des Cendres fut d’abord, au IVe siècle, le premier jour de la pénitence des pécheurs publics, qui recevaient alors un cilice couvert de cendre et se retiraient dans un monastère avant d’être absous le Jeudi saint. Or il n’y a plus de pénitents publics depuis le moyen âge. Ce n’est qu’au XIe siècle qu’on commença à imposer les cendres à tous les fidèles. Or si la liturgie doit revenir à ce qu’elle était avant ce que les « réformateurs » osaient appeler la « déformation grégorienne », à plus forte raison faut-il abolir un rite du XIe siècle.

    D’autre part, les quatre jours de jeûne ajoutés pour tout le monde avant le dimanche où commence la liturgie propre du Carême avaient pour but de faire passer le nombre de jours de jeûne de 36 à 40, afin que la pratique coïncide concrètement avec le symbolisme quadragésimal. Mais il y a très longtemps qu’on ne jeûne plus dans l’Eglise latine, et on se moque comme d’une guigne du symbolisme des nombres.

    Enfin, il y a longtemps que les fidèles ne vont plus à la messe en semaine. La liturgie « restaurée » et « rénovée » doit donc exclure une cérémonie telle que les Cendres un mercredi.

    Comme les « experts » avaient, parmi toutes leurs qualités, celle de se poser des questions qui ne se posent pas, ils s’étaient doctement demandés si, une fois le mercredi des Cendres supprimé, il fallait transférer le rite de bénédiction et d’imposition des Cendres au premier dimanche de Carême. Etrange innovation : cela ne s’était jamais fait, donc, selon leurs propres principes, c’était exclu avant même que la question soit posée.

    Quelques lignes du schéma de la commission du calendrier voulant supprimer le mercredi des Cendres résument toute l’affaire du Carême :

    « On peut objecter qu’il n’y a plus 40 jours de jeûne si le Carême commence au premier dimanche de Carême (…). A cette difficulté on répond : 1. Le jeûne (au sens strict) est réduit à peu de jours sur presque toute la terre [deux jours dans l’Eglise latine] ; 2. Même le dimanche on doit jeûner des péchés et des vices et exercer la charité envers le prochain. Ainsi peut être inculqué plus facilement le sens le plus authentique et parfait du jeûne. »

    Finalement le mercredi des Cendres a été conservé, mais cela n’a pas empêché d’inculquer aux fidèles « le sens le plus authentique et parfait du jeûne », qui est une imposture pure et simple.

    Depuis 50 ans l’Eglise enseignante enseigne un mensonge aux derniers catholiques à propos du jeûne. On leur rebat les oreilles avec les propos des prophètes sur le jeûne qu’agrée le Seigneur, qui est de s’abstenir des péchés et de ce qui conduit au péché. Quand un prophète dit que le jeûne que veut Dieu est un jeûne moral, cela ne remplace pas, mais suppose au contraire le jeûne corporel. Nous sommes des êtres corporels. Si nous rejetons le signe corporel, ce qu’il signifie n’est qu’une illusion. Une collecte des Quatre-Temps le dit très clairement :

    Præsta, quǽsumus, Dómine, famíliæ tuæ supplicánti : ut, dum a cibis corporálibus se ábstinet, a vítiis quoque mente ieiúnet. Per Dóminum.

    Accordez, nous vous le demandons, Seigneur, à votre famille qui vous en supplie, que comme elle se prive corporellement d’aliments elle s’abstienne aussi spirituellement des vices.

    Ou la collecte du vendredi après les Cendres :

    Inchoáta ieiúnia, quǽsumus, Dómine, benígno favore proséquere : ut observántiam, quam corporáliter exhibémus, méntibus etiam sincéris exercére valeámus.

    Les jeûnes commencés, accompagnez-les, Seigneur, de votre faveur bienveillante, afin que l’observance que nous manifestons corporellement nous l’accomplissions aussi dans la sincérité de nos âmes.

    C'est en fait un leitmotiv des collectes du Carême évoquant le jeûne ou l'abstinence.

    Saint Bède le dit aussi en peu de mots : « Le jeûne, en un sens général, consiste à s’abstenir non seulement des aliments, mais de tous les plaisirs charnels ; bien plus, à se défendre de toute affection au mal. Pareillement, la prière, en un sens général, ne s’entend pas seulement des paroles par lesquelles nous invoquons la clémence divine, mais aussi de tous les actes que nous accomplissons avec la dévotion de la foi pour servir notre Créateur. »

    On n’apprend pas à prier sans apprendre d’abord des paroles, on n’apprend pas le jeûne spirituel sans passer par le jeûne corporel.

    Jésus lui-même disait aux pharisiens qui paient la dîme sur la menthe et l’aneth et laissent de côté ce qui est le plus important dans la loi : la justice, la miséricorde et la foi : « il fallait faire ces choses-ci, et ne pas omettre celles-là. » Et il y a des démons qui « ne sortent que par la prière et le jeûne ». Et quand Jésus dit que lorsqu’on jeûne il ne faut pas se faire une mine décomposée, cela suppose… qu’on jeûne.

    Mais un grand principe est qu’il fallait que la liturgie corresponde à la vie de l’homme contemporain. Donc, comme de fait on ne jeûne plus dans l’Eglise latine depuis très longtemps (y compris dans les monastères, au mépris de toutes les Règles), il fallait supprimer dans la liturgie la mention du jeûne. Ainsi on supprima ou on modifia toutes les oraisons du Carême qui évoquaient le jeûne. Sauf, pour une raison (à ma connaissance) inexpliquée, la collecte du troisième dimanche de Carême (et la collecte et la postcommunion du mercredi des Cendres puisque finalement on le gardait).

    Cette suppression presque totale de la mention du jeûne dans la liturgie fut grandement facilitée par un texte ahurissant de Paul VI, la constitution apostolique Paenitemini du 17 février 1966 qui abolissait le jeûne à partir du mercredi des cendres 23 février 1966.

    Cette décision est évidemment nulle et non avenue. Aucun pape ne peut abolir le jeûne. « Les jours viendront où l’époux leur sera enlevé, et alors ils jeûneront en ces jours-là. » Tous les pères de l’Eglise ont célébré les bienfaits de l’indispensable jeûne corporel. Ils ont été magistralement résumés dans la Préface qui est chantée à toutes les messes traditionnelles du Carême : Qui corporáli jejúnio vitia cómprimis, mentem élevas, virtútem largíris et prǽmia : toi qui par le jeûne corporel réprimes les vices, élèves les âmes, procures la force et la récompense. (Préface qu’on n’a pas osé supprimer, mais qu’on a reléguée en quatrième position des préfaces de carême, comme une sorte d’émouvant témoin obsolète.)

    L’Eglise n’a pas à dissoudre sa discipline dans l’air du temps. Elle ne doit pas adapter sa liturgie à ce que vit l’homme contemporain, mais au contraire elle doit proposer la liturgie authentique qui montre à l’homme de tous les temps ce qu’est la vraie vie chrétienne à laquelle il doit tendre. Garder les multiples mentions du jeûne corporel dans la liturgie du Carême, alors que le jeûne a depuis longtemps disparu dans l’Eglise latine, ce n’est pas de l’hypocrisie, ce n’est pas refuser « le souci de la vérité », comme osait le dire l’expert en chef des oraisons Antoine Dumas, c’est un rappel de ce que l’Eglise veut pour le bien des fidèles qui veulent vraiment vivre de la vie divine.

  • Il y a 50 ans (8) : les Quatre-Temps

    — Et bien sûr ils ont supprimé les Quatre-Temps !

    — Mais non ! Non seulement vous êtes excessif, comme d’habitude, mais en outre votre accusation est une contre-vérité. Les normes universelles de l’année liturgique ont même un chapitre sur le sujet.

    — Ah oui. Il y est dit que c’est aux conférences épiscopales de fixer la périodicité, les dates, la manière de célébrer… Donc, c’est quand, les Quatre-Temps ?

    — Euh… Les évêques ont oublié de le décider.

    — Oui, depuis 50 ans. Donc, de facto, les Quatre-Temps ont été supprimés.

    C’est une de ces hypocrisies de la « réforme » liturgique. Comme pour les Rogations, soumises au même régime, comme le Canon romain, comme les mémoires facultatives… On fait semblant de maintenir, mais en fait on supprime.

    Aux Quatre-Temps, comme disent encore très bien les nouvelles Normes, « l’Église a coutume de prier le Seigneur pour les divers besoins des hommes, en particulier pour les fruits de la terre et les travaux des hommes, et de lui rendre grâce publiquement ».

    L’Eglise avait coutume. Mais les novateurs voulaient en fait supprimer cette coutume, comme les pèlerinages, comme les images dans les églises, comme le rosaire, comme les vieux cantiques, comme tout ce qui ressemble de près ou de loin à la piété populaire. Parce que c’est considéré comme de la superstition par les chrétiens « adultes » de notre époque. Dieu a autre chose à faire que de s’occuper de faire pousser le blé ou de faire tomber la pluie… Et puis nous ne sommes plus dans une civilisation rurale : on ne cultive plus les légumes, on les achète au supermarché.

    Les Quatre-Temps sont la sanctification des quatre saisons, des solstices et des équinoxes. Donc la sanctification du cosmos. Mais pour les chrétiens adultes ce ne sont plus là que des symboles désuets.

    Les Quatre-Temps de décembre ont donc été supprimés, alors qu’ils existaient avant même la liturgie de l’Avent. Comme en témoigne par exemple le sermon de saint Léon le Grand qu’on lisait avant 1960 aux matines du dimanche précédent : toutes les récoltes ont été engrangées, il faut remercier le Seigneur par un jeûne solennel.

    Et voici la seconde raison de la suppression des Quatre-Temps : il faut supprimer tout ce qui rappelait le jeûne. On ne jeûne plus dans l’Eglise adulte. Même s’il y a des démons qui ne sortent que par la prière et par le jeûne. D’ailleurs dans les nouveaux Evangiles on a supprimé aussi le jeûne de cette phrase du Seigneur…

    La messe du samedi des Quatre-Temps était conçue comme une liturgie d’ordinations, depuis toujours. Il y eut même un temps où c’était le seul jour ordinaire d’ordination à Rome. Et le jeûne avait là pour fonction (aussi) de demander à Dieu que les nouveaux prêtres soient de bons pasteurs.

    Mais maintenant on procède aux ordinations n’importe quand.

    La suppression de la liturgie des Quatre-Temps a eu aussi pour « avantage » de supprimer une des antiques collectes peu adaptées à « la mentalité contemporaine », comme disait dom Antoine Dumas, le gâte-sauce en chef et Dr Frankenstein des nouvelles oraisons :

    Preces pópuli tui, quǽsumus, Dómine, cleménter exáudi : ut, qui juste pro peccátis nostris afflígimur, pietátis tuæ visitatióne consolémur.

    Par pitié, Seigneur, exaucez les prières de votre peuple. Et puisque nous subissons les épreuves que nous ont méritées nos péchés, apportez-nous le réconfort quand vous viendrez à nous, plein de bonté.

  • Il y a 50 ans (18) : la Semaine Sainte

    La réforme de la semaine sainte, en 1955, avait déjà « simplifié » drastiquement la cérémonie des Rameaux et en avait profondément modifié la nature. La réforme Bugnini a achevé le massacre.

    Elle donne deux oraisons au choix pour la bénédiction des rameaux, dont l’une reprend en partie l’oraison traditionnelle, mais… sans la formule de bénédiction !

    La seconde antienne à chanter pendant la distribution des rameaux est supprimée, et la première devient un chant de la procession. (Il n’y a donc plus de chant prévu pour la distribution, qui n’est d’ailleurs pas mentionnée dans les rubriques.)

    Sept des huit antiennes de la procession prévues dans le rite de 1955 sont supprimées. Ne reste que la dernière, pour l’entrée dans l’église : « Ingrediente Domino ». A condition qu’il y ait une procession, car les rubriques permettent explicitement qu’il n’y en ait pas. Elles permettent aussi de chanter autre chose que ce qui est indiqué…

    A la messe, la Passion change chaque année : saint Matthieu, saint Marc, saint Luc, afin (c’est comme un principe de la « réforme ») que les fidèles n’aient aucun repère, et que la Passion ne puisse pas être chantée. Car en dehors des communautés religieuses il est quasi impossible d’avoir des chantres qui aient à leur répertoire les quatre Passions. Mais de toute façon il n’est plus question de chanter la Passion, et d’ailleurs est prévue une lecture brève…

    Cette destruction des repères est aussi la raison de la suppression du « temps de la Passion ». Le dimanche de la Passion (ou premier dimanche de la Passion selon la formulation de 1960) est devenu « 5e dimanche de carême ». De ce fait le chant de la Passion selon saint Matthieu n’a plus lieu au milieu du temps de la Passion. On a néanmoins laissé dans l’office des éléments de la liturgie du temps de la Passion... Peu nombreux, en raison du terrible appauvrissement de l’office divin, mais suffisants pour suggérer que l’orientation liturgique a changé : elle regarde désormais uniquement la Croix et le Crucifié. Pourquoi alors ne plus appeler « temps de la Passion » ce qui est toujours le temps de la Passion ? Et si c’est pour conserver l’unité du carême, pourquoi ne pas appeler le dimanche des Rameaux 6e dimanche de carême ?

    *

    La réforme de 1955 (faut-il rappeler que Pie XII avait nommé Bugnini secrétaire de la Commission pour la réforme liturgique en… 1948 ?) avait profondément modifié la semaine sainte, sous prétexte de remettre les offices à leurs heures normales, et de permettre aux fidèles de les suivre plus facilement. Ce n’est pas ici le lieu d’en discuter. On remarquera seulement que les offices des Ténèbres, qui étaient tellement suivis par les fidèles au temps de la chrétienté, ne pouvaient plus l’être, puisqu’il s’agit des matines du Triduum, et qu’elles n’étaient donc plus célébrées la veille au soir, mais au petit matin. La révolution de 1970 est allée tellement plus loin qu’elle a complètement détruit ces offices. Dans un sens c’est logique, puisque les matines ont été remplacées par un « office des lectures » qui se dit n’importe quand dans la journée. Mais on aurait pu penser que ces jours particuliers auraient quand même bénéficié d’une liturgie particulière. Pas du tout : c’est l’office des lectures habituel…

    Les Lamentations de Jérémie ont donc disparu. Quant à la messe du Jeudi Saint, c’est une messe ordinaire. On a même supprimé le saisissant graduel Christus factus est. Il reste la translation du Saint Sacrement… sauf si l’on ne célèbre pas l’office du vendredi saint dans cette église.

    *

    Les deux lectures liminaires de la fonction liturgique du vendredi saint (et leurs répons) ont été changées. Sans doute fallait-il enlever le beau texte d’Osée parce qu’il prophétise la résurrection le troisième jour et que les exégètes actuels rejettent toute interprétation prophétique des prophètes... De même le texte de l’Exode décrivant la Pâque, si extraordinairement suggestif, a été remplacé par un très court passage de l’épître aux Hébreux.

    Par miracle on a gardé en ce jour la Passion selon saint Jean.

    Dans les oraisons solennelles, devenues « prière universelle », la prière « pour les hérétiques et les schismatiques » est devenue un vœu « pour l’unité des chrétiens »… La prière pour le peuple juif demande qu’il « mérite de parvenir à la plénitude de la rédemption », sans mention d’une éventuelle reconnaissance que la rédemption passe par le Christ… Quant aux païens, devenus « ceux qui ne croient pas en Dieu », ils devraient parvenir à Dieu par la recherche de ce qui est droit…

    A l’adoration de la Croix, pour ne pas perdre de temps on peut l’apporter déjà découverte…

    On a gardé le reste (du moins dans l’original latin…), sauf les antiennes chantées pendant que le prêtre va chercher le ciboire, et deux des trois oraisons finales (ajoutant, à celle qui demeure, la perspective de la résurrection, qui ne s’imposait pas du tout à ce moment liturgique).

    *

    A la veillée pascale, l’Exsultet est écourté et émondé. On a supprimé toute la fin à partir de « Precamur ergo te Domine », on a supprimé la nuit bienheureuse « qui a dépouillé les Egyptiens, enrichi les Hébreux » (comme on ne comprend plus le symbolisme on a trouvé ça immoral, je suppose...), et l’on a remplacé « incensi » par « laudis ». Cette substitution est typique du dernier état d’incompréhension des textes liturgiques. Pendant longtemps on avait cru que dans l’expression « incensi hujus sacrificium vespertinum » incensi voulait dire encens : le sacrifice vespéral de cet encens. Parce que dans le Temple, au « sacrifice du soir » (d’un agneau) on brûlait par ailleurs de l’encens sur l’autel ad hoc. Mais nulle part on ne parle d’« incensi sacrificium ». Et pour que le démonstratif hujus (« cet encens ») corresponde à quelque chose, c’est à ce moment-là qu’on enfonçait dans le cierge les cinq grains d’encens bénis auparavant. La réforme de 1955 fut sur ce point judicieuse, renvoyant le rite des grains d’encens au début de la cérémonie, parce que incensum ne désigne pas ici l’encens, mais les cierges : c’est au début du développement sur la symbolique des cierges et de la cire. Le sens est celui de l’Hymnus ad incensum lucernae de Prudence : hymne pour l’allumage des lampes, au début des vêpres. On aurait pu croire l’affaire résolue. Mais non. Les experts de la « réforme liturgique » ont remplacé incensi par laudis… « Le sacrifice de cette louange ». Comme si on avait décidé qu’on ne comprenait pas et qu’on ne voulait pas comprendre que incensum veut dire ici « ce que l’on allume ». Et la phrase perd le sens précis qu’elle avait dans le développement, et que Pie XII avait retrouvé.

    Naturellement il est question ici de l’Exsultet en latin, qui a quasiment disparu au profit de « traductions » qui elles-mêmes disparaissent face à un cantique qui s’inspire de l’Exsultet…

    Les experts ont décidé qu’il devait y avoir sept lectures au cours de la vigile pascale. Ajoutant que… deux seulement sont obligatoires, l’une d’entre elles étant celle de l’Exode. En bref il y a donc deux lectures, et le récit de la Création, qui est fondamental, a toutes chances de disparaître puisque c’est le plus long et que le clergé et les équipes d’animation liturgique vont presque systématiquement au plus court. Dans le meilleur des cas ils se servent de cette possibilité pour « varier » les lectures d’une année à l’autre, ce qui est contraire au sens même de la liturgie.

    Et on a décidé de casser le rythme de la messe de la Vigile en transférant les litanies et le rite baptismal après l’Evangile…

  • Il y a 50 ans (19) : Pâques (1)

    C’est à propos de la collecte du dimanche de la Résurrection qu’on lit le propos le plus choquant, le plus impie, le plus inepte, de Dom Antoine Dumas, le Dr Frankenstein des collectes du nouveau missel, le grand manitou de leur soi-disant « restauration ». Il fallait, dit-il, dégager la collecte de sa « déformation grégorienne ». Car, d’après lui, saint Grégoire le Grand, le grand ordonnateur de la liturgie latine, le grand orfèvre des oraisons, avait « déformé » une collecte existante. Il fallait donc retrouver la collecte originelle. Et une fois retrouvée il fallait… la modifier, parce qu’elle n’était pas satisfaisante… et l’on a donc inventé une nouvelle fin. La vraie raison de ce tripatouillage est qu’il fallait supprimer la teneur anti-pélagienne de la collecte de saint Grégoire. Comme d’habitude.

    Ce n’est pas seulement la collecte de Pâques qui est en cause. Le propos de dom Dumas était général : nombre d’oraisons ont subi la « déformation grégorienne », d’où précisément la nécessité de « restaurer » les oraisons dans leur pureté d’avant saint Grégoire le Grand… Et c'est ce qu’il a réussi à faire gober à toutes les autorités post-conciliaires…

    Voici la collecte traditionnelle de Pâques, telle qu’elle figure dans les missels depuis toujours :

    Deus, qui hodierna die per Unigenitum tuum, aeternitatis nobis aditum devicta morte reserasti : vota nostra, quae praeveniendo aspiras, etiam adjuvando prosequere. 

    O Dieu, qui avez en ce jour, par la victoire de votre Fils unique sur la mort, ouvert pour nous l’entrée de l’éternité : secondez de votre secours les vœux que vous nous inspirez, en nous prévenant au moyen de votre grâce.

    Les vœux que nous formons pour notre avancement spirituel, c’est Dieu qui nous les inspire, et nous lui demandons de nous aider à les réaliser. Et nous le lui demandons en ce jour où il nous a ouvert les portes de l’éternité par sa victoire sur la mort. Pour que nous puissions entrer avec lui. On insiste sur le fait que c’est lui, c’est sa grâce, qui nous fera entrer, et non nos belles aptitudes d’homme moderne. C’est cet accent d’humilité qu’il faut supprimer, que ne supporte pas l’orgueil de l’homme moderne. Oui, cette expression de la collecte, ciselée par saint Grégoire le Grand, se ressent du combat anti-pélagien de l’époque. Et ce serait une raison de la supprimer ? C’est au contraire une raison de la garder, car il n’y a pas eu d’époque aussi pélagienne que la nôtre.

    La collecte originelle, selon dom Dumas, se trouve dans le recueil dit Gelasianum Vetus :

    Deus, qui per Unigenitum tuum aeternitatis nobis aditum devicta morte reserasti, da nobis, quaesumus, ut, qui resurrectionis sollemnia colimus, per innovationem tui spiritus a morte animae resurgamus. 

    O Dieu, qui avez en ce jour, par la victoire de votre Fils unique sur la mort, ouvert pour nous l’entrée de l’éternité : donnez-nous, nous vous le demandons, nous qui célébrons les solennités de la Résurrection, de ressusciter de la mort de l’âme par la rénovation de ton Esprit.

    Mais la fin de cette oraison (qu’on ne trouve que dans 7 anciens livres liturgiques, et qui a disparu au XIe siècle) ne plaisait pas non plus aux soi-disant « restaurateurs », parce qu’il y avait deux fois le mot « mort » dans une collecte de Pâques.

    Voici le texte même de dom Antoine Dumas :

    « Il est arrivé parfois que de beaux textes, retenus après une sélection sévère ou même parfaitement restaurés, et mis à la place qui leur convenait le mieux, ne donnent pas encore entière satisfaction. Dans ce cas, une légère adaptation demeurait nécessaire. Le cas plus typique est celui de la collecte du dimanche de Pâques qui, dégagée de sa déformation grégorienne passée dans le Missel de Pie V et rendue conforme au meilleur témoin (Gélasien 463), se terminait par une chute regrettable évoquant la mort pour la deuxième fois en quelques mots. On a cru bon de mettre la finale en harmonie avec la joie pascale en remplaçant a morte animae par in lumine vitae. »

    Il convient de signaler que si dom Antoine Dumas affirme que la collecte gélasienne précède celle de saint Grégoire, dom Louis Brou avait argumenté, dans un livre paru peu avant (1960), que selon lui la plus ancienne est celle de saint Grégoire et que la gélasienne est une adaptation. Une… déformation ? En 1973, dans un livre sur Le péché originel dans la liturgie romaine, où il examine les oraisons des plus anciens sacramentaires de ce point de vue, Gerard Lukken a donné raison à dom Brou : la première partie de l’oraison a pour origine une phrase du commentaire de saint Grégoire sur le Premier Livre des Rois. Plus récemment, en 2011, Edward Schaefer, professeur à l’université de Floride et spécialiste de chant grégorien, a écrit dans un article sur l’herméneutique de continuité : « L'idée du Concilium selon laquelle la prière a été “corrompue” est donnée sans fondement et à l’encontre de ce que la tradition indique. »

    On a déjà vu que ce que dom Dumas appelle « légère adaptation » est plus d’une fois une fabrication de bric et de broc, un assemblage de formules d’origines diverses, dont certaines non romaines. Ici l’adaptation est a priori légère, en effet, puisqu’on a remplacé « de la mort de l’âme » par « dans la lumière de vie ».

    Deus, qui hodierna die, per Unigenitum tuum, aeternitatis nobis aditum, devicta morte, reserasti, da nobis, quaesumus, ut, qui resurrectionis dominicae sollemnia colimus, per innovationem tui Spiritus in lumine vitae resurgamus. 

    O Dieu, qui avez en ce jour, par la victoire de votre Fils unique sur la mort, ouvert pour nous l’entrée de l’éternité : donnez-nous, nous vous le demandons, nous qui célébrons les solennités de la Résurrection, de ressusciter dans la lumière de vie par la rénovation de ton Esprit.

    L’expression « in lumine vitae » est une invention. Elle ne se trouve nulle part dans la liturgie, et elle est rarissime chez les pères, malgré le « habebit lumen vitae » de Jean 8,12.

    Ce faisant, on a remplacé une fin d’oraison très claire et précise par une autre qui n’a pas d’antécédent dans la tradition et qui est très floue. Car on ne sait pas si le resurgamus de la fin a le même sens que le resurrectionis qui précède. En fait ils ne peuvent pas avoir le même sens, puisque le Christ est réellement ressuscité, et que pour ce qui nous concerne, ou bien nous sommes virtuellement ressuscités en lui, ou bien il s’agit de notre résurrection corporelle à la fin du temps. On ne sait pas. Alors que la fin de l’oraison gélasienne évoquait cette « résurrection » (dont saint Augustin a beaucoup parlé) qui est le passage de la mort de l’âme à la vie de l’âme, par la grâce de Pâques que nous communique le Saint-Esprit. Comme le dit Lauren Pristas, « un langage clair avec une signification spécifique a été échangé contre un langage agréable et à consonance positive de signification incertaine ».

    *

    En ce qui concerne l’ensemble de la messe et de l’office du jour de Pâques, ce qui apparaît de façon spectaculaire est la suppression des anges. La péricope de l’évangile elle-même a été soigneusement choisie de façon à ce qu’aucun ange n’y apparaisse (il a bien fallu en passer par là lors de la veillée, ça suffit). Or toutes les antiennes des psaumes de l’office traditionnel du jour parlent des anges (et aussi aux matines le premier grand répons solennel et le commentaire de l’évangile par saint Grégoire le Grand, avant que Pie XII les supprime). L’ange du Seigneur descendit et roula la pierre, il y eut un grand tremblement de terre quand l’ange descendit du ciel, son aspect était comme l’éclair, il fit tellement peur aux gardiens qu’ils furent comme morts, l’ange du Seigneur dit aux femmes : ne craignez pas… Cela peut paraître surprenant que les antiennes de la résurrection n’évoquent pas directement la résurrection. Mais la liturgie respecte le mystère. Personne n’a vu la résurrection. La résurrection du Christ, c’est un tombeau vide, avec un ange, ou deux anges. Des messagers qui nous annoncent le fait de la résurrection. La liturgie répète donc sans cesse « Surrexit Dominus vere », le Seigneur est vraiment ressuscité, mais pour en savoir davantage il faut, dans un premier temps, s’en remettre aux anges. Et ces antiennes sont celles de toute la semaine de Pâques, tandis que d’autres éléments de la liturgie détaillent les autres aspects… Evidemment, quand on ne croit plus aux anges, on n’a pas d’autre solution que de les supprimer…

  • Il y a 50 ans (20) : le temps pascal

    La collecte du dimanche in albis en l’octave de Pâques (devenu deuxième dimanche de Pâques) a été renvoyée, dans la néo-« liturgie », au samedi avant la Pentecôte (car il n’y a plus de vigile de la Pentecôte).

    Elle a été remplacée par une oraison dont on voit au premier coup d’œil qu’elle n’est pas romaine, et qu’une fois de plus l’équipe de spécialistes qui prétendait « restaurer » la « liturgie romaine » mentait à qui voulait les entendre.

    Voici cette oraison :

    Deus misericordiae sempiternae, qui in ipso paschalis festi recursu fidem sacratae tibi plebis accendis, auge gratiam quam dedisti, ut digna omnes intellegentia comprehendant, quo lavacro abluti, quo Spiritu regenerati, quo sanguine sunt redempti.

    Dieu d’éternelle miséricorde, qui par le retour de ces fêtes pascales elles-mêmes enflammes la foi de ton peuple consacré, augmente la grâce que tu as donnée pour que tous par une intelligence juste comprennent par quel baptême ils ont été purifiés, par quel Esprit ils ont été régénérés et par quel sang ils ont été rachetés.

    C’est une belle prière mais ce n’est ni le style ni la simplicité des antiques oraisons romaines. En fait elle vient du Missale Gothicum, un livre qui témoigne de la liturgie gallicane au VIIIe siècle, proche par bien des côtés de la liturgie wisigothique d’Espagne (mozarabe), comme en témoigne le fait qu’elle fait partie des oraisons dites « post nomina », qu’on chantait à l’offertoire après lecture des diptyques (« après les noms » de ceux qui offrent le Sacrifice et pour qui on l’offre). Elle a été reprise comme secrète (donc également à l’offertoire) dans des missels français des XVIIe et XVIIIe siècles.

    Voici la vraie collecte de ce dimanche, telle qu’elle a toujours figuré dans les missels et les sacramentaires romains jusqu’à l’avènement des « restaurateurs » :

    Præsta, quǽsumus, omnípotens Deus : ut, qui paschália festa perégimus, hæc, te largiénte, móribus et vita teneámus. Per Dóminum.

    Nous vous supplions, ô Dieu tout-puissant, de faire qu’après avoir achevé la célébration des fêtes pascales, nous retenions, au moyen de votre grâce, l’esprit de ces fêtes dans nos habitudes et dans notre vie.

    Bref, que nous vivions comme des ressuscités, après avoir expié nos péchés pendant le carême. C’est simple, mais centré sur l’essentiel. Et il reste à le réaliser…

    *

    La nouvelle collecte pour le « troisième dimanche de Pâques » (le deuxième dimanche après Pâques) commence par le début d’une bénédiction trouvée dans le sacramentaire gélasien, et se poursuit par la fin d’une prière pour les morts trouvée dans le sacramentaire léonin.

    La prière du Gélasien :

    Populus tuus, quaesumus, Domine, renovata semper exsultet animae j uventute, ut qui ante peccatorum veternoso in mortem venerat senio, nunc laetetur in pristinam se gloriam restitutum.

    Que ton peuple, nous te le demandons, Seigneur, exulte toujours dans la jeunesse renouvelée de son âme, afin que, lui qui était arrivé à la mort dans sa décrépitude léthargique, se réjouisse maintenant qu’il est rétabli dans sa gloire première.

    L’oraison du sacramentaire de Vérone, qui est manifestement une secrète et non une collecte :

    His, quaesumus, domine, sacrificiis, quibus purgationem et viventibus tribuis et defunctis, animam famuli tui benignus absolve ; ut resurrectionis diem spe certae gratulationis exspectet

    Par ce sacrifice, par lequel tu accordes la purification aux vivants comme aux morts, absous l’âme de ton serviteur, afin qu’il attende le jour de la résurrection dans l’espérance d’une joie certaine.

    Voici la collecte fabriquée pour le « troisième dimanche de Pâques » :

    Semper exsultet populus tuus, Deus, renovata animae iuventute, ut, qui nunc laetatur in adoptionis se gloriam restitutum, resurrectionis diem spe certae gratulationis exspectet.

    Que ton peuple exulte toujours, ô Dieu, puisque la jeunesse de son âme a été renouvelée ; de telle sorte que se réjouissant maintenant dʼavoir été rétabli dans la gloire de lʼadoption, il attende le jour de la résurrection avec lʼespérance dʼune joie sûre.

    On voit que l’on a pris çà et là des expressions du sacramentaire de Vérone, qu’on a modifié l’ordre, qu’on a soigneusement supprimé ce qui regarde le péché et la mort, et qu’on a ajouté en plein milieu de ce mic-mac « in adoptionis ». Et l’on a ajouté la fin de la secrète d’une messe des morts, en ne gardant que l’espérance de la résurrection. Cette dernière expression, typique des messes des morts, n’étant pas adaptée au temps pascal, où nous ne sommes pas des morts en attente de la résurrection, mais des ressuscités en puissance, avec le Christ.

    *

    Le troisième dimanche après Pâques est devenu le « quatrième dimanche de Pâques ». La nouvelle collecte dit ceci :

    Omnipotens sempiterne Deus, deduc nos ad societatem caelestium gaudiorum, ut eo perveniat humilitas gregis, quo processit fortitudo pastoris.

    Dieu tout-puissant et éternel, conduis-nous à la communion des joies célestes, afin que l’humilité du troupeau parvienne où la force du pasteur s’est avancée.

    La source est une oraison du sacramentaire gélasien, mais terriblement torturée :

    Omnipotens sempiterne Deus, deduc nos ad societatem caelestium gaudiorum, ut, spiritu sancto renatos, regnum tuum facias introire atque eo perveniat humilitas gregis quo praecessit celsitudo pastoris.

    Dieu tout-puissant et éternel, conduis-nous à la communion des joies célestes, afin que, nés de nouveau par le Saint-Esprit, tu nous fasses entrer dans ton royaume, et que parvienne l’abaissement du troupeau là où l’a devancée l’élévation du pasteur.

    On a supprimé « de Spiritu Sancto renatos », alors qu’on se plaignait que la liturgie traditionnelle ne soit pas assez baptismale… Mais surtout on a détruit le parallélisme humilitas-celsitudo, perveniat-praecessit, qui donnait toute sa valeur à cette oraison, et permettait de définir le sens ici du mot humilitas : il ne s’agit pas d’abord de la vertu d’humilité, mais du fait que le troupeau est en bas, dans sa condition mortelle et pécheresse, alors que le pasteur est en haut, dans le ciel. Cette belle image qui montre le bon pasteur déjà dans le royaume attendant qu’y montent ses brebis a été purement et simplement supprimée. Et pour en être certain, on a remplacé « celsitudo » par « fortitudo »…

    Mais comment peut-on prétendre avoir ainsi « restauré » la collecte ?

    *

    La nouvelle postcommunion de ce même dimanche donne un autre exemple des manipulations destructrices des « restaurateurs » :

    Gregem tuum, pastor bone, placatus intende, et oves quas praetioso filii tui sanguine redemisti, in aeternis pascuis collocare digneris.

    Regarde ton peuple favorablement, bon pasteur, et les brebis que tu as rachetées par le sang précieux de ton Fils, daigne les rassembler dans les pâturages éternels.

    L’origine de cette oraison est une oraison gélasienne du… carême (super populum) :

    Gregem tuum, Domine Pastor bone, placatus intende, et oves quas praetioso sanguine redemisti, diabolica non sinas incursione lacerari.

    Dom Antoine Dumas commente :

    « Souvent (sic), le sens de la phrase été retourné, passant du négatif à un positif plus dynamique. Ainsi, dans la prière après la communion du 4e dimanche de Pâques, le texte (Gélasien 272) relatif au bon Pasteur ne se lit plus : diabolica non sinas incursione lacerari, mais : in aeternis pascuis collocare digneris. D’une manière analogue : nostrae fragilitatis subsidium (prière sur les offrandes de 10e dimanche per annum, venue du 11e après la Pentecôte) devient : nostrae caritatis augmentum. »

    Donc, puisqu’il faut positiver, on a supprimé la mention des incursions du diable qui nous déchire : il n’y a plus de combat contre le diable (le diable, c’est trop négatif…) et on l’a remplacé par la vision de la verdoyante prairie éternelle… De même, la secrète du 10e dimanche ordinaire a remplacé l’aide dont a besoin notre fragilité par l’augmentation de notre charité (car notre fragilité, c’est trop négatif, et qu’on ait besoin d’aide ce l’est encore plus – et revoilà la pélagianisme congénital de la néo-« liturgie ».)

    On ajoutera que l’expression « aeternis pascuis » a été prise dans l’homélie de saint Grégoire le Grand sur le bon Pasteur. Mais quand c’est le fait des experts, ce n’est pas une « déformation grégorienne »…

    *

    Pour la collecte du « quatrième dimanche de Pâques », on a pris une expression d’une préface (Berg 577) et trois expressions d’une secrète (Berg 571) d’un sacramentaire ambrosien, et on a ajouté au milieu une expression inventée. Voici le résultat (en gras le 571, en italiques le 577, en normal ce qui a été ajouté :

    Omnipotens sempiterne Deus, semper in nobis paschale perfice sacramentum, ut, quos sacro baptismate dignatus es renovare, sub tuae protectionis auxilio multos fructus afferant, et ad aeternae vitae gaudia pervenire concedas.

    Dieu éternel et tout-puissant, parfais toujours en nous le mystère pascal, afin que, ceux que tu as daigné rénover par le saint baptême, portent de nombreux fruits sous l’aide de ta protection, et que tu leur permettes de parvenir aux joies de la vie éternelle.

    En dehors de l’étrange expression (totalement inusitée) « sous l’aide de ta protection », on remarque surtout une rupture de construction qui disqualifie les fabricants : la deuxième partie de l’oraison ne peut que dépendre entièrement de ut : afin que ; et si deux propositions en dépendent, les verbes ne peuvent avoir que le même sujet. Or ici on a « afin qu’ils portent du fruit », et « afin que tu leur permettes ». Il y avait pourtant, souligne Lauren Pristas, une façon simple d’éviter cette erreur : « ut sub tuae protectionis auxilio multos fructus afferre, et ad aeternae vitae gaudia pervenire concedas » : afin que tu leur permettes de porter du fruit et de parvenir aux joies de la vie éternelle.

    *

    La collecte de leur « sixième dimanche de Pâques » dit ceci :

    Fac nos, omnipotens Deus, hos laetitiae dies, quos in honorem Domini resurgentis exsequimur, affectu sedulo celebrare, ut quod recordatione percurrimus semper in opere teneamus.

    Fais, Seigneur tout-puissant, que nous célébrions avec un sentiment empressé ces jours de joie que nous accomplissons en l’honneur du Seigneur ressuscitant, afin que nous tenions toujours dans les œuvres ce que nous avons parcouru par le souvenir.

    C’est encore un exemple de « restauration » à la Frankenstein. Car pour élaborer ce texte, on a pris au Véronèse une préface des quatre temps de Pentecôte (qui souligne la nécessité du jeûne) et une postcommunion pour la fête de saint Jean l’évangéliste, et au Gélasien la collecte d’une messe de « Pascha annotinum » (le jour anniversaire de la Pâque précédente, où les baptisés fêtaient leur première année). Une fois encore, on a détruit trois vénérables prières pour en fabriquer une autre avec des expressions sorties de leur contexte. De la collecte de saint Jean on a seulement pris l’expression « sedulo celebramus affectu », trois mots dont on a réussi à changer l’ordre ! sans aucune considération du fait qu’ils faisaient partie d’un parallélisme rythmé et assonancé : « praesta, quaesumus ut quae sedulo celebramus affectu, grato tibi percipiamus obsequio ». (Accorde nous, nous te le demandons, que ce que nous célébrons avec un sentiment empressé, nous le recevions avec une déférence qui t’agrée.)

    N.B. - Ce texte, comme tous ceux qui évoquent les oraisons, doit beaucoup au livre et aux articles de Lauren Pristas sur les collectes « des missels romains ».

  • Il y a 50 ans (21) : l’Ascension

    La collecte traditionnelle de la messe de l’Ascension est revenue subrepticement dans la troisième édition du nouveau missel romain, comme pouvant être dite à la place de celle qui seule figurait dans les deux premières éditions. Je ne sais pas qui a obtenu cela, mais c’était forcément quelqu’un de très influent, et qui a su montrer à quel point la nouvelle collecte était mauvaise.

    C’est en effet l’une des plus mauvaises qui aient été fabriquées par ceux qui prétendaient « restaurer » la liturgie : tout bonnement, elle ne ressemble même pas à une collecte.

    Le texte dont on s’est inspiré n’est d’ailleurs pas une oraison d’un ancien sacramentaire, mais une phrase du premier sermon de saint Léon le Grand sur l’Ascension. Phrase qui figure dans la liturgie traditionnelle, puisque ce sermon est la lecture du deuxième nocturne des matines :

    Quia ígitur Christi ascénsio, nostra provéctio est ; et quo præcéssit glória cápitis, eo spes vocátur et córporis : dignis, dilectíssimi, exsultémus gáudiis, et pia gratiárum actióne lætémur.

    Puisque l’ascension du Christ est notre propre élévation, et que le corps a l’espérance d’être un jour où l’a précédé son glorieux chef, exultons, mes bien-aimés, en de dignes sentiments de joie, et réjouissons-nous par de pieuses actions de grâces.

    Voici ce que les trafiquants liturgiques en ont fait :

    Fac nos, omnipotens Deus, sanctis exsultare gaudiis, et pia gratiarum actione laetari, quia Christi Filii tui ascensio est nostra provectio, et quo processit gloria capitis, eo spes vocatur et corporis.

    Fais-nous, Dieu tout puissant, exulter avec les saints et te rendre grâce avec piété, car l'ascension du Christ ton Fils est [aussi] notre triomphe, et l'espérance pour le Corps d'être appelé à l'endroit où parvient la gloire de la tête. (Traduction officielle.)

    On voit que le texte de saint Léon est inversé. L’exhortation aux fidèle (« exultons ») devient la demande qui est faite à Dieu. En outre, cette demande est faite au début, et le constat du début (« l’Ascension du Christ est notre propre élévation », etc.) est rejeté à la fin, ce qui est contraire aux règles des collectes, qui sont un condensé de ce que la Bible enseigne en la matière. Toutes les grandes prières de la Bible, en effet (en dehors des psaumes qui sont une forme particulière), commencent par un constat, qui peut être très long, souvent en deux parties (la grandeur de Dieu et ce qu’il a fait pour moi et – ou - pour son peuple, ma misère et – ou - celle du peuple), suivi de la demande, de la supplique, qui commence invariablement par « et maintenant, Seigneur ». Ainsi, même quand la collecte commence par le verbe qui expose la demande (c’est le cas pour la collecte traditionnelle de l’Ascension), cette demande n’arrive qu’à la fin, après le bref exposé du mystère du jour.

    En réalité, si les novateurs avaient gardé le texte de saint Léon tel qu’il était, l’oraison aurait été plus proche d’une collecte traditionnelle que celle qu’ils ont fabriquée à partir de ce texte. Ce qui est d’ailleurs normal, tant le style de saint Léon est si souvent ciselé comme les collectes.

    Et comme si cet attentat ne suffisait pas, ils ont, sans raison visible, ni exprimée, changé « dignis » en « sanctis », et fait des verbes à la première personne du pluriel des infinitifs. Enfin, ils ont ajouté « fac nos », pour que ça ressemble à une prière, et de la belle phrase de saint Léon ils ont fait une prière bancale…

    Pour rappel, voici la collecte traditionnelle, qui a toujours été celle de l’Ascension dans les livres romains :

    Concéde, quǽsumus, omnípotens Deus : ut, qui hodiérna die Unigénitum tuum, Redemptórem nostrum, ad cælos ascendísse crédimus ; ipsi quoque mente in cæléstibus habitémus.

    Fais, nous te le demandons, Dieu tout-puissant, que nous qui croyons que ton Fils unique, notre Rédempteur, est aujourd’hui monté aux cieux, nous habitions aussi nous-mêmes en esprit dans les demeures célestes.

    Le sermon de saint Léon est celui qui a ces phrases très fortes : « Et en effet c’était une grande et ineffable cause de joie, qu’en présence de la sainte multitude la nature humaine s’élevait au-dessus de la dignité de toutes les créatures célestes, pour dépasser les ordres angéliques, pour être élevée plus haut que les Archanges, et ne s’arrêter dans ses élévations sublimes que, lorsque reçue dans la demeure du Père éternel, elle serait associée au trône et à la gloire de Celui à la nature duquel elle se trouvait déjà unie en son Fils. »

    C’est là que se trouve ensuite la phrase qui a été trafiquée pour en faire une collecte, et le texte se poursuit ainsi : « Car nous n’avons pas seulement été affermis aujourd’hui comme possesseurs du paradis ; mais en la personne du Christ nous avons pénétré au plus haut des cieux ; et nous avons plus obtenu par sa grâce ineffable que nous n’avions perdu par l’envie du diable. En effet, ceux que le venimeux ennemi avait bannis de la félicité de leur première demeure, le Fils de Dieu se les est incorporés (eos sibi concorporatos), et il les a placés à la droite du Père, avec qui étant Dieu, il vit et règne en l’unité du Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Amen. »

    En dehors de la phrase trafiquée, ce sermon a disparu de la liturgie « rénovée ». De même que le sermon de saint Grégoire le Grand qui était une belle explication littérale de l’évangile de ce jour. A la place on a mis un extrait d’un sermon de saint Augustin, qui a peut-être inspiré saint Léon, mais insiste sur… notre condition terrestre…

    Il est inutile sans doute d’insister une fois de plus sur le terrible appauvrissement de la néo-liturgie, tellement ratatinée qu’elle a perdu l’essentiel de ses antiennes et de ses répons. Mais ici c’est plus dommageable que pour Pâques, car on a supprimé l’octave de l’Ascension (appelée « temps de l’Ascension » en 1960), et donc dès le lendemain on se retrouve dans le temps pascal. Non seulement on ne pouvait donc pas distiller en ces jours ce qu’on avait supprimé du jour de la fête, mais on interdit aux fidèles de prolonger la méditation sur ce mystère si admirable et plein de sens. Comment a-t-on pu jeter le magnifique deuxième répons des matines, inspiré de l’Ecclésiastique, avec un verset du psaume 18 :

    ℟. Omnis pulchritudo Domini exaltata est super sidera : species eius in nubibus caeli et nomen ejus in aeternum permanet, alléluia. ℣. A summo cælo egressio ejus, et occursus ejus usque ad summum ejus. (Toute la beauté du Seigneur a été exaltée au-dessus des étoiles, on le voit dans les nuées du ciel, et son nom demeure éternellement, alléluia. Sa sortie est du haut du ciel, et son parcours jusqu’à son sommet.)

    Le dimanche après l’Ascension est donc devenu le « 7e dimanche de Pâques ». Paradoxalement, la collecte évoque pourtant un aspect du mystère de l’Ascension. Parce qu’on a pris une ancienne collecte qui figurait dans certains sacramentaires au jour de l’Ascension, et dans certains autres à la vigile (mais jamais au dimanche suivant) – inusitée depuis le XIIe siècle.

    La collecte des anciens sacramentaires :

    Adesto, domine, supplicationibus nostris, ut sicut humani generis salvatorem consedere tecum in tua majestate confidimus, ita usque ad consummationem saeculi manere nobiscum quemadmodum est pollicitus sentiamus.

    Ce qu’ils en ont fait :

    Supplicationibus nostris, Domine, adesto propitius, ut, sicut humani generis salvatorem tecum in tua credimus majestate, ita eum usque ad consummationem saeculi manere nobiscum, sicut ipse promisit, sentiamus.

    Traduction officielle :

    Sois favorable à nos supplications, Seigneur, afin que de même que nous croyons que le Sauveur du genre humain est avec toi dans ta majesté, nous percevions qu’il demeure avec nous jusqu’à la consommation des siècles, comme il nous l’a promis lui-même.

    Ici on a un exemple type de la collecte trafiquée pour le plaisir de trafiquer... et d’affaiblir le texte originel. On a enlevé « adesto » du début pour le mettre plus loin, alors que tant d’oraisons traditionnelles commencent par cet « adesto ». On a ajouté « propitius », pourquoi pas. Mais on a retiré « consedere » : le Sauveur ne siège plus, il n’est plus assis avec le Père dans sa majesté. Non seulement on affaiblit l’oraison en supprimant cette image (trop royale ?)... de l'Evangile et du Credo, mais on détruit le rythme « consedere… confidimus ».

    *

    Les jours qui précèdent l’Ascension sont les Rogations. En 1960 on a permis aux évêques de les célébrer en d’autres temps. En attendant de les supprimer dans le nouveau calendrier. Car il y a longtemps que nous avons une foi adulte qui ne compte plus sur d’antiques superstitions pour avoir de bonnes récoltes. Il convient toujours de se souvenir de cet ahurissant, de ce démoniaque « rapport doctrinal » (sic) des évêques de France, dès 1968 : « Sans doute, et il faut en prendre conscience, un héritage païen venant du fond des âges a-t-il sédimenté l’âme chrétienne dès sa naissance, et les séquelles de cet héritage sont loin d’être totalement disparues, même de notre rituel ; au scandale ou à la risée de l’homme moderne une partie, à vrai dire de plus en plus réduite de notre liturgie continue à demander à Dieu ce que le paysan demande à l’engrais, un salut cosmique qui fait de Dieu le suppléant de nos insuffisances. » Comme le remarquait Jean Madiran, il aurait fallu aussi supprimer le Pater, qui demande à Dieu de nous donner ce pain de chaque jour que nous fournit aujourd’hui « l’engrais »…

  • Il y a 50 ans (4) : l’Avent (1)

    Pour détruire rationnellement la liturgie, la commission ad hoc devait être assistée de sous-commissions. Dont une sur le calendrier, et une sur les collectes (les oraisons de la messe). La première question que se posa la sous-commission du calendrier fut celle-ci : doit-on laisser l’Avent comme premier temps de l’année liturgique, ou doit-on en faire le denier temps ? Sic. Ce n’est pas une blague. Le prétexte était que l’Avent annonce aussi le retour du Christ… Finalement on décida de garder l’Avent au début de l’Année liturgique…

    Pendant ce temps, la sous-commission des collectes élaborait les grands principes qui allaient commander son dur travail :

    1. Ne pas répéter.
    2. Corriger les textes corrompus.
    3. Supprimer ce qui ne correspond pas à la vie de l’Eglise aujourd’hui, et les adapter aux besoins de la vie chrétienne de nos jours. (Cela deviendra ensuite : les rendre conformes aux « aspirations contemporaines » et adaptées à « la mentalité contemporaine ». Sic !)
    4. Respecter les genres littéraires et les fonctions liturgiques (collectes, offertoire, postcommunion).
    5. Toutes les oraisons sont adressées au Père.
    6. Créer de nouvelles oraisons par centonisation, des oraisons entièrement nouvelles ne sont pas exclues.

    « Ne pas répéter » : ce principe est contraire à toute tradition liturgique, et à toute tradition tout court. La répétition est au contraire un principe de base de la liturgie, comme elle est un principe de base de tout enseignement. C’est à force de répéter les mêmes psaumes, les mêmes prières, qu’on s’élève dans la vie spirituelle.

    Dans la liturgie traditionnelle, la collecte de la messe du dimanche (qui est le plus souvent d’une grande richesse théologique et spirituelle) est l’oraison qui est répétée à toutes les heures et à toutes les messes de la semaine qui suit, sauf fête de saint, sauf aussi pendant le carême qui est un temps très spécial d’entraînement intense. Ainsi peut-on s’en pénétrer, et en goûter toutes les beautés. Pendant l’Avent, cela consiste essentiellement à répéter inlassablement au Christ : Veni. Viens, Seigneur Jésus. Viens sur notre terre. Viens nous sauver.

    Donc beaucoup d’oraisons de l’Avent sont, depuis toujours, adressées au Fils, à celui qui vient. Alors que dans le reste de l’année les oraisons sont généralement adressées au Père. Mais le rationalisme obtus des réformateurs a voulu que toutes les oraisons soient adressées au Père. Peu importe le caractère particulier de l’Avent. On décrète qu’il n’en a plus, au nom de l’uniformisation générale. Et comme en outre il ne fallait pas répéter, il fallait donc trouver ou inventer des collectes pour tous les jours de l’Avent… Car on a fabriqué des messes pour tous les jours de l’Avent, et pour tous les jours de l’année, alors que déjà les pratiquants du dimanche se font rares, et c’est d’autant plus absurde pour l’Avent que, là où des fidèles se pressent encore à la messe de semaine, comme en Pologne, c’est pour la messe de la Sainte Vierge, aux flambeaux, toujours identique…

     

    Ces collectes christocentriques de l’usus antiquior, tant quant à leur destinataire que par leur répétition, soulignent l’urgence du cri de l’Église pendant la période de l’Avent, le cri de toute l’humanité et de toute la création aspirant à la venue de son Seigneur, par un ineffable miracle, en son sein, pour le guérir et l'élever de l'intérieur: VENI, DOMINE - Viens, Seigneur Jésus, ne tarde pas. Maranatha. Lève-toi pour sauver une race déchue. Viens nous sauver de notre misère et de notre péché. Nous appelons le Messie, le Christ d'Israël, qui est déjà venu sur la terre, que nous souhaitons inviter à nouveau dans nos cœurs et qui reviendra pour juger les vivants et les morts. L’Avent est la saison de l’attente du Rédempteur et Sauveur tant espéré, et nous, dans notre sainte impatience, ne pouvons pas résister à l’appeler. EXCITA, disons-nous hardiment, encore et encore : Suscite ton pouvoir et viens, ne tarde pas, ne sois pas silencieux, ne sois pas invisible, ne nous laisse pas à notre misère. O Verbe, Vie éternelle, prends chair et touche-nous de Ta chair. Seule la Sainte Mère Eglise, remplie de l'Esprit de Dieu, pouvait oser ainsi prier, en plaçant ces paroles sur les lèvres de nos ancêtres et de tant de saints qui adoraient avec le rite romain traditionnel. (Lauren Pristas, The collects of the roman missal)

    La collecte du premier dimanche de l’année liturgique commence par les mêmes trois premiers mots que la collecte du dernier dimanche de l’année liturgique. La boucle est bouclée. Nous reprenons notre pèlerinage annuel.

    Excita, quǽsumus, Dómine, poténtiam tuam, et veni : ut ab imminéntibus peccatórum nostrórum perículis, te mereámur protegénte éripi, te liberánte salvári.

    Eveille ta puissance, Seigneur et viens, pour que, dans le grand péril où nous sommes à cause de nos péchés, nous puissions trouver en toi le défenseur qui nous délivre et le libérateur qui nous sauve.

    De façon plus littérale :

    Fais lever ta puissance, Seigneur, et viens, pour que, des périls qui sont suspendus au-dessus de nous à cause de nos péchés, nous méritions d’être arrachés parce que tu nous protèges, et d’être sauvés parce que tu nous délivres.

    Telle est la sublime première collecte de l’année dans la liturgie traditionnelle. C’est un chef-d’œuvre de saint Grégoire le Grand. Tout y est :

    — L’urgence qui est le propre de l’Avent, de l’attente : abrège cette attente, vois dans quel péril nous sommes à cause de nos péchés, viens tout de suite !

    — La reconnaissance que nous sommes pécheurs, sans chercher à nous excuser, à nous cacher, à finasser. Nous sommes en train de sombrer dans l’abîme parce que nous sommes pécheurs. C’est entièrement de notre faute.

    — La confiance en celui qui sauve, la confiance en la rédemption qui nous est offerte. Parce que nous confessons notre péché, nous mériterons d’être arrachés aux périls par toi qui nous protèges, par toi qui es notre libérateur. Avec ce balancement, ce jeu des assonances, dans un rythme parfait : te mereámur protegénte éripi, te liberánte salvári.

    Dans un premier temps (dans le schéma où ils énonçaient leurs six principes), les destructeurs n’avaient pas osé toucher à cette collecte, qui en quelques mots dit toute l’attente de l’Avent et toute l’attente de l’année liturgique. Mais l’entraînement révolutionnaire a eu raison de ce respect premier, et ils ont finalement osé enlever cette collecte. Ils l’ont néanmoins conservée, mais l’ont reléguée au premier vendredi, où personne ne la verra.

    Pour la remplacer ils sont allés chercher une oraison du sacramentaire dit Vieux Gélasien. On se souvient que le 4e principe commandait de « respecter les genres littéraires et les fonctions liturgiques ». Eh bien on commence par ne pas respecter le principe qu’on a édicté. Car l’oraison qu’on a choisie est une postcommunion, indiquée comme telle dans le Gélasien, et dans les quelques codex où on la trouve, entre le VIIIe et le Xe siècle, avant qu’elle disparaisse. Et elle n’a pas disparu par hasard, mais parce qu’elle n’est pas bonne. Elle n’est tellement pas bonne que les « restaurateurs » lui ont infligé pas moins de neuf modifications.

    Voici le texte originel, suivi de celui qu’ils en ont fait :

    Da, quaesumus, omnipotens Deus, cunctae familiae tuae hanc voluntatem in Christo filio tuo domino nostro venienti: in operibus iustis aptos occurrere, et eius dexterae sociati regnum mereantur possidere caelesti.

    Donne, nous (te le) demandons, Dieu tout-puissant, à toute ta famille cette volonté, dans le Christ ton fils notre Seigneur qui vient, de se présenter aptes par des œuvres justes, et qu’associés à sa droite ils méritent de posséder le royaume céleste.

    Da, quaesumus, omnipotens Deus, hanc tuis fidelibus voluntatem, ut, Christo tuo venienti iustis operibus occurrentes, eius dexterae sociati, regnum mereantur possidere caeleste.

    Donne, nous (te le) demandons, Dieu tout-puissant, à tes fidèles cette volonté afin que, allant avec des œuvres justes à la rencontre de ton Christ, associés à sa droite, ils méritent de posséder le royaume céleste.

    A première vue les réformateurs ont seulement supprimé quelques mots. Mais c’est une illusion d’optique. Si l’on regarde de plus près, les destructeurs ont profondément modifié la prière. Dans le Gélasien, la volonté que l’on demande à Dieu est la volonté dans le Christ, et c’est la volonté d’aller à sa rencontre et de mériter de posséder le royaume. Dans la nouvelle version, c’est une volonté qui n’est plus dans le Christ et qui n’a plus d’effet exprimé. On ne demande plus d’être « aptes », parce que ça va de soi que nous sommes aptes puisque nous avons « la volonté », et puisque nous allons vers le Christ avec des œuvres justes nous méritons de posséder le royaume céleste…

    Cette atmosphère pélagienne et activiste est typique de toute la néo-« liturgie ».

    Il faut ajouter que la plupart des fidèles n’entendent pas la collecte en latin mais dans sa traduction, qui en français est (comme d’habitude) encore plus éloignée de l’original :

    Donne à tes fidèles, Dieu tout puissant, d’aller avec courage sur les chemins de la justice à la rencontre du Seigneur, pour qu’ils soient appelés, lors du Jugement, à entrer en possession du Royaume des cieux.

    La volonté est devenue le courage, on a supprimé la conjonction, le mérite est devenu appel, et pourquoi se gêner puisque c’est la créativité qui compte, et que le résultat est de toute façon qu’on ira tous au paradis…