Pour détruire rationnellement la liturgie, la commission ad hoc devait être assistée de sous-commissions. Dont une sur le calendrier, et une sur les collectes (les oraisons de la messe). La première question que se posa la sous-commission du calendrier fut celle-ci : doit-on laisser l’Avent comme premier temps de l’année liturgique, ou doit-on en faire le denier temps ? Sic. Ce n’est pas une blague. Le prétexte était que l’Avent annonce aussi le retour du Christ… Finalement on décida de garder l’Avent au début de l’Année liturgique…
Pendant ce temps, la sous-commission des collectes élaborait les grands principes qui allaient commander son dur travail :
- Ne pas répéter.
- Corriger les textes corrompus.
- Supprimer ce qui ne correspond pas à la vie de l’Eglise aujourd’hui, et les adapter aux besoins de la vie chrétienne de nos jours. (Cela deviendra ensuite : les rendre conformes aux « aspirations contemporaines » et adaptées à « la mentalité contemporaine ». Sic !)
- Respecter les genres littéraires et les fonctions liturgiques (collectes, offertoire, postcommunion).
- Toutes les oraisons sont adressées au Père.
- Créer de nouvelles oraisons par centonisation, des oraisons entièrement nouvelles ne sont pas exclues.
« Ne pas répéter » : ce principe est contraire à toute tradition liturgique, et à toute tradition tout court. La répétition est au contraire un principe de base de la liturgie, comme elle est un principe de base de tout enseignement. C’est à force de répéter les mêmes psaumes, les mêmes prières, qu’on s’élève dans la vie spirituelle.
Dans la liturgie traditionnelle, la collecte de la messe du dimanche (qui est le plus souvent d’une grande richesse théologique et spirituelle) est l’oraison qui est répétée à toutes les heures et à toutes les messes de la semaine qui suit, sauf fête de saint, sauf aussi pendant le carême qui est un temps très spécial d’entraînement intense. Ainsi peut-on s’en pénétrer, et en goûter toutes les beautés. Pendant l’Avent, cela consiste essentiellement à répéter inlassablement au Christ : Veni. Viens, Seigneur Jésus. Viens sur notre terre. Viens nous sauver.
Donc beaucoup d’oraisons de l’Avent sont, depuis toujours, adressées au Fils, à celui qui vient. Alors que dans le reste de l’année les oraisons sont généralement adressées au Père. Mais le rationalisme obtus des réformateurs a voulu que toutes les oraisons soient adressées au Père. Peu importe le caractère particulier de l’Avent. On décrète qu’il n’en a plus, au nom de l’uniformisation générale. Et comme en outre il ne fallait pas répéter, il fallait donc trouver ou inventer des collectes pour tous les jours de l’Avent… Car on a fabriqué des messes pour tous les jours de l’Avent, et pour tous les jours de l’année, alors que déjà les pratiquants du dimanche se font rares, et c’est d’autant plus absurde pour l’Avent que, là où des fidèles se pressent encore à la messe de semaine, comme en Pologne, c’est pour la messe de la Sainte Vierge, aux flambeaux, toujours identique…
Ces collectes christocentriques de l’usus antiquior, tant quant à leur destinataire que par leur répétition, soulignent l’urgence du cri de l’Église pendant la période de l’Avent, le cri de toute l’humanité et de toute la création aspirant à la venue de son Seigneur, par un ineffable miracle, en son sein, pour le guérir et l'élever de l'intérieur: VENI, DOMINE - Viens, Seigneur Jésus, ne tarde pas. Maranatha. Lève-toi pour sauver une race déchue. Viens nous sauver de notre misère et de notre péché. Nous appelons le Messie, le Christ d'Israël, qui est déjà venu sur la terre, que nous souhaitons inviter à nouveau dans nos cœurs et qui reviendra pour juger les vivants et les morts. L’Avent est la saison de l’attente du Rédempteur et Sauveur tant espéré, et nous, dans notre sainte impatience, ne pouvons pas résister à l’appeler. EXCITA, disons-nous hardiment, encore et encore : Suscite ton pouvoir et viens, ne tarde pas, ne sois pas silencieux, ne sois pas invisible, ne nous laisse pas à notre misère. O Verbe, Vie éternelle, prends chair et touche-nous de Ta chair. Seule la Sainte Mère Eglise, remplie de l'Esprit de Dieu, pouvait oser ainsi prier, en plaçant ces paroles sur les lèvres de nos ancêtres et de tant de saints qui adoraient avec le rite romain traditionnel. (Lauren Pristas, The collects of the roman missal)
La collecte du premier dimanche de l’année liturgique commence par les mêmes trois premiers mots que la collecte du dernier dimanche de l’année liturgique. La boucle est bouclée. Nous reprenons notre pèlerinage annuel.
Excita, quǽsumus, Dómine, poténtiam tuam, et veni : ut ab imminéntibus peccatórum nostrórum perículis, te mereámur protegénte éripi, te liberánte salvári.
Eveille ta puissance, Seigneur et viens, pour que, dans le grand péril où nous sommes à cause de nos péchés, nous puissions trouver en toi le défenseur qui nous délivre et le libérateur qui nous sauve.
De façon plus littérale :
Fais lever ta puissance, Seigneur, et viens, pour que, des périls qui sont suspendus au-dessus de nous à cause de nos péchés, nous méritions d’être arrachés parce que tu nous protèges, et d’être sauvés parce que tu nous délivres.
Telle est la sublime première collecte de l’année dans la liturgie traditionnelle. C’est un chef-d’œuvre de saint Grégoire le Grand. Tout y est :
— L’urgence qui est le propre de l’Avent, de l’attente : abrège cette attente, vois dans quel péril nous sommes à cause de nos péchés, viens tout de suite !
— La reconnaissance que nous sommes pécheurs, sans chercher à nous excuser, à nous cacher, à finasser. Nous sommes en train de sombrer dans l’abîme parce que nous sommes pécheurs. C’est entièrement de notre faute.
— La confiance en celui qui sauve, la confiance en la rédemption qui nous est offerte. Parce que nous confessons notre péché, nous mériterons d’être arrachés aux périls par toi qui nous protèges, par toi qui es notre libérateur. Avec ce balancement, ce jeu des assonances, dans un rythme parfait : te mereámur protegénte éripi, te liberánte salvári.
Dans un premier temps (dans le schéma où ils énonçaient leurs six principes), les destructeurs n’avaient pas osé toucher à cette collecte, qui en quelques mots dit toute l’attente de l’Avent et toute l’attente de l’année liturgique. Mais l’entraînement révolutionnaire a eu raison de ce respect premier, et ils ont finalement osé enlever cette collecte. Ils l’ont néanmoins conservée, mais l’ont reléguée au premier vendredi, où personne ne la verra.
Pour la remplacer ils sont allés chercher une oraison du sacramentaire dit Vieux Gélasien. On se souvient que le 4e principe commandait de « respecter les genres littéraires et les fonctions liturgiques ». Eh bien on commence par ne pas respecter le principe qu’on a édicté. Car l’oraison qu’on a choisie est une postcommunion, indiquée comme telle dans le Gélasien, et dans les quelques codex où on la trouve, entre le VIIIe et le Xe siècle, avant qu’elle disparaisse. Et elle n’a pas disparu par hasard, mais parce qu’elle n’est pas bonne. Elle n’est tellement pas bonne que les « restaurateurs » lui ont infligé pas moins de neuf modifications.
Voici le texte originel, suivi de celui qu’ils en ont fait :
Da, quaesumus, omnipotens Deus, cunctae familiae tuae hanc voluntatem in Christo filio tuo domino nostro venienti: in operibus iustis aptos occurrere, et eius dexterae sociati regnum mereantur possidere caelesti.
Donne, nous (te le) demandons, Dieu tout-puissant, à toute ta famille cette volonté, dans le Christ ton fils notre Seigneur qui vient, de se présenter aptes par des œuvres justes, et qu’associés à sa droite ils méritent de posséder le royaume céleste.
Da, quaesumus, omnipotens Deus, hanc tuis fidelibus voluntatem, ut, Christo tuo venienti iustis operibus occurrentes, eius dexterae sociati, regnum mereantur possidere caeleste.
Donne, nous (te le) demandons, Dieu tout-puissant, à tes fidèles cette volonté afin que, allant avec des œuvres justes à la rencontre de ton Christ, associés à sa droite, ils méritent de posséder le royaume céleste.
A première vue les réformateurs ont seulement supprimé quelques mots. Mais c’est une illusion d’optique. Si l’on regarde de plus près, les destructeurs ont profondément modifié la prière. Dans le Gélasien, la volonté que l’on demande à Dieu est la volonté dans le Christ, et c’est la volonté d’aller à sa rencontre et de mériter de posséder le royaume. Dans la nouvelle version, c’est une volonté qui n’est plus dans le Christ et qui n’a plus d’effet exprimé. On ne demande plus d’être « aptes », parce que ça va de soi que nous sommes aptes puisque nous avons « la volonté », et puisque nous allons vers le Christ avec des œuvres justes nous méritons de posséder le royaume céleste…
Cette atmosphère pélagienne et activiste est typique de toute la néo-« liturgie ».
Il faut ajouter que la plupart des fidèles n’entendent pas la collecte en latin mais dans sa traduction, qui en français est (comme d’habitude) encore plus éloignée de l’original :
Donne à tes fidèles, Dieu tout puissant, d’aller avec courage sur les chemins de la justice à la rencontre du Seigneur, pour qu’ils soient appelés, lors du Jugement, à entrer en possession du Royaume des cieux.
La volonté est devenue le courage, on a supprimé la conjonction, le mérite est devenu appel, et pourquoi se gêner puisque c’est la créativité qui compte, et que le résultat est de toute façon qu’on ira tous au paradis…