Icône de Georges Kordis.
L’évangile de ce jour est celui de la prostituée qui répand du parfum sur les pieds de Jésus. Dans la tradition latine c’est Marie-Madeleine. La tradition byzantine garde l’anonymat de l’évangile et l’appelle « la prostituée » tout au long des matines du mercredi saint. Cet office contient une pièce célèbre dans le monde byzantin, connue comme « le tropaire de Cassienne ».
En 830, la mère du nouvel empereur Théophile décida de le marier. Il n’avait encore que 17 ans. On lui présenta les six plus belles vierges du pays. La plus belle à son goût était Cassienne. Il s’approcha d’elle et lui dit : « C'est par la femme qu'arriva la corruption. » Cassienne répliqua du tac au tac : « Mais c'est aussi de la femme que provient ce qui est supérieur. » Théophile battit en retraite devant une jeune fille aussi pleine d’intelligence et d’audace, et choisit une autre, Théodora. Cassienne en fut ravie : elle avait décidé d’être religieuse, et elle s’en alla fonder un monastère. Alors que Théophile était iconoclaste, elle défendit avec fougue le culte des icônes, et elle fut persécutée pour cela. Mais elle disait : « Je hais le silence quand c'est le temps de parler. » C’est pourquoi on la représente généralement sur l’icône du « Triomphe de l’orthodoxie », triomphe que l’on doit notamment à l’impératrice Théodora qui continuait en cachette à vénérer les icônes, apprenant à ses enfants (dont l’empereur suivant) à faire de même.
Cassienne composait des pièces liturgiques d’une telle beauté qu’elle fut encouragée par les autorités de l’Eglise, et il y en a 33 dans la liturgie byzantine. La plus connue est donc celle du mercredi saint. On raconte que Cassienne était en train de la composer dans le jardin du monastère quand fut annoncée une visite de l’empereur. Cassienne partit se cacher en laissant là le papier et l’encre. Théophile vit le papier, ajouta quelques mots et s’éclipsa. Cassienne garda les mots de l’empereur et termina le tropaire. On ne peut pas garantir que l’anecdote soit véridique, mais si elle l’est, cet iconoclaste était néanmoins un génial connaisseur de la liturgie. Car il se sert du stratagème de Cassienne pour montrer l’opposition entre la prostituée qui baise les pieds du Christ et Eve qui s’était enfuie en entendant marcher ces mêmes pieds… tout en soulignant qu’il n’est pas dupe et en faisant allusion à leur première rencontre… Les mots de l’empereur sont en italiques dans la traduction ci-dessous.
Voici le tropaire de Cassienne dans l’interprétation flamboyante de Dimitrios Rouméliotis.
Κύριε, ἡ ἐν πολλαῖς ἁμαρτίαις περιπεσοῦσα Γυνή, τὴν σὴν αἰσθομένη Θεότητα, μυροφόρου ἀναλαβοῦσα τάξιν, ὀδυρομένη μύρα σοι, πρὸ τοῦ ἐνταφιασμοῦ κομίζει. Οἴμοι! λέγουσα, ὅτι νύξ μοι, ὑπάρχει, οἶστρος ἀκολασίας, ζοφώδης τε καὶ ἀσέληνος, ἔρως τῆς ἁμαρτίας. Δέξαι μου τὰς πηγὰς τῶν δακρύων, ὁ νεφέλαις διεξάγων τῆς θαλάσσης τὸ ὕδωρ· κάμφθητί μοι πρὸς τοὺς στεναγμοὺς τῆς καρδίας, ὁ κλίνας τοὺς οὐρανούς, τῇ ἀφάτῳ σου κενώσει· καταφιλήσω τοὺς ἀχράντους σου πόδας, ἀποσμήξω τούτους δὲ πάλιν, τοῖς τῆς κεφαλῆς μου βοστρύχοις, ὧν ἐν τῷ Παραδείσῳ Εὔα τὸ δειλινόν, κρότον τοῖς ὠσὶν ἠχηθεῖσα, τῷ φόβῳ ἐκρύβη. Ἁμαρτιῶν μου τὰ πλήθη καὶ κριμάτων σου ἀβύσσους, τίς ἐξιχνιάσει ψυχοσῶστα Σωτήρ μου; Μή με τὴν σὴν δούλην παρίδῃς, ὁ ἀμέτρητον ἔχων τὸ ἔλεος.
Seigneur, la femme qui était tombée dans une multitude de péchés, ayant reconnu votre divinité, prit le rôle d’une myrophore et, tout en larmes, vous offrit du parfum avant votre sépulture et dit : Malheur à moi ! La tyrannie de la débauche et la passion du péché m’ont fait sombrer dans une nuit noire. Recevez donc les flots de mes larmes, vous qui attirez les eaux de la mer dans les nuages, et penchez-vous sur les sanglots de mon cœur, vous qui abaissez les cieux par votre indicible abaissement. J’embrasse et je sèche, avec les boucles de mes cheveux, vos pieds immaculés…
… alors que, lorsqu’Eve entendit au paradis, le soir, les pas de ces mêmes pieds, elle se cacha de peur.
O mon Sauveur et le salut de mon âme, qui sondera le gouffre de la multitude de mes péchés et l’abîme de vos jugements ? Ne vous détournez pas de moi, qui suis votre servante, vous dont la miséricorde est incommensurable.