« C’est destiné, à long terme mais inévitablement, à changer la mentalité théologique et la spiritualité même du peuple catholique. » Dom Adrien Nocent, l’un des principaux auteurs de la nouvelle liturgie, et particulièrement du nouveau lectionnaire.
Parmi ceux qui critiquent la nouvelle « liturgie », un certain nombre concèdent que le nouveau lectionnaire est une réussite, parce qu’il permet de faire connaître aux fidèles une beaucoup plus grande quantité de textes de la Sainte Ecriture : le nouveau missel est ainsi beaucoup plus riche que celui de la liturgie traditionnelle.
C’est une grave erreur. La liturgie n’est pas un office de lectures, mais un sacrifice de louange. Multiplier les lectures dans la liturgie, c’est confondre la liturgie et la lectio divina. Deux choses qui ont toujours été soigneusement distinguées.
Or le nouveau lectionnaire a une fonction quasi indépendante de l’offrande du sacrifice. D’où les expressions « liturgie de la parole » et « liturgie eucharistique » : deux liturgies mises bout à bout.
Et pour multiplier les lectures on a inventé un système d’une complication inouïe. La plupart des fidèles ne connaissent que les lectures des dimanches, qui sont sur trois ans – ce qui affaiblit considérablement la notion d’année liturgique, une année qui doit recommencer toujours avec la même liturgie, donc les mêmes textes, comme la nature reprend le rythme immuable des saisons.
Mais en semaine il y a deux cycles : la première lecture sur deux ans, l’évangile sur un an. Et pour la « liturgie des heures » il y a un cycle sur un an et, en complément, un cycle sur deux ans…
Cet amoncellement et cette complication ne peuvent cacher que, s’il y a effectivement beaucoup plus de lectures que dans la liturgie traditionnelle, il manque un certain nombre de textes, et que ces absences sont très significatives de la nouvelle orientation qu’on veut donner. De même, de nombreux textes sont au choix en version complète ou en version abrégée, et naturellement tout le monde choisit la version abrégée, celle qui omet des versets gênants…
Un exemple manifeste est l’évangile du 17e dimanche ordinaire, année A. C’est la triple parabole du trésor dans un champ, de la perle fine, et du filet qui ramène toutes sortes de poissons (Matthieu 13,44-52). Ces trois paraboles forment un tout. Mais la lecture brève ne retient que les deux premières. Parce qu’il faut éviter la fin de la péricope, qui est traumatisante pour nos contemporains, n’est-ce pas : à la fin du monde les anges sépareront les justes des méchants et jetteront ceux-ci dans fournaise, où seront les pleurs et les grincements de dents… Il faut laisser de côté la perspective de l’enfer et le fâcheux refrain évangélique des pleurs et des grincements de dents, puisque nous savons que tout le monde va au paradis…
Un évangile aussi important que celui où Jésus proclame à la face des juifs : « avant qu’Abraham advînt, Je Suis » (Jean 8,58), qui dans la liturgie traditionnelle est bien à sa place au premier dimanche de la Passion, a été relégué à un jour de semaine.
Il est ahurissant de constater que la description des quatre Vivants, au premier chapitre d’Ezéchiel, est absente de la nouvelle « liturgie », alors qu’elle est l’une des pages les plus saisissantes de toute la Bible, qu’elle a été l’objet de nombreux commentaires des pères, et qu’elle a inspiré une gigantesque iconographie au long des siècles, particulièrement pour représenter les quatre évangélistes, et qu’elle a toujours fait partie de la liturgie des évangélistes.
Mais il est carrément stupéfiant que nulle part il n’y ait l’avertissement de saint Paul à ceux qui communient indignement (1 Corinthiens 11,29). L’épître du jeudi saint s’arrête juste avant… Depuis 50 ans, les fidèles qui bénéficient d’une tellement plus grande richesse de l’Ecriture n’ont jamais entendu ceci : « C'est pourquoi quiconque mangera ce pain ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable envers le corps et le sang du Seigneur. Que l'homme s'éprouve donc lui-même, et qu'ainsi il mange de ce pain et boive de ce calice. Car celui qui mange et boit indignement, mange et boit sa condamnation, ne discernant pas le corps du Seigneur. » D’un seul coup on diminue la conscience du péché, la foi en l’eucharistie et le respect dû envers le Corps du Seigneur. Et c’est hélas ce que l’on constate un peu partout…
L’abondance permet de donner une bien moindre importance aux miracles, alors que le paganisme ambiant demanderait le contraire, comme à l’époque du Christ et des apôtres – mais nombre de clercs (dont les fabricants de la néo-« litrugie ») ne croient plus aux miracles. La proportion de paroles par rapport aux miracles (dimanches A-B-C) est de 81% contre 19%, alors que dans la liturgie traditionnelle elle est de 59% contre 41%.
La première lecture de la messe est toujours un passage de l’Ancien Testament qui a un rapport avec l’évangile du jour. Cela a été fait de façon très primaire. On souligne un lien de façon univoque, laissant croire aux fidèles que c’est le seul lien qu’on puisse établir - c’est en tout cas celui qu’on leur martèle tous les trois ans – ce qui est un attentat contre l’Ecriture, qui est un réseau inépuisable d’échos, de résonances. Et l’on aggrave encore le phénomène en choisissant pour ce qui remplace le graduel des versets de psaumes qui ont eux aussi un lien, ou dont on fait croire qu’ils ont un lien, car ce lien est souvent artificiel, avec la première lecture. Inutile d’insister sur le fait qu’il s’agit là d’une invention de ceux qui osent se dire les « restaurateurs » de la liturgie et qui n’étaient que de petits professeurs pénétrés du rationalisme contemporain.
La nécessité de trouver systématiquement des lectures différentes sur trois ans aboutit à des choix aberrants. Ainsi l’évangile de l’Ascension pour l’année A… n’évoque pas l’Ascension. Pour la Pentecôte, année A, c’est pire. L’évangile est celui où Jésus apparaît aux apôtres le soir de Pâques et souffle sur eux en leur disant : « Recevez l’Esprit Saint ». Proclamer cette péricope à la messe de la Pentecôte ne peut qu’engendre de la confusion chez les fidèles. Car à quoi bon la Pentecôte si les apôtres ont déjà reçu le Saint-Esprit ? Dans le missel traditionnel, c’est l’évangile du premier dimanche après Pâques, avec la suite qui est ce qui se passe le dimanche suivant, donc ce dimanche après Pâques (saint Thomas). Et là il est clair que ce don du Saint-Esprit est distinct de celui de la Pentecôte.
Le fait de remplacer le graduel par de nombreux versets de psaumes fait croire aux fidèles qu’ils ont une vision très large du psautier. Or la censure qui sévit dans la liturgie des heures se retrouve aggravée dans le missel. Ainsi le psaume 34, dont des versets sont chantés huit fois dans la liturgie traditionnelle de la messe, ne se retrouve qu’une fois, dans l’introït du lundi saint (là où l’on dit encore l’introït, c’est-à-dire à peu près nulle part)…
Les si beaux textes des chapitres 5 et 10 de la Sagesse que la liturgie traditionnelle utilise dans la liturgie des martyrs sont absents du nouveau missel (les versets du chapitre 10 se trouvent comme « cantique » dans deux communs de la liturgie des heures).
La liturgie traditionnelle fait peu appel aux Actes des apôtres, alors que le nouveau lectionnaire en fait une lecture presque intégrale. Il est intéressant de voir ce qui a été coupé. En l’occurrence ce qui a été censuré. Par exemple les 11 premiers versets du chapitre 5. Alors qu’on lit la fin du chapitre 4 au 2e dimanche de Pâques année B, on lit le chapitre 5 à partir du verset 12 au 2e dimanche de Pâques année C. Ce qui est subtilisé : l’histoire d’Ananie et Saphire, qui tombent raide morts quand saint Pierre leur fait remarquer qu’ils ont subtilisé une partie de l’argent qu’a rapporté la vente d’un champ…
On remarque aussi une étrange coupure dans l’évangile de la fête de saint Matthias : on lit « Actes des apôtres 1 15-17 20a 20c-26 ». Sic. On a coupé les deux versets 18-19 où saint Pierre raconte le suicide de Judas (c’est trop affreux pour la sensibilité d’aujourd’hui, sans doute), puis on a coupé « 20b », à savoir la citation que fait saint Pierre du psaume 68 : c’est l’un des versets de ce psaume qui ont été censurés dans la liturgie des heures, donc on censure saint Pierre aussi… On le censure deux fois dans ce bref discours de 7 versets.
On vante le nouveau lectionnaire de faire entendre de nombreux textes de l’Ancien Testament. Mais il y a aussi de nombreux passages de l’Ancien Testament qui sont lus dans la liturgie traditionnelle et qui ont été expurgés dans le nouveau lectionnaire. La plupart parce qu’ils ne correspondent pas au nouveau paradigme tout le monde il est beau tout le monde il est gentil et nous irons tous au paradis. Le Dieu de l’Ancien Testament doit être sévèrement censuré. Ses serviteurs aussi, y compris Jacob (Gen. 27,30-39 ; 49,2-27 sauf la bénédiction de Juda le 17 décembre) et Moïse (Dt 31,24-30). Le livre de Judith est presque entièrement censuré : on trouve seulement la description de Judith veuve pour la « mémoire » de sainte Elisabeth de Hongrie, et un morceau de l’éloge de Judith pour celle de sainte Geneviève (propre de France). Pas question de célébrer ce qu’elle a fait d’Holopherne, c’est trop affreux… Même traitement pour Esther : c’est trop méchant pour les païens… Et c’est autant de prophéties mariales et christiques - autant de beautés aussi - qui passent à la trappe.
C’est au point que le « jugement de Salomon » (1 Rois 3,16-28) a été supprimé. Dès 1966 un « schéma » déclarait que ce texte « non pertinet ad catechesim quadragesimalem » : n’est pas pertinent pour la catéchèse du carême. La liturgie confondue avec la catéchèse... Mais finalement il ne sera pertinent pour aucune partie de la liturgie… La sensiblerie moderne serait sans doute trop choquée par cet effroyable roi qui demande de couper un bébé en deux… Et voilà comment une des plus belles et plus célèbres pages de la Bible est passée sous silence dans la néo-« liturgie ».
Le Cantique des cantiques, dont la liturgie traditionnelle fait un abondant usage (d’abord pour la Sainte Vierge, mais pas seulement), a été quasiment expulsé de la néo-« liturgie » (on ne le trouve plus que dans la « mémoire » de sainte Marie Madeleine et l’office des lectures de la Visitation, plus deux fois en option). C’est un exemple tout particulier du mépris des novateurs pour la poésie sacrée, pour l’allégorie qui a nourri toutes les générations de mystiques, mais pas seulement, jusqu’au XXe siècle. Il en est de même des passages de l’Ecclésiastique qui sont en quelque sorte parallèles à ceux du Cantique des cantique.
Voici les références d’autres textes qui figurent dans la liturgie traditionnelle mais qu’on ne trouve nulle part dans le nouveau misse du dimanche, ni dans les 2.200 pages du nouveau missel de semaine, ni dans les plus de 7.000 pages (sic) de la Liturgia horarum. Il vaut la peine d’y aller voir de près, car les versets censurés illustrent le propos de dom Nocent mis en exergue. Il y a des choses qu’il ne faut pas présenter aux fidèles parce que ce n’est pas conforme à la nouvelle religion.
Matthieu 21,14-16.
Jean 7,3-9 ; Jean 11-24, 31-36 ; Jean 8,46-48 ; Jean 12,17-19.
Romains 12,17-21 ; I Corinthiens 10,7-9 ; II Corinthiens 8,16-24 ;Galates 4,25, 28-30 ; Galates 3,16-21 ; Galates 6,1-10 Ephésiens 4,25-28 ; Philippiens 4,3 ; I Thessaloniciens 2,15-17 ; I Pierre 2,6-8 ; I Pierre 2,11-19 ; I Pierre 4,17-19 ; 2 Thessaloniciens 2,3-8 ; Hébreux 1,7-12 ; Apocalypse 7,5-8.
Et de la magnifique allégorie de la « femme forte », qui termine le livre des Proverbes, et qu’on lit sans doute un peu trop souvent dans la liturgie traditionnelle, il ne reste que trois pauvres petits lambeaux.
Sans parler des textes qui ne figurent que dans des choix optionnels. Et il conviendrait de compléter le tableau avec des textes qui ne figuraient pas dans la liturgie traditionnelle mais qui ont été insérés dans le nouveau lectionnaire avec des coupures…
- Ce texte doit beaucoup aux études de Peter Kwasniewski parues sur les sites Rorate Caeli et New Liturgical Movement, et dans le recueil « Liturgy in the twenty-first century ».
Commentaires
Le dimanche: quel est le lien entre la deuxième lecture et l' évangile ??
Il n'y en a pas. Ce sont deux cycles indépendants de lectures "semi-continue".
Il y a une merveilleuse homélie de l'abbé Rioult sur ces sujets. En substance : "Quand on veut vous vendre un camembert, une bière ou un couteau, on vante la "bière de tradition", le "camembert de tradition", etc. Mais, pour la foi catholique, il en va tout autrement..." L'abbé Rioult est un homme de génie.
Félicitations cher Yves pour ce travail de fourmi.
Quelle masse de travail accompli par les réformateurs...derrière laquelle mon esprit critique exacerbé serait tenté de voir un immense orgueil...mais qui suis je pour les juger ?
La vision des 4 Vivants est quand même présente (partiellement) au lundi de la 19e semaine du TO.
Pour ceux qui veulent connaître l'histoire de ce bouleversement:
https://www.laprocure.com/lectionnaire-dominical-parole-ritualisee-modele-pascal-normand-bonneau/9782204093583.html
Tout en souscrivant à une bonne part de vos critiques (j'avais effectué il y a quelques années le relevé de textes de l'ancien missel supprimés, c'est effectivement ahurissant), je pense qu'il y avait quand même quelque chose à réformer. On voit que dans l'Antiquité on lisait les textes en continu (par exemple par le commentaire de la 1e épître de st Jean par st Augustin; ou par le fait que les lectures de st Paul prennent pendant plusieurs dimanches un extrait de chacune, dans le Temps ap la Pentecôte), n'était-ce pas louable de vouloir le retrouver? Même si la liturgie n'a pas principalement pour objet de lire la bible, la proclamation de la Parole dans la liturgie a un statut particulier.
Je me sens plus proche de cet article:
https://www.bible-service.net/extranet/current/pages/1013.html
J'essaie d'être sérieux, soyez-le aussi. J'ai passé des heures sur les nouveaux soi-disant missels pour écrire ces textes. Evidemment je connais la lecture du 19e lundi. C'est un immonde découpage qui, précisément, supprime la description des 4 Vivants, celle qui les fera assimiler aux évangélistes.
Je suis un prêtre du « novus ordo » ordonné en 2001. Je n’ai pas connu la messe traditionnelle (trop jeune).
Mais il y a longtemps que j’ai remarqué que les « lectures brèves » servent plus à censurer qu’à abréger. Aussitôt qu’on y trouve la géhenne, les grincements de dents et autres passages qui dérange les âmes fragiles, ces passages sont « facultatifs ». Dans la liste des passages omis, on pourrait ajouter celui de Daniel (7, 13-14) qui révèle bien le Fils de l’homme auquel Jésus s’identifie et qui révèle sans équivoque sa divinité.
Quand Jésus cite ce passage devant le Sanhédrin, c’est à ce moment que le grand prêtre déchire ses vêtement et crie au blasphème.
Ce passage n’apparaît qu’au Christ Roi de l’année B.
Et que dire des traductions bâclées du missel. (Et le bonheur que tu promet… vs beati spes).
Ces mauvaises traductions, je les trouve plus dommageables que le lectionnaire car j’ai toujours le loisirs de citer les omissions. Mais je suis obligé de rester fidèle au missel et aux rubriques.
Continuer votre bon travail.
Père Jean-Philippe Porin, à Lapalisse? sans indiscrétion... (un St-Martinois)
Le Père Viot a décrit la même chose dans l'annexe 1 "Le problème du lectionnaire" à son livre "La révolution chrétienne".
Et il indique qu'il avait vu ce problème alors qu'il n'était encore que Pasteur, avant sa conversion.