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Le blog d'Yves Daoudal - Page 1257

  • Saint Herménégilde

    Dans ses Dialogues (livre III, chapitre 31), saint Grégoire le Grand raconte la vie et le martyre de saint Herménégilde :

    Beaucoup de personnes venues d'Espagne m'ont appris que le roi Herménigilde, fils du roi Lévigilde, converti par les prédications du vénérable Léandre, évêque de Séville, auquel je suis uni par les liens d'une ancienne amitié (1), avait quitté l'hérésie arienne pour embrasser la foi catholique. Son père, engagé dans l'hérésie d'Arius, employa les menaces et les promesses, la persuasion et la terreur, pour le replonger dans les ténèbres de l'hérésie. Il répondit avec une constance inébranlable qu'il ne pourrait jamais quitter la vraie foi, après l'avoir une fois connue. Lévigilde, irrité, lui ôta la couronne et le dépouilla de tous ses biens. Un traitement si dur ne put faire fléchir son courage ; son père inhumain le fit jeter dans une étroite prison, et charger de fers au cou et aux mains. Alors le jeune roi Herménigilde se prit à mépriser les royaumes de la terre pour aspirer de tout l'élan de son âme au céleste royaume. Couvert d'un cilice, accablé de chaînes et gisant à terre, il conjurait avec ferveur le Dieu tout-puissant de fortifier son courage ; plus il avait reconnu dans sa prison le néant des biens qui se peuvent ravir, plus il se sentait un généreux dédain pour la gloire d'un monde qui passe.

    La solennité de Pâques étant arrivée, le perfide Lévigilde députa vers son fils, dans le silence d'une nuit profonde, un évêque arien, chargé de lui donner la sainte communion de sa main sacrilège, et de lui faire acheter à ce prix les bonnes grâces de son père. Mais, tout dévoué au Seigneur, le jeune confesseur accabla l'évêque arien de reproches justement mérités, et repoussa ses insinuations perfides ; car, s'il était couché sous le poids de ses fers, intérieurement il se tenait debout, tel qu'une colonne, dans le calme d'une sécurité profonde. Lorsque l'évêque arien fut de retour, Lévigilde se livra à de violents transports, et aussitôt il envoya ses appariteurs pour tuer dans sa prison le généreux confesseur de la foi ; ses ordres furent accomplis. A peine les satellites furent-ils entrés, qu'ils lui fendirent la tête à coups de hache et tranchèrent le fil de ses jours. Ils ne purent lui enlever, après tout, que ce que l'héroïque victime avait constamment méprisé en sa personne.

    Mais, pour manifester sa véritable gloire, le Ciel fit éclater plus d'un miracle. Auprès du corps de ce roi immolé pour sa foi, et d'autant plus véritablement roi qu'il avait obtenu la couronne du martyre, on entendit dans le silence de la nuit retentir le chant sacré des psaumes. On rapporte aussi que dans ce même moment on vit des lampes allumées. C'était pour montrer que ses mortelles dépouilles, telles que les reliques d'un martyr, devaient être à juste titre l'objet de la vénération des fidèles. Son impie et parricide père fut touché de repentir ; il déplora son crime ; mais ses remords ne suffirent pas pour lui obtenir la grâce du salut. Il reconnut la vérité de la foi catholique ; mais comme il redoutait de froisser sa nation par une profession ouverte, il ne mérita pas de l'embrasser. Les chagrins et la maladie l'ayant conduit au terme de sa carrière, il manda l’évêque Léandre, qu'il avait auparavant persécuté avec tant de rigueur, et lui recommanda instamment son fils Récarède, qu'il laissait plongé dans l'hérésie, afin que les exhortations du saint prélat opérassent en lui l'heureux changement qu'elles avaient produit dans son frère. Après cette recommandation il mourut. Alors, au lieu de suivre les égarements du roi son père, Récarède marcha sur les traces du roi martyr son frère, renonça aux coupables erreurs de l'hérésie arienne, convertit à la vraie foi toute la nation des Visigoths, et refusa de recevoir sous ses étendards, dans toute l'étendue de son royaume, ceux qui ne craignaient pas de se constituer les ennemis de Dieu en restant infectés du venin de l'hérésie. Il ne faut pas s'étonner que le frère d'un martyr soit devenu le prédicateur de la vraie foi : les mérites du second obtinrent au premier la grâce de ramener dans le sein de Dieu une foule de personnes. Il importe de nous convaincre qu'une si belle entreprise n'eût pu se réaliser si le roi Herménigilde n'eût versé son sang pour la vérité ; car il est écrit : Si le grain de blé tombé en terre ne vient à mourir, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Nous voyons se renouveler dans les membres ce qui a lieu dans notre chef. Parmi la nation des Visigoths, un homme est mort pour procurer la vie à une multitude. Un seul grain tombé dans une terre fidèle a fait surgir une riche moisson d'âmes qui ont obtenu la foi. (Traduction de l’abbé Henry, 1851. Texte latin ici, avec la traduction grecque réalisée par le pape Zacharie.)

    [En même temps qu’il faisait tuer son fils, le roi Lévigilde envoyait l'évêque Léandre en exil. Il se retrouva à Constantinople où il se lia d’amitié avec Grégoire, qui était alors ambassadeur du pape. De retour dans son pays, il convertit l’Espagne à la foi catholique grâce au roi Récarède. Son frère, le célèbre saint Isidore, docteur de l’Eglise, lui succéda sur le siège de Séville.]

  • Dimanche in albis

    L’épître de ce dimanche présente une particularité unique, c’est d’avoir une importante partie de texte qui n’existe pas.

    « (7) Car il y en a trois qui rendent témoignage [dans le ciel : le Père, le Verbe et le Saint-Esprit ; et ces trois sont un. (8) Et il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre] : l’Esprit, et l’eau, et le sang ; et ces trois sont un. »

    Des tentatives désespérées ont été faites au cours de l’histoire pour voir le texte complet comme étant le texte canonique, d’autant que son parallélisme est si séduisant, et surtout que son affirmation de la Sainte Trinité est si claire… Mais il faut se rendre à l’évidence. La partie litigieuse ne se trouve dans aucun manuscrit grec ancien. Le plus ancien est du… XIVe siècle. Aucun père grec n’y fait allusion, et si saint Cyprien – puis ceux qui le citent – dit « et ces trois sont un » en parlant du Père, du Verbe et de l’Esprit (mais sans référence), saint Augustin n’y fait jamais non plus allusion. Mais peu à peu, sans qu’on sache comment, le texte "complet" est cité par les auteurs latins, puis par des auteurs grecs (et arméniens, syriaques, etc.) Et la Vulgate sixto-clémentine le donne pour authentique. Mais la récente Vulgate de Stuttgart a bien fait de l’expurger, même si, bien entendu, le texte liturgique doit rester celui que nous a légué une longue tradition, admirablement explicative.

    Quant à l’évangile de ce jour, il a la particularité d’évoquer les deux premiers huitièmes jours… Celui de la Résurrection, et la première octave de la Résurrection. Comme le chante une prière de la liturgie mozarabe citée par dom Guéranger :

    Ingeniti Genitoris genite Fili, qui in eo nobis diei hujus octavi renovas cultum, in quo te discipulorum aspectibus hodie præbuisti palpandum. Nam licet hic dies sit prior pras cæteris conditus, octavus post septem efficitur revolutus. Quo ipse sicut admirabiliter e sepulcro surrexisti a mortuis, ita ad discipulos inæstimabiliter intrasti januis obseratis. Initium videlicet Paschæ ac finem exornans congruis sacramentis, cum et resurrectio tua custodibus terrorem incuteret, et manifestatio discipulorum corda dubia confortaret. Quæsumus ergo, ut nos his sacramentis imbutos fides qua te credimus post istud sæculum tibi repræsentet illæsos. Nullum nobis de te scrupulum dubitationis errorisque, aut otium pariat, aut quæsitio incauta enutriat. Serva in nomine tuo quos redemisti sanguine pretioso. Contemplandum te nostris sensibus præbe nostrumque cor dignatus ingredere. Esto semper in medio nostri, qui hodie pacem nuntians discipulorum in medio astitisti. Quique in eis insufflasti Spiritum vitæ, nobis largire ejusdem Spiritus consolationem.

    Fils engendré du Père qui n’est engendré de personne, vous renouvelez aujourd’hui le culte de ce huitième jour, dans lequel vous vous offrîtes aux regards et à l’attouchement de vos disciples. Ce jour du Dimanche, bien qu’il ait précède les autres, devient le huitième après que les sept premiers sont écoulés. En ce jour vous vous levâtes du sépulcre, vous vous séparâtes des morts ; en ce jour aussi vous entrez, les portes fermées, et vous accordez aux disciples votre chère visite. C’est ainsi que vous marquez, chacun par son mystère, le commencement et la fin de la Pâque ; votre résurrection épouvante les gardiens de votre tombeau, et votre apparition vient confirmer les cœurs chancelants des disciples. Quant à nous qui possédons la science de tous ces mystères, daignez faire que la foi par laquelle nous croyons, nous préserve du mal pour le jour où, après cette vie, nous paraîtrons devant vous. Que cette foi ne connaisse ni le doute qu’engendre la paresse de l’esprit, ni l’erreur que mène à sa suite une téméraire curiosité. Gardez en votre nom ceux que vous avez rachetés de votre précieux sang. Laissez-vous contempler à notre âme ; daignez pénétrer aussi dans notre cœur. Soyez toujours au milieu de nous, vous qui, étant au milieu de vos disciples, leur avez aujourd’hui annoncé la paix. Vous avez soufflé sur eux l’Esprit de vie, répandez aussi sur nous la consolation du même Esprit.

  • Samedi in albis

    L’image que présente la liturgie de ce jour aux baptisés de Pâques (et aussi à nous tous qui avons renouvelé les promesses de notre baptême) est audacieuse. En ce samedi « in albis deponendis », le jour où les néophytes doivent « déposer les aubes », rendre le vêtement blanc qu’ils avaient revêtu à Pâques, l’Eglise lit l’évangile où saint Jean voit les linges blancs qui ont été laissés, « déposés » dans le tombeau par Jésus ressuscité. Ce n’est évidemment pas un hasard, car il s’agit d’un récit de ce qui s’est passé aux toutes premières heures du matin de Pâques, et si l’on a attendu ce jour, c’est bien à cause du linceul qui gît sur la pierre du tombeau de telle façon que saint Jean crut immédiatement à la résurrection.

    Or si les nouveaux baptisés doivent déposer le vêtement blanc, celui-ci ne faisait que symboliser leur baptême. La nuit de Pâques, ils ont « revêtu le Christ », et ce vêtement-là ils doivent le garder toute leur vie, et pour l’éternité.

    « Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. » C’est la phrase de saint Paul qui est l’antienne de communion de ce jour : la communion au corps du Christ.

    C’est pourquoi l’épître, de saint Pierre, commence par « Deponentes » : il ne s’agit pas de la déposition du vêtement blanc, mais au contraire de la malice, de la ruse, de la dissimulation, de l’envie, de la médisance… Nous avons déposé le vieil homme pour revêtir l’homme nouveau.

  • Vendredi de Pâques

    L’évangile de la messe de ce jour est très court. Ce sont les cinq brefs derniers versets de saint Matthieu. Et ils sont d’une densité extrême, bien que nous n’en ayons plus conscience. Pour le comprendre, il faut se mettre à la place des apôtres entendant ce que dit Jésus :

    - Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre.

    C’est la toute puissance de Dieu, qui est Dieu même : « Vous verrez le fils de l’homme siégeant à la droite de la Puissance », avait dit Jésus devant le Sanhédrin. Et cette puissance n’est plus seulement celle du Verbe, c’est celle qui a été donnée à l’humanité glorifiée du Christ (c’est Jésus « né de la chair, établi Fils de Dieu en toute puissance, selon l’Esprit de sainteté par sa résurrection des morts », dira saint Paul) – dans le ciel comme sur la terre.

    - Allez enseigner toutes les nations.

    La mission est désormais clairement universelle. Il ne s’agit plus seulement des « brebis d’Israël ». Le mot « enseigner » veut dire en fait, en grec, faire des disciples. Et de fait ces apôtres si peu nombreux ont fait des disciples de toutes les nations.

    - les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

    Claire révélation de la Sainte Trinité, appliquée au baptême, le sacrement de l’Alliance nouvelle et éternelle. Trinité dans l’Unité, puisqu’il y a deux fois « et » mais un est le Nom.

    Gouverner par la Puissance, sanctifier par les sacrements, enseigner pour faire des disciples, ce sont les trois charges confiées par le Seigneur à son Eglise. Ce que souligne de nouveau l'antienne de communion.

    - Je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles.

    Pas avec les apôtres, puisqu’ils ne vivront pas jusqu’à la fin du monde. Mais avec l’Eglise. L’Eglise constituée de sorte qu’il y soit toujours présent et qu’il en soit la tête, l’Eglise donc hiérarchique et infaillible.

  • Jeudi de Pâques

    L’évangile de ce jour raconte l’apparition de Jésus à Marie Madeleine. Laquelle eut lieu au matin de Pâques, donc avant ce que nous racontaient les évangiles de lundi et de mardi, a fortiori bien avant la pêche miraculeuse d’hier.

    Pourquoi avoir attendu ce jour ? Parce que nous sommes jeudi. Octave du Jeudi Saint. De même que le jeudi de la Passion annonçait le Jeudi Saint, ce jeudi y renvoie. Le Jeudi Saint c’était le lavement de pieds figurant l’eucharistie, le sacrement de l’amour. Or Marie Madeleine est celle qui a aimé le plus, et qui a ainsi mérité de rencontrer Jésus dès sa résurrection, et d’être l’apôtre des apôtres : la station est à la basilique des Saints Apôtres, et c’est Marie Madeleine que l’on fête. Marie Madeleine qui avait lavé les pieds du Seigneur de ses larmes, comme nous le disait l’évangile du jeudi de la Passion.

    L’antienne du Benedictus nous dit : « Marie se tenait tout en larmes près du tombeau et elle vit deux anges assis, vêtus de blanc, et le suaire qui avait été sur la tête de Jésus. Alléluia. »

    On note que selon la liturgie Marie Madeleine a vu « le suaire ». C’est aussi ce que dit le Victimae Paschali laudes qu’on chante à toutes les messes de cette semaine.

    Dans l’évangile, c’est saint Jean qui remarque les linges funéraires dans le tombeau, et leur disposition, « et il vit, et il crut ». Marie Madeleine est appelée elle aussi à la foi, mais d’une autre manière. Elle ne voit pas seulement le suaire, elle voit le Ressuscité lui-même. « Ne me touche pas », lui dit-il. Ne me touche pas avec tes mains, avec tes sens corporels, car c’est dans la foi qu’on doit toucher le Ressuscité. Et qu’on le touche très réellement, dans l’Eucharistie. Mais « avec les mains de la foi, les doigts de l’amour, l’étreinte de la piété, les yeux de l’esprit » (saint Bernard).

  • Mercredi de Pâques

    L’évangile de la messe de ce jour est celui de la seconde pêche miraculeuse, celle d’après la résurrection.

    « Simon Pierre monta dans la barque, et tira à terre le filet, plein de 153 poissons. »

    On est habitué à plusieurs nombres symboliques dans l’Ecriture : 3, 7, 10, 12… Mais l’on peut s’étonner de ce 153, qui a priori ne nous dit rien et que saint Jean n’a pourtant pas mis au hasard.

    Saint Augustin est le premier semble-t-il à avoir remarqué que 153 est la somme des nombres de 1 à 17 : 1+2+3+4+5 etc. C’est ce qu’on appelle depuis Pythagore un nombre triangulaire, et 153 est le 17e nombre triangulaire, parce qu’on l’établissait alors par un triangle équilatéral de 17 pastilles de côté. Or bien sûr le triangle est le symbole de la Trinité.

    Quant à 17, saint Augustin explique que c’est un nombre formé de 10 et de 7, à savoir la Loi (le Décalogue) à laquelle s’ajoute la grâce du Saint-Esprit aux 7 dons, les 153 poissons symbolisant donc le nombre des élus, qui par la grâce ont observé les commandements. On peut aussi remarquer que 10 et 7 sont des nombres de la totalité, de la plénitude, et que 153 est donc une absolue plénitude de totalité et totalité de plénitude.

    De plus, il y a 17 fois, dans l'évangile de saint Jean, l'expression "vie éternelle", ce qui souligne que les 153 poissons sont les élus.

    En outre 17 est le… septième nombre premier. Et saint Augustin fait remarquer aussi que dans cet épisode évangélique il y a sept apôtres.

    Plusieurs pères, ne voyant pas le nombre triangulaire, ont décomposé 153 en 3 fois 50 plus 3, combinaison superlative du Saint-Esprit (la Pentecôte est le 50e jour après Pâques) et de la Trinité. Or cela correspond au fait que les Actes des Apôtres énumèrent 17 nationalités (figurant l’ensemble des nations) parmi ceux qui comprennent ce que disent les Apôtres le jour de la Pentecôte.

    C’est aussi un nombre marial : le Rosaire, plénitude de la prière mariale, se compose de 153 Ave Maria, qui sont engendrés par 17 prières (1 Credo et 16 Pater). On a pu remarquer aussi que la « Dame du Rosaire », à Fatima, est apparue entre le 13 mai et le 13 octobre, ce qui fait 153 jours. (Et l’Ave Maria lui-même est composé de 153 lettres si l’on néglige le « et » avant « benedictus », qui n’est d’aucune nécessité.)

  • Mardi de Pâques

    L’évangile de ce jour est la suite de celui d’hier, qui se terminait par le retour des pèlerins d’Emmaüs à Jérusalem, quand ils disent aux apôtres qu’ils ont vu Jésus et qu’ils l’ont reconnu à la fraction du pain.

    Entre les deux, quatre mots sont omis : « dum haec autem loquuntur » : Or, pendant qu’ils parlaient ainsi… Ils n’ont pas le temps de finir leur histoire que, voici, Jésus est là. Il les salue, et ils sont effrayés, tout le monde est effrayé, alors que les apôtres viennent de dire que Jésus est vivant puisqu’il est apparu à Pierre, et que les pèlerins d’Emmaüs viennent de dire également qu’ils l’ont vu…

    Pour leur prouver qu’il n’est pas un fantôme, Jésus leur montre ses pieds et ses mains, donc les stigmates de sa Passion, et il mange devant eux. Puis il leur dit la même chose, mais de façon un peu différente, qu’il a dite aux pèlerins d’Emmaüs, l’essentiel du kérygme qui était au centre du récit, et il ajoute, puisqu’il parle aux apôtres, que cette bonne nouvelle du salut qu’il vient d’opérer doit être annoncée au monde entier : « et être prêchés en son nom la pénitence et la rémission des péchés à toutes les nations ».

    On est presque à la fin de l’évangile de saint Luc. Il reste quelques mots, mais c’est pour parler de l’Ascension. Or nous n’y sommes pas encore.

    Mais il y a ici quelque chose de très important pour la compréhension des textes sacrés. En effet, saint Luc nous dit qu’après avoir parlé ainsi, le Ressuscité conduisit ses apôtres à Béthanie et, les bénissant, il monta au ciel.

    Or c’est le même saint Luc qui, au début des Actes des apôtres (et il n’est contesté par personne que c’est le même auteur) précise que l’Ascension a lieu 40 jours après.

    On voit là que les « contradictions » que la critique découvre dans les textes sacrés ne sont souvent que des artifices littéraires.

  • Lundi de Pâques

    L’évangile du lundi de Pâques est celui des pèlerins d’Emmaüs. Un épisode clef de l’Evangile. Nous sommes dans cette déchirure du temps, comme dit sœur Jeanne d’Arc, entre la vie terrestre du Seigneur et le temps de l’Eglise. Le texte est une grande inclusion, au centre de laquelle se trouve le kérygme, proféré par Jésus, qui sera le cœur de la prédication dans les Actes des apôtres, que le même saint Luc va écrire. Et le récit fait clairement allusion à la multiplication des pains qui, vue à travers la Cène, devient l’eucharistie pour toute la durée du temps de l’Eglise, durée indiquée par l’insolite imparfait : il leur donnait, il tendait la main pour leur donner le pain.

    C’est pourquoi l’Eglise a placé cet épisode immédiatement après le dimanche de la Résurrection.

    L’antienne du Benedictus et l’antienne du Magnificat montrent aussi que cet évangile est l’axe de ce jour :

    Jesus junxit se discípulis suis in via, et ibat cum illis : óculi autem eórum tenebántur, ne eum agnóscerent : et increpávit eos, dicens : O stulti et tardi corde ad credéndum in his, quæ locúti sunt prophétæ, allelúia.

    Jésus se joignit à ses disciples le long du chemin, et il marchait avec eux : mais leurs yeux étaient retenus de peur qu’ils ne le reconnussent : Et il les reprit, disant : O insensés et lents de cœur à croire tout ce qu’ont dit les prophètes, alléluia.

    Qui sunt hi sermónes, quos confértis ad ínvicem ambulántes, et estis tristes ? allelúia.

    Quels sont ces discours que vous tenez ainsi en marchant, et pourquoi êtes-vous tristes ? Alléluia.

    Mais ce n’est pas seulement ce jour. Les pèlerins d’Emmaüs vont pèleriner avec nous pendant le temps pascal, jusqu'à l’Ascension. Chaque jour (qui ne sera pas occupé par une fête de saint), aux vêpres, l’Eglise va chanter la demande pressante des pèlerins :

    V. Mane nobíscum, Dómine, allelúia.
    R. Quóniam advesperascit, allelúia.

    Reste avec nous, Seigneur, alléluia.
    Parce que le soir tombe, alléluia.

    Et on retrouvera encore cet épisode évangélique à plusieurs reprises, aussi le matin, dans l’antienne du Benedictus. Le jeudi et le vendredi de la troisième semaine, tous les jours, du lundi au vendredi, de la quatrième semaine, et encore le lundi de la cinquième semaine. Voici ces antiennes, qui reprennent tout l’essentiel de cet épisode et forment un des fils conducteurs du temps pascal.

    Tu solus peregrinus es, et non audísti de Jesu, quomodo tradidérunt eum in damnatiónem mortis? allelúia.

    Es-tu le seul pèlerin qui n’ait pas entendu ce qui s’y est passé à propos de Jésus, comment on l’a livré pour être condamné à mort ? Alléluia.

    Nonne sic opórtuit pati Christum, et ita intráre in glóriam suam ? allelúia.

    Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses, et qu'il entrât ainsi dans sa gloire? Alléluia.

    Et incípiens a Móyse et ómnibus prophétis, interpretabátur illis Scriptúras, quæ de ipso erant, allelúia.

    Et commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliquait les Ecritures, qui parlaient de lui, alléluia.

    Et coëgérunt illum, dicéntes : Mane nobiscum, quóniam advesperáscit, allelúia.

    Et ils le pressèrent, disant : Reste avec nous, parce que le soir tombe, alléluia.

    Mane nobiscum, quóniam advesperáscit et inclináta est jam dies, allelúia.

    Reste avec nous, parce que le soir tombe et que le jour est déjà sur son déclin, alléluia.

    Et intrávit cum illis ; et factum est, dum recúmberet cum illis, accépit panem, et benedíxit, ac fregit, et porrigébat illis, allelúia, allelúia.

    Et il entra avec eux, et il arriva, pendant qu’il était à table avec eux, qu’il prit du pain, et le bénit, et le rompit, et il le leur tendait, alléluia, alléluia.

    Cognovérunt Dóminum Jesum, allelúia, in fractióne panis, allelúia, allelúia.

    Ils reconnurent le Seigneur Jésus, alléluia, à la fraction du pain, alléluia, alléluia.

    Nonne cor nostrum ardens erat in nobis, dum loquerétur in via, et aperíret nobis Scriptúras ? Allelúia.

    Est-ce que notre cœur n'était pas brûlant en nous, lorsqu'il nous parlait sur le chemin, et qu'Il nous expliquait les Ecritures? Alléluia.

  • Pâques

    Scuola di Andrei Rublev_ Anni 1425-1427.jpg

    Lorsque le sabbat fut passé, Marie-Madeleine, et Marie mère de Jacques, et Salomé, achetèrent des parfums pour venir embaumer Jésus. Et de grand matin, le premier jour de la semaine, elles vinrent au sépulcre, le soleil étant déjà levé. Et elles disaient entre elles: Qui nous retirera la pierre de l'entrée du sépulcre ? Et, en regardant, elles virent que cette pierre, qui était fort grande, avait été roulée. Et entrant dans le sépulcre, elles virent un jeune homme assis à droite, vêtu d'une robe blanche, et elles furent frappées de stupeur. Il leur dit: Ne vous effrayez pas ; vous cherchez Jésus de Nazareth, qui a été crucifié; Il est ressuscité, Il n'est pas ici; voici le lieu où on L'avait mis. Mais allez dire à Ses disciples, et à Pierre, qu'Il vous précède en Galilée; c'est là que vous Le verrez, comme Il vous l'a dit.

    Marc 16, 1-7

    Icône de l’école d’Andrei Roublev, 1425-27. Dans la liturgie byzantine ce n’est pas une icône du jour de Pâques mais du troisième dimanche de Pâques, qui est le dimanche où l’on honore les myrophores. L’icône de Pâques est celle du Christ aux enfers.

  • Les martyrs du Jeudi Saint

    Hier matin, les témoignages sur le massacre de Garissa au Kenya (au moins 148 morts et 80 blessés) étaient aussi abondants que disparates et contradictoires. Impossible de savoir quelle était la proportion des chrétiens tués. D’autant que les chababs ne font pas toujours la distinction (Allah reconnaîtra les siens…), et en outre les étudiants des universités « à l’occidentale » commettent de toute façon un grave péché. Selon certains témoins, d’ailleurs, les (quatre, ou cinq) chababs, entrés sur le campus vers 5h30 après avoir tué deux gardiens, avaient commencé par semer la terreur à la mosquée. Selon d’autres, ils avaient commencé à tirer sur les étudiants qui allaient à la chapelle… Ensuite ils auraient tiré sur tout ce qui bouge, puis auraient pris le contrôle des dortoirs et alors auraient fait le tri, parmi les étudiants qui n’avaient pas réussi à fuir, entre musulmans et chrétiens, laissant partir les premiers et tuant ou gardant les autres en otages. Il a fallu toute la journée et une partie de la soirée aux soldats kényans pour mettre un terme à l’horreur, les chababs se faisant alors exploser.

    Il apparaît finalement que la quasi totalité des morts, en dehors des deux gardiens, d’un policier et d’un soldat (dont on ne connaît pas la confession) étaient des chrétiens. Non pas fauchés par d’aveugles rafales de kalachnikov, mais froidement exécutés un par un. Un employé des ambulances Saint-Jean disait : « Ils ont tous la face contre terre, et ils ont été abattus d’une balle dans la nuque. »

    Une rescapée parlant de ses trois camarades tuées dit : « L’erreur qu’elles ont faite, c’est d’avoir dit : Jésus, sauve-nous, parce que c’est à cet instant qu’ils les ont abattues. »

    L’erreur ? Mais les chababs triaient d’abord en fonction des vêtements – et les chrétiennes n’étaient pas voilées. La terrible erreur aurait été de renier le Christ. En mourant dans la prière, comme les 21 coptes en Libye, elles ont été d’authentiques martyres. Les chababs ricanaient, en parlant de leur mort inéluctable : « Ça nous fera de belles vacances de Pâques. » Mais ce sont les chrétiens qu’ils ont massacrés qui sont allés participer directement au triomphe pascal.