Lu sur Gènéthique :
Après la proposition du groupe Renaissance et celle de la Nupes, c’est maintenant du Sénat qu’émanent des tentatives pour inscrire l’avortement dans la Constitution française. Deux propositions de loi constitutionnelle ont été déposées le 27 juin. L’une est portée par le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste. L’autre est signée par le groupe socialiste, écologiste et républicain. Ce sont Laurence Rossignol, vice-présidente du Sénat, et Marie-Pierre de la Gontrie, qui sont à l’initiative de ce second texte.
Pour Bruno Daugeron, professeur de droit public à l’Université Paris Descartes, « c’est une tendance lourde de nos gouvernants que de vouloir modifier la Constitution, et plus exactement y ajouter pour répondre, sur le vif, à une question d’actualité politique ». « Y compris quand le sujet ne nous concerne pas », pointe-t-il. « Le rythme du législateur n’est pas et ne doit pas être celui de la communication politique, où l’instantanéité fait des ravages », rappelle Bruno Daugeron.
La protection du climat avait été abordée ainsi. Mais, en l’espèce, « on voyait au moins où la protection du climat pouvait trouver place au sein même du texte de la Constitution » souligne le professeur.
Pour l’avortement, au contraire, « on ne voit nul titre de la Constitution susceptible d’accueillir un tel principe, ni même aucun article si l’on veut conserver à la Constitution son caractère de norme suprême, c’est-à-dire de texte répartissant les compétences entre les différents organes de l’Etat sans se mêler de tout ni se réduire à un inventaire de droits », explique Bruno Daugeron.
Mais le problème est encore d’une autre nature. « Nous sommes ici face à un véritable problème de philosophie du droit », estime de son côté Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l’université Rennes 1 et vice-présidente de l’Association française de droit constitutionnel. « Comment peut-on consacrer dans une Constitution un droit qui n’existe pas au préalable ? », interroge-t-elle.
Car non, l’avortement n’est pas un droit. Ni en France, ni ailleurs, affirme le professeur. D’ailleurs la Cour européenne des droits de l’homme refuse de le reconnaître, rappelle-t-elle.
En effet, « reconnaître un droit à l’avortement supposerait de le relier au droit naturel, qui est l’un des fondements des droits de l’homme », pointe Anne-Marie Le Pourhiet. « Cela signifierait qu’avorter relèverait de la dignité humaine. Or, l’un des premiers principes des droits de l’homme demeure le respect de la vie humaine. »
« Même aux États-Unis, il était très difficile de parler d’un “droit constitutionnel” à l’avortement », estime le professeur. « Cette vision n’a jamais fait consensus dans le monde juridique américain », assure-t-elle.
Pour Anne-Marie Le Pourhiet, ces propositions sont une « réaction épidermique à la décision des juges américains ». Une réaction surprenante, estime-t-elle, quand personne en France ne s’est insurgé devant la jurisprudence de la Cour constitutionnelle allemande qui affirme, « dans le détail », « que la vie et la dignité du fœtus bénéficient de la même protection constitutionnelle que la liberté de la mère, et qui est allée jusqu’à exiger du législateur qu’il prévoie un entretien tendant à dissuader la femme d’avorter ».
Intégrer l’avortement à la Constitution française « ne changerait strictement rien à la jurisprudence du Conseil constitutionnel », soutient le professeur de droit public. Cette proposition est « dépourvue de sens ».