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Il y a 50 ans (16) : le carême (2)

Dès la « prière sur les offrandes » du mercredi des Cendres, apparaît ce qui est une constante de la « réforme liturgique » : la valorisation des actes humains au détriment du rôle de la grâce, jusqu’à un néo-pélagianisme qui pour être implicite n’en est pas moins prégnant, comme on l’a vu dès l’Avent.

Cette oraison est aussi un exemple de la tambouille des experts : on a pris le début d’une secrète du sacramentaire gélasien, et la fin d’une préface du sacramentaire ambrosien de Bergame. Puis on a dénaturé la secrète gélasienne, en lui donnant une tonalité pélagienne. Et enfin on y a accolé une expression de la préface ambrosienne en prenant soin de supprimer tout ce qui précédait et qui était une forte affirmation de la primauté de la grâce.

Voici le résultat :

Sacrificium quadragesimalis initii sollemniter immolamus, te, Domine, deprecantes, ut per paenitentiae caritatisque labores a noxiis voluptatibus temperemus, et a peccatis mundati, ad celebrandam Filii tui passionem mereamur esse devoti.

Nous immolons solennellement le sacrifice du début du carême, te priant, Seigneur, que par les labeurs de la pénitence et de la charité nous nous abstenions des voluptés coupables et que, purifiés du péché, nous méritions d’être zélés à célébrer la Passion de ton Fils.

De l’oraison gélasienne on a supprimé « epularum restrictione carnalium », la restriction de viande, afin de gommer ce qui a trait au jeûne corporel. L’abstinence est remplacée par les labeurs de pénitence et de charité, que chacun interprète comme il veut, et qui modifie le sens de la prière. Mais surtout on a supprimé tout ce qui dans la préface ambrosienne reconnaît que c’est la grâce de Dieu qui nous permet de bien agir, qui nous accompagne avant et après l’action, qui confère l’efficacité de notre action, et in fine que c’est Dieu qui nous rendra capables de célébrer avec zèle la Passion, et non nos mérites…

Voici le texte latin et une traduction littérale.

Vere dignus . . . aeterne Deus, cuius nos misericordia praevenit ut bene agamus subsequitur ne frustra agamus, accendit intentionem qua ad bona opera peragenda inardescamus tribuit efficaciam qua haec ad perfectum perducere valeamus. Tuam ergo clementiam indefessis vocibus obsecramus, ut nos ieiunii victimis, a peccatis mundatos, ad celebrandam unigeniti filii tui domini nostri passionem facias esse devotos, per quem maiestatem.

… Dieu éternel, dont la miséricorde vient au-devant de nous afin que nous agissions bien, nous suit afin nous n’agissions pas en vain, embrase notre intention par laquelle nous soyons enflammés à accomplir des œuvres bonnes, confère l’efficacité par laquelle nous puissions être capables de les accomplir. Nous supplions donc ta clémence, inlassablement, que tu fasses que, purifiés de nos péchés par les sacrifices du jeûne, nous soyons zélés à célébrer la Passion de ton Fils notre Seigneur.

Cette « prière sur les offrandes » du mercredi des Cendres est une de celles dont Antoine Dumas était le plus fier. Une des 11 qu’il cite en exemple dans son opuscule.

Une autre est la « prière sur les offrandes » du troisième dimanche de Carême, qui est un tripatouillage de la secrète du samedi de la deuxième semaine de Carême (autrement dit, de la veille, dans le missel traditionnel…). L’oraison traditionnelle dit :

His sacrificiis, Domine, concede placatus, ut, qui propriis oramus absolvi delictis, non gravemur externis.

Apaisé par ce sacrifice, faites, Seigneur, que, nous qui prions d’être absous de nos propres fautes, nous ne soyons pas chargés de celles d’autrui.

On remarque la construction de la demande en chiasme, avec au centre le mot delictis, et aux extrémités propriis et externis. Parallélisme en contraste renforcé par les verbes absolvi et gravemur.

Antoine Dumas et ses complices ont cassé le chiasme, et ont pondu ceci :

His sacrificiis, Domine, concede placatus, ut, qui propriis oramus absolvi delictis, fraterna dimittere studeamus.

Apaisé par ce sacrifice, fais, Seigneur, que, nous qui prions d’être absous de nos propres fautes, nous nous efforcions de pardonner celles de nos frères.

L’oraison, explique Dumas, « change l’expression : non gravemur externis, difficilement compréhensible, en : fraterna dimittere studeamus, décidément plus évangélique ».

Or l’expression supprimée est une citation du psaume 18, et elle est compréhensible par tous les pécheurs (mes péchés me suffisent amplement, épargne-moi ceux des autres…). Et elle est remplacée par une expression qui sort de nulle part, mais qu’on est censé trouver « décidément plus évangélique »…

Parmi les 11 oraisons que dom Antoine Dumas donne en exemple dans son opuscule, ces deux-là sont les seules où l’on trouve un mot pouvant indiquer que la vie chrétienne n’est pas toujours facile. C’est labores (les labeurs) dans la première, studeamus (nous nous efforçons) dans la seconde. Le moins qu’on puisse dire est que ces deux mots n’évoquent pas de graves difficultés… Mais ce sont les seuls. Tout le reste est « une présentation de la vie chrétienne dans laquelle rien ne menace le bien-être en Christ ou ne jette une ombre quelconque », souligne Lauren Pristas dans un article de The Thomist sur le nouveau missel. Quand les oraisons reprennent des oraisons traditionnelles, « toutes les difficultés réelles ou potentielles de la vie chrétienne citées dans les textes sources ont été supprimées ». Notamment « les dangers spirituels posés par les péchés des non-chrétiens, les attaques diaboliques, la fragilité humaine, les séductions du monde et les désirs désordonnés ».

Est-ce vraiment évangélique ?

Lauren Pristas ajoute : « La suppression de toute mention de ce qui présente des dangers pour le bien-être spirituel inclut la pratique de modifier les textes afin qu'ils présentent les choses de ce monde sous un jour neutre ou tout à fait positif. Dumas, dans sa discussion de “terrena despicere et amare caelestia” [cf. Il y a 50 ans 5], identifie “la mentalité moderne et les directives de Vatican II” comme les deux raisons des révisions de ce genre. Nulle part dans son essai, cependant, il ne mentionne explicitement les directives du Concile ou les aspects de la mentalité moderne qu'il juge devoir exiger de telles révisions. »

La fabrication de la nouvelle collecte du quatrième dimanche de Carême est également très significative. On a pris la première partie d’une oraison du sacramentaire Gelasianus Vetus pour le mercredi de la deuxième semaine, on y a ajouté une expression d’un sermon de Carême de saint Léon le Grand, et on a inventé la fin.

Ce qui importe une fois de plus est ce qui a été supprimé. La fin de l’oraison du Gélasien, donc la demande qui était formulée, est que « par le saint jeûne nous soyons soumis de tout notre cœur ». Exit le jeûne, exit la soumission. Que l’on remplace par ceci : « afin que le peuple chrétien par une dévotion empressée et une foi alerte » (puisse se hâter vers les solennités à venir). Les mots sont bien dans saint Léon, et ils sont joliment expressifs, mais voici le texte originel : « puisqu’il convient que le peuple chrétien, en quelque degré d’abstinence qu’il soit établi, souhaite davantage se nourrir de la parole de Dieu que de nourriture corporelle, embrassons par une dévotion empressée et une foi alerte ce jeûne solennel… » En bref le propos de saint Léon est gravement falsifié : l’empressement de la dévotion et de la foi ne concerne plus le jeûne mais la fête pascale…

Voici les textes.

GeV 178 :

Deus qui per Verbum tuum humani generis reconciliationem mirabiliter operaris, praesta, quaesumus, ut sancto ieiunio et tibi toto simus corde subiecti et in tua nobis efficiamu praece concordes.

Saint Léon :

… dignumque est ut populus Christianus in quantacumque abstinentia constitutus, magis desideret se Dei verbo quam cibo satiare corporeo, prompta devotione et alacri fide suscipiamus solemne jejunium…

Néo-« liturgie » :

Deus, qui per Verbum tuum humani generis reconciliationem mirabiliter operaris, praesta, quaesumus, ut populus christianus prompta devotione et alacri fide ad ventura sollemnia valeat festinare.

Dieu qui par ton Verbe a merveilleusement opéré la réconciliation du genre humain, fais, nous t’en prions, que le peuple chrétien, par une dévotion empressée et une foi alerte, puisse se hâter vers les solennités à venir.

Il n’y a rien dans cette oraison qui soit spécifique du Carême, qui exprime quelque chose de la pénitence de l’homme blessé par le péché. Le contraste est saisissant avec la collecte traditionnelle du même dimanche :

Concede, quaesumus, omnipotens Deus, ut qui ex merito nostrae actionis affligimur, tuae gratiae consolatione respiremus.

Fais, nous te le demandons, Dieu tout-puissant, que nous qui sommes affligés à juste titre à cause de nos actions, nous reprenions haleine par la consolation de ta grâce.

 

Rappel

Quand j’évoque les nouvelles oraisons c’est toujours dans leur texte latin officiel. Il convient de ne jamais oublier que la néo-« liturgie » ne les utilise quasiment partout qu’en traduction, selon la volonté de Paul VI et de ses experts. Or il peut y avoir très loin du texte à sa « traduction ». La postcommunion du mercredi des Cendre est un exemple particulièrement spectaculaire de la trahison de la « traduction », parce qu’on a gardé l’oraison traditionnelle mais qu’on lui fait dire tout autre chose, afin de ne pas évoquer le jeûne :

Percépta nobis, Dómine, prǽbeant sacraménta subsídium : ut tibi grata sint nostra ieiúnia, et nobis profíciant ad medélam.

Que les sacrements que nous avons reçus nous donnent, Seigneur, le secours, afin que nos jeûnes vous soient agréables, et servent à notre guérison.

Voici la « traduction » de la néo-« liturgie » :

Que cette communion, Seigneur, nous ouvre à la justice et à la charité, pour que nous observions le seul jeûne que tu aimes et qui mène à notre guérison.

Le « seul » jeûne n’est pas celui de l’oraison latine, mais celui où l’on ne jeûne pas…

Commentaires

  • Merci pour ce travail très sérieux. Et il ne faut pas oublier que les traductions ne sont pas faites par des méchants Français qui dénaturent ce que Rome a publié, mais que tout est soumis à l'approbation de Rome.
    Dans l'article précédent vous disiez que Paenitemini abolissait le jeûne: c'est un peu exagéré. Paul VI y répète plusieurs fois que le jeûne est important. Et il paraît que ce texte a sonné pour l'Espagne la fin d'un indult qui la dispensait de jeûne!

  • Merci Éric

    Pourriez-vous préciser cette histoire de dispense de jeûne pour l Espagne ??

  • Supprimer l'obligation de quelque chose de pénible est évidemment toujours supprimer la chose en question. Ce n'est pas nouveau.

    Et l'on insiste bien sûr, hypocritement, sur le fait qu'il faut faire pénitence, en même temps qu'on supprime la première forme de pénitence.

    Schéma "classique".

  • La Bulla cruciata (en souvenir de la Reconquista) permettait d’abord aux Espagnols, puis à tous les peuples jadis sous leur domination, de se soustraire aux plus dures obligations quadragésimales. Elle est à peu près abolie par saint Pie X, mais certaines dispositions sont remises en vigueur par Benoît XV puis Pie XI

  • Merci cher yves pour ce travail précis et précieux.

    Il est étonnant de penser que le pape François, heureusement régnant,a fait de la lutte contre le pelagianisme une priorité de son pontificat !

    Accessoirement je pense que les fidèles ordinaires (qui n ont souvent pas de missel) n ecoutent pas ni ne lisent ni ne méditent les oraisons liturgiques....

  • Je précise que pour moi une des raisons de la supériorité de la forme extraordinaire (bien nommée) est de permettre aux fidèles de méditer des oraisons non seulement anciennes mais aussi richesses et profondes

  • Cela n'a qu'un rapport indirect avec ce que vous écrivez, mais j'ai adressé un courriel à mon curé, qui a décrété ce matin qu'il ne donnerait plus la communion sur les lèvres, à cause du coronavirus !
    Je ne sais pas s'il est pénible de donner la communion comme les prêtres catholiques l'ont fait pendant deux mille ans, y compris pendant la grande peste de 1347-1342, mais je constate que notre belle hiérarchie ecclésiale saute sur toutes les occasions de désacraliser la liturgie et de massacrer le peu qui reste de foi et de respect pour le plus sublime et mystérieux des sacrements. Dès que le pli sera pris, la communion sur les lèvres sera considérée comme un usage dégoutant, un infâme résidu médiéval tout juste bon pour les vieux débris homophobes et hostiles au merveilleux apport migratoire. Ce sera la communion réservée aux nazis, dans des lieux de culte rares, fréquemment profanés par la LDJ et les ultra-gauchistes de bon sens...
    Si vous êtes dans mon cas, faites comme moi, et menacez donc votre curé de ne plus verser le denier du culte.

  • 1347-1352

  • Je suis tenté d'être d'accord avec vous... (et le desservant de ma paroisse Summorum pontificum n'a pas suivi la consigne de l'évêque).
    Mais l'exemple de la Peste Noire, que vous donnez, n'est pas très encourageant.

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